La Documentation Française publie une étude sur le « journalisme 2.0 ».

L’ouvrage réunit une vingtaine d’universitaires et de professionnels, français et étrangers. Résultat : les contours modernes d’un métier désormais voué au « multimédia » sont esquissés. Révolution ?

Ceux qui peinent encore à envoyer un courriel – on en trouve dans certaines rédactions – pourront juger obscur le chapitre consacré au « journalisme de données » : Caroline Goulard, jeune fondatrice de l’agence Dataveyes, expose les deux facettes de ce « nouveau » métier : « journalisme-médiation et journalisme-divertissement ». Les confrères les plus réfractaires au web ne démentiraient pas forcément cette définition.

Les écoles de journalisme enseignaient naguère la règle des 3 C : faire « clair, court, et concis » pour être lu par le plus grand nombre. « On n’est pas les éducateurs du peuple », se plaisait à répéter un de mes professeurs, il y a une vingtaine d’années. Désormais, les jeunes multiplient le C du mot « cliquer » pour faire le buzz.

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Mais le journalisme demeure. Il s’agit de traiter des faits d’actualité, tirés de l’observation ou livrés par des sources fiables, et de les rendre intelligibles au public. L’information ainsi produite trouve des formes diverses : écrit, photographie, vidéo, dessin, son… Le web 2.0. combine les supports et offre de nouvelles exploitations de l’information, l’interactivité et la participation du public étant renforcés par une permanente mise en réseau des contenus.

Les auteurs réunis par La Documentation Française, sous la direction de Rémy Le Champion, explorent essentiellement deux angles liés : la technologie et l’économie. De quoi éclairer aussi bien les professionnels que leurs « clients » – tous désormais internautes.

Confrontée à l’explosion de l’internet en réseaux, la « plume du gazetier » semble vivre une révolution. Mais ce n’est peut-être bien qu’une apparence. La profession de Théophraste Renaudot n’a jamais cessé d’évoluer et sa valeur pivot de la démocratie n’est jamais acquise.

Chez CNN, « modèle d’innovation » selon Loïc de La Mornais, les patrons de la rédaction expliquent à leurs plus jeunes collaborateurs que la toile abolit la notion de scoop. La chaîne américaine emploie 200 journalistes web. Qualités requises ? Ecriture soignée et exigence dans la vérification des sources circulant sur le réseau. L’une des télévisions les plus influentes au monde profite de la rapidité du web et du faible coût de l’internet, notamment pour capter des documents amateurs. Mais CNN reste fidèle à une recette fondamentale : la rigueur.

Au fil des chapitres, et à travers les différents modèles et continents visités, un paradoxe se dévoile : la technologie libère les énergies et facilite la diffusion de l’information, mais elle appauvrit parfois les contenus et les journalistes eux-mêmes.

La diversité sur le web peut faire naître un pluralisme de façade.

Le « journalisme-citoyen » fait naître un peuple d’informateurs plus ou moins éclairés qui alimentent des sites innovants comme Agoravox. « Les contributions y sont plus souvent des tribunes d’opinion que des informations », note cependant Johan Weisz-Myara, créateur de StreetPress.com. Mais la pratique des forums interactifs – moderne courrier des lecteurs – prend aussi valeur d’aiguillon. L’interactivité souligne parfois les lacunes de la profession journalistique, et défriche, au passage, quelques idées neuves.

Les blogueurs éclairés, armés d’un certain talent d’informateur, forment une main d’œuvre à bas coût et apporte aux professionnels des idées neuves. Mais les interactions provoquent parfois la catastrophe : c’est l’exemple du site LePost.fr, fermé en janvier 2012. En Corée du Sud, des expériences montrent, au contraire, qu’une charte de qualité peut valoriser le travail des « internautes-sources » en même temps qu’elle renforce les exigences des « journalistes-informateurs ».

En France, les outils modernes soulignent surtout, jusqu’à maintenant, la fragilité extrême des entreprises de médias : déclin de la presse papier, investissements incertains sur le web, faible rentabilité du modèle internet, formation lacunaire des journalistes installés, pouvoirs publics dubitatifs sur les nouvelles formes d’aides aux médias d’information…

Internet décuple le champ des possibles : information plus ouverte et plus instantanée. « Plus que jamais, le journaliste doit travailler vite », souligne Frédéric Vuillod, journaliste « multi-supports ». Plus que jamais, aussi, l’information comporte des enjeux politiques. Mondialisés.

De tout temps, le journaliste et sa « cible » ont entretenu des relations affectives et conflictuelles. Historiquement, le public n’est jamais à l’abri des mensonges et des manipulations. « L’objectivité n’existe pas ; l’honnêteté, oui » répétait le fondateur du journal Le Monde, Hubert Beuve-Méry. Le Monde.fr reste attaché à ce principe même sur le web.

Plus que jamais, l’écrit et le mot, qui sont à l’origine du développement de la presse dans le monde, prennent de l’importance. D’autant plus que la toile conserve (presque) tout. Les responsables politiques qui « twittent » l’apprennent parfois à leur dépens (un chapitre du livre offre des révélations amusantes sur le sujet).

Avec le web 2.0, la pratique journalistique apparaît certes chamboulée. Mais la morale professionnelle peut être réaffirmée. L’étude de la Documentation Française contribue utilement à éclairer les enjeux de ce « renouveau ».

Laurent WATRIN


La Documentation Française. journalisme 2.0

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