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De la pyramide de Khéops au démantèlement nucléaire

par Pierre-Alain Lévy

Voici idéalement le type d’information que j’aime et que j’ai plaisir à relayer; à savoir comment la science percole et diffuse dans chaque activité humaine. Pour ce qui concerne l’actualité immédiate, l’égyptologie et la pyramide de Khéops et la découverte d’un couloir inconnu grâce à des moyens scientifiques de premier rang, les télescopes à muons.

Au-delà des cercles initiés, l’égyptologue apparait au grand public plus dans l’imaginaire d’Hollywood que dans sa réalité propre. Chapeau colonial, moustache en guidon de vélo, tea-time sous le soleil ardent, telles en seraient les recettes exotiques.

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Ramsès II entouré de ses médecins à Paris.
Capture d’écran. Photo France Télévisions. Lumni. C Jamy

La réalité est bien plus passionnante et intelligente que ces images réductrices et quelque peu enfantines. A tel exemple, l’histoire de l’art est régulièrement sollicitée et enrichie par des études et travaux conduits dans les laboratoires de recherche les plus pointus. En France plus particulièrement le CEA ( Commissariat à l’énergie atomique) y tient un rôle de leader. Ce n’est d’ailleurs point la première fois, et l’on se souvient de l’accueil officiel de chef d’état donné à la dépouille du pharaon Ramsès II, accueillie à Orly en 1976 par le président Giscard d’Estaing accompagné des gardes républicains rendant les honneurs.

Plus scientifiquement et prosaïquement , la France avait alors proposé à l’Égypte et au musée du Caire de traiter la momie du pharaon (cliquer), alors parasitée par des champignons et des larves d’insectes au risque de destruction, sans altérer ni son expression ni sa corporalité, respectant ainsi au-delà même de l’expérience l’intangibilité de la personne sous la momie. Grand enseignement philosophique et spirituel au demeurant ! Seul un traitement par rayonnement pouvait le proposer.

Olécio partenaire de Wukali

Dans l’expérience qui apparait aujourd’hui à la une des journaux, au coeur ce cet article, il ne s’agit non point de percer des mystères d’ordre biologique (le corps humain), mais de franchir des limites minérales ( la pyramide). C’est au demeurant ce que fait pour partie à l’instant le robot Curiosity sur Mars et dont nous aimons à traiter dans WUKALI (nous y reviendrons en fin d’article).

L’on comprend ainsi mieux la même marche en avant, la complémentarité, la symbiose, qui réunit toutes les sciences. Il ne s’agit plus d’une utopie mais d’une réalité. Cette réalité même qu’il est si difficile de partager et de faire connaître et qui pourtant constitue le socle dynamique de notre humanité. Ainsi à travers la relation de nouvelles que d’aucuns, et à tort rangeraient au rang des faits-divers et de la pacotille médiatique, c’est bien de science et de son expression la plus éminente et d’excellence qu’il s’agit. Le risque de la vulgarisation scientifique (et j’avoue que c’est l’une de mes marottes) c’est à force de simplifications de dénaturer et de fausser l’enseignement même que l’on est censé vouloir partager, aussi la pédagogie, la propédeutique (j’aime bien ce mot) ne peuvent qu’être vertueuses.

La grande pyramide de Khéops

Des rayons cosmiques et des photos prises par un endoscope ont ainsi révélé un couloir « caché » à l’intérieur de la face nord de la Grande Pyramide de Gizeh, au-dessus de l’ancienne entrée de la pyramide.

La Grande Pyramide a été construite sur ordre du pharaon Khéops (appeler aussi Khufu, et qui a régné entre 2551 et 2528 avant J.-C.) sur le plateau de Gizeh et mesure aujourd’hui 139 mètres de haut. C’est la seule merveille du monde antique qui subsiste et c’était l’édifice le plus haut de la planète et dont la hauteur ne sera dépassée que par la Tour Eiffel.

Une nouvelle étude révèle que, juste au-dessus de l’ancienne entrée de la pyramide, il existe probablement une chambre horizontale de 9 m de long et de 2 m de large et de 2 m de haut. Elle est située derrière une structure en forme de chevron qui est visible à l’extérieur de la pyramide.

Les scientifiques ont découvert ce couloir en analysant les scans muoniques (voir plus bas) de la Grande Pyramide, vieille de 4 500 ans. Les muons sont des particules élémentaires chargées négativement qui se forment lorsque les rayons cosmiques entrent en collision avec les atomes de l’atmosphère terrestre. Ces particules de haute énergie pleuvent constamment sur la Terre mais interagissent différemment avec la pierre et avec l’air. Au cours de la dernière décennie, les scientifiques ont utilisé des détecteurs de muons pour rechercher des chambres cachées dans la Grande Pyramide.

M. Zahi Hawass, ancien ministre égyptien des Antiquités, a déclaré lors d’une conférence de presse jeudi 2 mars que ce couloir de 30 pieds de long a probablement été créé pour soulager le poids des matériaux de construction de la Grande Pyramide. Il a noté qu’il est situé derrière une structure en forme de chevron qui répartit le poids, a ainsi rapporté le journal égyptien Ahram Online

Que sont donc les muons ?

Voici ce qu’en dit le CEA.

Les muons sont créés dans l’atmosphère par le rayonnement cosmique. Ils sont capables de traverser toute l’atmosphère pour arriver jusqu’au sol ou à un obstacle et, selon leur énergie de départ, parvenir à passer au travers. « Les muons, à l’instar des coureurs d’un marathon, ne vont pas partir avec la même énergie. Selon la difficulté et la longueur de la course, un certain nombre s’arrêtera en cours de route, et seule une fraction d’entre eux franchira la ligne d’arrivée. Cette fraction qui franchit la ligne nous renseigne sur la difficulté de la course. Dans la muographie, cette difficulté correspond à l’épaisseur traversée et à la densité », souligne Sébastien Procureur, chercheur au CEA.

La plupart du temps, que ce soit dans une pyramide ou un réacteur, l’épaisseur du mur ou de la paroi est connue. L’idée est donc de mesurer le flux de muons qui circule dans une direction donnée, ce qui détermine la densité moyenne dans cet axe. Concrètement, si l’on constate à certains endroits d’un objet un excédent de muons, on peut en déduire une densité plus faible, et donc possiblement une cavité, un creux, etc. 

Cependant, pour obtenir de tels résultats, il faut disposer d’outils permettant l’observation de ces muons. Ce sont les télescopes à muons.

Les télescopes à muons conçus au CEA sont équipés de détecteurs Micromegas, inventés en 1994 au sein du CEA-Irfu par plusieurs personnes dont Georges Charpak, physicien au CERN et prix Nobel de Physique en 1992. 

Comment fonctionnent-ils ? Ils utilisent le fait que les muons sont des particules chargées électriquement : on peut donc se servir des interactions électromagnétiques qu’ils génèrent. C’est-à-dire que ces muons chargés créent des ionisations (des paires électron-ion) lorsqu’ils interagissent avec un atome de la matière qu’ils traversent. « Dans le détecteur Micromegas, nous utilisons un gaz noble, car il a de bonnes propriétés qui permettent de conserver ces ionisations et donc de repérer le passage des muons. Par la suite, à l’aide de champs électriques que l’on applique dans le volume gazeux, on canalise ces charges électriques pour les envoyer sur une électronique de lecture », indique Sébastien Procureur. 

Avec une résolution spatiale de 0,2 mm, ces détecteurs sont actuellement les plus précis pour la détection en temps réel.

Dès 2016, les télescopes à muons du CEA se sont retrouvés associés au projet ScanPyramids, visant à sonder plusieurs pyramides égyptiennes dont celle de Kheops. Objectif : découvrir des cavités cachées dans l’épaisseur des murs. Comment ces télescopes destinés à la physique des particules se sont retrouvés à sonder des pyramides ? « Nous avons mis au point un système, breveté en 2013, qui a permis de réduire par 15 la quantité d’électronique embarquée. Nous avons ainsi pu faire des télescopes réellement transportables. Chaque détecteur est en effet une plaque de 50 cm de côté contenant du gaz pour détecter les charges, et un télescope à muons en contient 4 », note Sébastien Procureur. 

la recherche scientifique, la contribution du CEA, les télescopes à muons, en appoint de l'égyptologie et de l'étude des pyramides

Le 2 mars 2023, la collaboration ScanPyramids a publié plusieurs images d’une pièce dont l’existence avait été démontrée en 2016 près de la face Nord de la pyramide de Kheops. L’exploration endoscopique de cette pièce a été rendue possible grâce à des mesures en imagerie muonique réalisées conjointement par une équipe du CEA et de l’Université de Nagoya. Ces mesures ont permis de localiser cette cavité avec une précision quasi-centimétrique, et révèlent l’extraordinaire potentiel de la muographie haute définition.

Ces travaux établissent que ce vide, baptisé initialement le NFC (pour North Face Corridor) est une pièce de 9,5 m de long et d’une section moyenne de 2 m x 2 m, avec un plafond en chevrons taillés. L’analyse muographique révèle également que cette chambre, très habilement cachée derrière un chevron extérieur, ne communique pas directement avec le Big Void découvert en 2017.

Les extraordinaires avantages de la muographie

La complémentarité, c’est précisément et d’une façon transversale, diachronique diraient certains, ce qui unit et rassemble ce qui est épars. Le Zéro et l’Infini, dirait Koestler. Parlons d’extrapolation, de projection, de systèmes complexes, d’un système de connexions qui relève de facteurs multiples. L’utilisation de la muographie peut être aussi parfaitement utile dans des secteurs de la vie quotidienne et qui de prime abord pourraient sembler étrangers à son utilisation. Ainsi des douanes et de la lutte contre les trafics de cigarettes par exemple, quand celles ci sont dissimulées dans des wagons ou des camions transportant des billes d’acier. Mais aussi dans le domaine de l’industrie et de la décontamination. Voyons donc ce qu’en dit le CEA.

Les télescopes à muons sont ensuite passés des pyramides au chantier de démantèlement du réacteur G2. Une nouvelle application initiée par Laurent Gallego, chef du projet de démantèlement des réacteurs G2 et G3 au CEA. En effet, après la première phase de démantèlement du réacteur G2, qui s’est achevée en 1996, des équipes sont entrées dans le réacteur pour réaliser des vidéos et des mesures de contamination radiologique, et des prélèvements de métaux pour vérifier l’état de corrosion. Mais ce n’était pas suffisant : il fallait trouver une solution pour investiguer plus encore sans pour autant opérer de destruction de l’installation. « C’est alors que j’ai découvert via un article les résultats du télescope à muons dans le cadre du projet ScanPyramids. Nous avons demandé aux équipes s’il était possible d’adapter ce type d’acquisition à des structures telles que nos réacteurs, qui sont très massifs et pas très accessibles », raconte Laurent Gallego. Résultat, les muons se sont avérés aussi performants avec les réacteurs qu’avec les pyramides ! 

Ainsi, la muographie donne l’avantage d’éviter les mauvaises surprises lors du démantèlement et de garantir la sécurité du chantier. « Grâce au télescope à muons et aux images acquises, nous avons obtenu des éléments d’appréciation sur l’état réel du réacteur par rapport à l’état attendu », complète Laurent Gallego. Prochaine étape pour les télescopes à muons, le réacteur G3. 

la recherche scientifique, la contribution du CEA, les femmes

Nous avons tenté au fil de cet article et sur la base d’une information largement diffusée à travers les médias, de porter l’attention non seulement sur l’art, l’histoire de l’art qui pour nous, et tout particulièrement dans WUKALI, est d’essence consubstantiel à notre idée de l’humanité, mais de faire valoir le génie humain à travers ces avancées technologiques et scientifiques mises en oeuvres dans la discrétion nécessaire et indispensable des laboratoires de recherche.

En outre il convient de dépoussiérer la recherche scientifique de cette stupide image de savants chenus, mâles, le dos courbé par les ans et à la barbe blanche. Non, la science, ou plutôt les sciences, c’est aussi une énergie joyeuse de jeunes hommes et de jeunes femmes, même si le recrutement féminin est encore en France notoirement insuffisant ( lire le sympathique album de bande dessinée La Cerise dans le Labo, préfacé par Claudine Haigneré, et sous-titré Des femmes de science inspirées et inspirantes, éditions Edp Sciences. 16 €).

A cet égard, nous avons le plaisir d’accueillir au sein de notre équipe de chroniqueurs de WUKALI, une nouvelle plume et conseillère, Valérie Payré, tout simplement spécialiste de la planète Mars (pas moins !)
Valérie Payré est post-doctorante à l’université de l’Arizona et professeure-assistante à l’université de l’Iowa. Elle travaille dans l’équipe de Curiosity du Mars Science Laboratory. Ce n’est pas là la moindre de nos joies.

Aussi, oui vraiment, tout nous appelle à la curiosité, à la découverte, au dynamisme et à l’énergie ! C’est ce que non seulement requiert notre condition humaine, c’est aussi ce qu’exige tout notre environnement et dans toute les diversités de son expression et de son identité intrinsèque.

Bien entendu nous serions intéressés de connaître vos réactions à cet article, n’hésitez donc point à nous écrire.

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Illustration de l’entête: Télescopes à muons de l’Irfu. Pojet ScanPyamids

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