Ah ! ce soir, j’ai le coeur mal, le coeur à la Lune !

Ô Nappes du silence, étalez vos lagunes ;

Ô toits, terrasses, bassins, colliers dénoués

De perles, tombes, lys, chats en peine, louez

Olécio partenaire de Wukali

La Lune, notre Maîtresse à tous, dans sa gloire :

Elle est l’Hostie ! et le silence est son ciboire !

Ah ! qu’il fait bon, oh ! bel et bon, dans le halo

De deuil de ce diamant de la plus belle eau !

Ô Lune, vous allez me trouver romanesque,

Mais voyons, oh ! seulement de temps en temps est-c’ que

Ce serait fol à moi de me dire, entre nous,

Ton Christophe Colomb, ô Colombe, à genoux ?

Allons, n’en parlons plus ; et déroulons l’office

Dés minuits, confits dans l’alcool de tes délices.

Ralentendo vers nous, ô dolente Cité,

Cellule en fibroïne aux organes ratés !

Rappelle-toi les centaures, les villes mortes,

Palmyre, et les sphinx camards des Thèbe aux cent portes ;

Et quelle Gomorrhe a sous ton lac de Léthé

Ses catacombes vers la stérile Astarté !

Et combien l’homme, avec ses relatifs ” Je t’aime “,

Est trop anthropomorphe au-delà de lui-même,

Et ne sait que vivotter comm’ ça des bonjours

Aux bonsoirs tout en s’arrangeant avec l’Amour.

– Ah ! Je vous disais donc, et cent fois plutôt qu’une,

Que j’avais le coeur mal, le coeur bien à la Lune.


JULES LAFORGUE. (Montevideo1860 – Paris 1887)

in L’Imitation de N.D la Lune

Ces articles peuvent aussi vous intéresser

Notre site utilise des 'cookies' pour améliorer votre expérience et son utilisation. Si vous le refusez vous pouvez les désactiver. Accepter