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Spring Breakers ou comment détruire les icônes

par Pierre Roth

Harmony Korine s’est fait une spécialité des ados à la ramasse. Voir « Gummo » (1997) où des jeunes errant dans une ville dévastée par une tornade passent leur temps à zigouiller des matous, sniffer de la colle et uriner d’un pont en visant les bagnoles. Ou « Julien Donkey-Boy » (1999), portrait glaçant d’un garçon solitaire s’enfonçant dans sa paranoïa sans grand espoir de retour. Des films difficiles, noirs, sans appel d’air et qui mettent au grand jour la couche ténébreuse d’une jeunesse paumée aussi mal aimée que mal élevée. L’un des nombreux versants d’une Amérique No Future engoncée dans les tueries de Colombine et de Newton. Avec « Spring breakers », Harmony Korine poursuit son anti-croisade désespérée sur cette jeunesse en mal de repère et d’amour. Mais sur ce coup en proposant un film beaucoup plus mainstream puisque sexe, drogue et rock’n roll sont largement mis en avant pendant 1h35. Sachant que le regard de Korine, bien qu’à priori plus fun, est toujours aussi désespéré…

Spring breakers

Quatre bimbos de 18 ans découvrent ce qu’elles croient être le paradis ultime de la vie : le spring break. Cette fameuse semaine de relâche où les étudiants (et diantes…) d’Amérique du Nord se lâchent complètement dans une station balnéaire après une année d’études intensives. Sept jours de laisser-aller total où – pour beaucoup d’entre eux – l’alcool fort, le cul débonnaire et les lignes de poudre blanche permettent de s’éclater une dernière fois avant l’entrée dans la vie active. Sauf que les quatre donzelles ne voudraient que ça jusqu’à la fin des temps.

Pour subsister sur place, elles improvisent un braquage comme dans les films, se retrouvent au mitard. Puis sont récupérées par un bad-guy fielleux – mix de Scarface et de Joey Star (l’excellent James Franco) – qui les pousse encore plus dans le vice, la vie facile, les guns et le sexe…

Raconté comme ça, « Spring breakers » a tout d’un film d’exploitation basique vaguement post-tarantinesque. Sauf que pas vraiment. Pour le fond, Harmony Korine y met encore son obsession du white trash et, pour la forme, fait ressembler son film à un long clip de MTV sous acide. Le tout bardé d’une ironie constante.

Olécio partenaire de Wukali

Comme l’avait fait Alexandre Aja dans son remake 3D de « Piranhas », le film s’ouvre sur les festivités du spring break où des milliers d’adolescentes – filmées comme de la viande en mouvement – balancent leurs fesses au ralenti sur de la musique techno. Plutôt cool pour les mateurs de popotins imberbes ! Hélas pour eux au bout de quelques minutes, les ralentis s’accentuent pendant que la musique vire dans les graves. Une bonne façon d’annoncer la déjante ambiante qui va suivre…

Spring breakers

Nos quatre lolitas, mignonnes comme tout, pétasses comme ce n’est pas permis, semblent avoir été recrutées dans un casting de film porno californien. Mais non, Korine, un peu vicelard dans l’âme, a pris des actrices adulées par les mômes du monde entier pour avoir participé à des films strictement interdits au plus de 12 ans. Vanessa Hudgens et Selena Gomez (stars de Disney Channel), Ashley Benson et sa propre femme Rachel Korine étant réputées pour leurs filmographies énervantes remplies de « High School Musical », « Arthur et les Minimoy » et autres exercices bien niaiseux. Les découvrir seins à l’air, petites culottes en avant, arme de pointe aux poings, poudre blanche plein le pif ou prises en levrette dans une piscine a quelque chose de vicieusement jouissif. Comme si Jordy se retrouvait aujourd’hui à honorer des MILF* dans un Marc Dorcel. Une façon comme une autre de détruire les icones de l’Oncle Sam…

Quatre naïades en bikini, donc, brandissant un flingue – issue du cerveau déviant d’Harmony Korine – s’encanaillent dans l’enfer paradisiaque du spring break, avec pour guide un dealer à dreadlocks nommé Alien (James Franco, génial). Que leur veut cet improbable personnage bardé de breloques bling-bling, sorte de parodie white trash de gangsta rappeur, mi-Belzébuth, mi-bouffon ? Korine laisse planer le doute, conférant au film une tension malsaine et réversible : du détournement de mineures par un mac pervers au putsch girl power (voir l’incroyable basculement d’une scène de fellation simulée), il n’y a qu’un pas, qu’un plan, qu’il s’agit d’imposer avec manière. Or le style, c’est la matière première du cinéma « ultrasensitif » d’Harmony Korine qui, par la grâce d’un montage musical hallucinogène, délivre un stupéfiant conte dark. Bien et mal, rap hardcore et pop guimauve, fantasme MTV et cauchemar sous acide s’y télescopent pour entrer en résonance, puis en transe, composant un trip hypnotique dopé aux grosses basses et aux fulgurances poétiques. Ici, un braquage nocturne éclairé aux néons flashy ; là, une émouvante reprise d’une ballade de Britney Spears. L’esthétisme totalement psyché de « Spring breakers » dans lequel l’expérimentateur Benoit Debbie (chef opérateur fétiche de Gaspard Noé) s’éclate dans les couleurs flashys / rose bonbon ; histoire de montrer que, toutes vicelardes qu’elles soient, les quatre mignonettes essaient également de préserver leurs âmes prudes de poupées Barbie.

Drôle de mélanges donc, pour ce trip sensoriel truffé de biens mauvaises intentions…

Mélodie, tempo, Harmony.

Pierre Roth


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* MILF : Mother I’d like to fuck


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