Lu dans la presse internationale .
the Guardian/ The Oberver
Samedi 22 décembre 2012.
Des personnalités éminentes du monde de la culture et des universitaires de premier plan du Proche-Orient mettent en garde sur la menace qui pèse sur les arts dans le « Printemps arabe » du fait de l’accroissement des violences, de la censure et du manque de vision politique.
Selon une étude publiée pour le compte du British Council par l’Université d’ York, (unité développement et reconstruction d’après guerre), l’idée largement répandue d’une région connaissant une liberté d’expression sans précédent est tout bonnement «simpliste et fausse» car un nombre de plus en plus important d’artistes sont excédés par les violences du Printemps arabe. Le rapport intitulé : Out in the Open: Artistic Practices and Social Change in Egypt, Libya, Morocco and Tunisia, considère que le système de censure gouvernemental qui existait depuis des décennies demeure toujours «largement en place».
Le directeur de recherche, le professeur Sultan Barakat,souligne que les artistes qui s’étaient enhardis dans les soulèvements de 2011, affrontent aujourd’hui un nouveau paysage politique et s’inquiètent de la montée d’une censure religieuse et politique.
Il en est ainsi en Égypte, où vient juste de se dérouler le deuxième tour d’un référendum constitutionnel, tout comme en Tunisie, la crainte principale provient de la montée d’un islam politique , qui va de gouvernements islamistes d’apparences modérés et dont les axes politiques sont pour le moins troubles, jusqu’aux ultra-conservateurs salafistes qui attaquent des cinémas et les artistes.
Le Professeur Barakat précise : «On est arrivé à un point de rupture. La majorité islamiste (en Égypte) pourrait juste réagir et supprimer l’expression artistique encore bien plus que du temps d’Housni Moubarak ». Le dramaturge Ahmed el-Attar indique : «J’ai bien peur que le pays glisse tout doucement vers le fascisme. La culture a été laissé de côté. Les Frères Musulmans n’ont pas encore un agenda culturel. Ils discutent sur des personnages historiques islamiques. Je ne suis pas sûr que cela s’applique aux salafistes qui questionnent jusqu’à l’idée de l’art lui-même». Karim el-Shennawy, un réalisateur de cinéma qui a fait partie des manifestants sur la Place Tahrir s’exprime ainsi : «Plein de choses ont été arrêtées et censurées. Cela peut empirer. Il y a des tas de voix qui s’en prennent aux metteurs en scène et aux acteurs les accusant de bourrer la tête de la nouvelle génération avec des valeurs et des images inappropriées. Une actrice a été accusée de faire de la prostitution sur l’écran.» Le rapport dit que plusieurs personnalités de la culture ont été marginalisées car elle étaient considérées comme trop proches des anciennes dictatures, il en est ainsi d’un acteur égyptien de comédie qui fut critiqué pour avoir été trop lent à critiquer Moubarak et qui après la chute du régime du faire face à une inculpation pour insulte à l’Islam dans ses films. De façon plus positive, un art nouveau est sorti de la rue, comme par exemple la prolifération de graffitis en Égypte ou en Libye, il en est de même de l’art digital provenant des réseaux sociaux. «La jeune génération impliquée dans les révolutions manquait d’expertise pour développer un secteur culturel fort» poursuit Barakat. «Les sociétés d’art (établies) demeurent toujours dans leurs tours d’ivoire. Leur audience reste faible, les expositions rassemblent un public restreint. Si vous vous adressez à la majorité qui vit dans les quartiers défavorisés ou dans les zones rurales, ils sont totalement étrangers à cet art et s’en trouvent exclus.» «Les jeunes artistes ont rejoint la révolution, mais parce qu’ils n’ont pas une vision claire de ce qui se passe ils peuvent égarer la majorité de la population et on ne mesure pas les conséquences que cela pourrait avoir». C’est ainsi dit-il qu’il souligne l’exemple de la blagueuse égyptienne Alia Majida al-Mahadi, qui a mis en ligne des photos d’elle-même où elle apparait nue soulignant l’autonomie des femmes ce qui eut pour conséquence de permettre aux islamistes de réclamer des mesures exigeant une société plus strictement attachée aux règles religieuses. «Le retour de bâton ne valait pas le coup, cela a rendu les islamistes plus suspicieux. Bien des problèmes auraient pu être évités avec des engagements plus subtiles»; L’écrivain Ahdaf Soueif qui a rendu compte du soulèvement dans son livre Le Caire, ma ville, notre révolution dit qu’elle a refusé de rejoindre et soutenir le gouvernement de Mohamed Morsi dans sa politique culturelle du fait des protestations qui ont suivi ses tentatives pour s’emparer du pouvoir. «S’engager avec eux à ce niveau n’est pas bon. Ils ne sont en rien un gouvernement de la révolution». Graham Sheffield, directeur artistique du British Council, qui vient juste de tenir une conférence pour voir comment soutenir le secteur des arts au Proche-Orient, a formulé l’idée qu’il conviendrait maintenant de s’asseoir et discuter avec des gens partageant différentes valeurs. «Nous ne devons pas nous engager avec des gens dont on pense qu’ils sont d’accord avec nous c’est-à-dire l’élite culturelle, mais aussi avec les éléments les plus raisonnables des régimes conservateurs car il semble bien que c’est eux qui vont diriger leurs pays.» dit-il. Ahdaf Soueif met en garde contre toute intervention étrangère. Elle ajoute que les organisations étrangères ne doivent répondre qu’à des demandes bien spécifiques pour éviter d’être considérées comme ayant une connotation colonialiste. «Si des institutions comme le British Council veulent rester pertinentes, la meilleur chose consiste alors de mettre en contact les jeunes et les artistes du Proche-Orient avec leurs pairs internationaux»
David Batty
Traduction pour Wukali par P-A L
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Article 212. Un film de Karim el-Shennawy