Célébration du bicentenaire de la naissance de Verdi au Metropolitan Opera de New-York

Pour rendre hommage au Maître de Busseto, le MET a mis au programme de sa nouvelle saison, quatre de ses opéras les plus connus : Otello, le 27 octobre 2012, Un ballo in maschera et Aida, les 8 et 15 décembre suivants, en attendant Rigoletto, le 16 février 2013. Depuis 2009, les New-yorkais ont pu voir Attila, Simon Boccanegra, Don Carlo, Il trovatore, Nabucco, Macbeth, Ernani et Traviata et même le Requiem. Les fidèles abonnés du MET ont donc bénéficié d’un large aperçu de l’œuvre verdienne. Avec des bonheurs divers, comme le montrent les récents Ballo in maschera et Aida. Quant aux habitués de « l’Opéra à l’écran », ils ont subi, une fois de plus, une retransmission sonore d’une qualité technique exécrable.


David Alden, le metteur en scène de la nouvelle production du Ballo in maschera , a choisi de resituer l’action dans son lieu d’origine, la Cour de Suède, puisque le livret, inspiré de celui qu’écrivit Scribe pour l’opéra Gustave III d’Auber, évoquait l’assassinat, au XVIIIe siècle, du souverain éponyme. Pour des raisons de censure, Verdi et son librettiste durent déplacer l’action à Boston et le héros devint Riccardo, Gouverneur de ce lieu.

Le retour au bercail de l’action se déduit du va-et-vient incessant de choristes déplaçant des bureaux métalliques durant tout le premier acte, et de l’omniprésence sur la scène de chaises et de fauteuils, même en plein milieu de l’« orrendo campo » où se rend Amelia sur les conseils d’Ulrica pour conjurer son amour coupable : on se croirait dans les réserves d’une succursale d’IKEA. Le changement chronologique, auquel aucun metteur en scène ne saurait se soustraire aujourd’hui, laisse à penser d’après certains costumes que tout se passe dans les années 1920. Mais c’est loin d’être clair, et pas seulement à cause de l’obscurité ambiante, autre manie de la scénographie en vogue. A l’exception de la scène de bal, le décor reste uniformément gris et noir et, dans cette atmosphère, les costumes sombres, les bottes et les feutres des courtisans les feraient prendre pour des membres du Guépéou. Seule note baroque de couleur : un plafond incliné, mal raccordé aux parois disposées de guingois -sans doute pour donner l’impression d’un univers clos sur le point de s’écrouler, au cas où l’action échapperait au spectateur-, reproduit la chute d’Icare. Le lien avec le destin de Riccardo est laissé à l’appréciation de chacun.

Olécio partenaire de Wukali

Le spectateur, perturbé par cet univers uniformément sinistre et, par bien des points, grotesque, en oublie la puissance émotionnelle et la beauté poétique de la musique de Verdi, tour à tour exaltée, poignante, angoissante avec des contrepoints festifs qui soulignent d’autant plus la force du destin qui broie les personnages. Les sensations auditives sont comme anesthésiées par les images que lui renvoie la scène. Il est vrai que l’interprétation musicale pèche sur bien des points. A commencer par la direction de Fabio Luisi, l’homme à tout faire dans la fosse du MET, depuis que James Levine a dû renoncer à diriger. Son successeur est loin de posséder son énergie et sa compréhension des partitions. S’agissant de Verdi, le chef italien semble oublier son sens du rebond qui donne à cet univers sonore un mouvement irrésistible, mimétique de la vie même des personnages, de leurs pensées et de leurs actes. Il n’évite même pas les décalages, notamment dans les grands ensembles. Pas grand-chose de séduisant côté chanteurs, du moins en ce qui concerne les deux principaux rôles : Sondra Radvanovsky a un timbre étrange et si sa voix ne manque ni de flexibilité dans les sons filés ni de puissance dans l’aigu, indispensables au rôle d’Amelia, son vibrato peut gêner certains auditeurs. Marcelo Álvarez pose un autre problème : médiocre comédien au physique peu séduisant. Ce qui se remarque à peine de la salle est rédhibitoire à l’écran ; comment croire alors que l’héroïne puisse le préférer à l’irrésistible Dmitri Hvorostovsky ? On attendrait que le chanteur fasse oublier ce handicap. Hélas, il est loin le temps où ce ténor incarnait les promesses d’une relève des Pavarotti ou Carreras dans leurs meilleurs jours. Le timbre reste séduisant mais l’aigu semble court et les accélérations rythmiques mettent la ligne vocale en péril. Mais là on retombe sur la responsabilité du chef qui tient mal ses troupes. Stephanie Blythe avait été une impressionnante Fricka dans le Ring de la saison précédente. Si le registre grave d’Ulrica est bien là, la capacité de sa voix de contralto à se déployer avec aisance dans l’aigu, indispensable chez Verdi et propre à rendre les côtés effrayants du personnage, fait ici défaut. Son accoutrement de petite bourgeoise serrant frileusement sur son sein avantageux un ridicule réticule, achève de lui ôter toute force maléfique en prêtant à rire. C’est sans doute le but visé par David Alden. Mais ce faisant, il détruit l’économie interne du récit, car Amélia paraît stupide en se montrant si docile aux prescriptions d’une sorcière si peu envoûtante tandis que l’incrédulité de Riccardo perd tout aspect tragique.

Restent les prestations de Kathleen Kim en Oscar et de Dmitri Hvorostovsky en Renato. La première a la voix et le dynamisme qui siéent à ce rôle de travesti. Fallait- il pour autant la boudiner dans un costume d’un blanc immaculé soulignant à l’envi ses rondeurs superflues et l’affubler d’une barbichette improbable chez un jeune page ? Le personnage hérite des ailes d’Icare dans le bal costumé final. Il est vrai qu’Oscar, innocemment, provoque la « chute » de son roi. Cette redondance était- elle nécessaire ? Croit-on le spectateur à ce point imbécile ? Le baryton sibérien, quant à lui, n’a rien perdu de son charisme physique et vocal. Certains chipotent sur la qualité de son chant. Avouons qu’on croit au personnage et à ses tourments et que l’image l’emporte sur ce que l’on entend. On regrette d’autant plus que cette grâce ait manqué aux autres protagonistes.

Au total, l’auditeur venu goûter l’une des plus belles partitions de Verdi, au lyrisme sublime, repart l’esprit envahi d’images laides et frustré de l’audition d’une partition qu’il n’aura perçue que par effraction, quand un des chanteurs arrivait à s’affranchir des élucubrations du metteur en scène et de l’inanité du chef.

Danielle Pister


WUKALI est particulièrement reconnaissant au Cercle lyrique de Metz pour lequel cette critique a été écrite et de lui en avoir permis la reproduction.


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