La Chronique Littéraire de Maurice Delmas


« Tous collaborateurs, tous résistants », ces mythes qui ont parcouru la société française depuis la Libération ne sont plus de mise grâce aux témoignages des acteurs de cette époque et des travaux des historiens qui dessinent une société française complexe (mais toute l’histoire de France est faite autour de cette complexité) où sous l’occupation une minorité a ouvertement collaboré avec les nazis, une autre minorité est entrée en résistance et une immense majorité est restée dans un vrai attentisme.

De fait, ce qui est le plus intéressant à étudier ce sont les zones entre ces trois catégories. De nombreux livres, des fictions nous montrent des vrais collaborateurs qui deviennent progressivement des sauveteurs de l’humanité. L’exemple le plus connu est Schindler, vrai petit magouilleur profiteur de guerre qui devient progressivement un des justes les plus emblématiques.

Et il y a aussi, tous les « gens normaux » qui subissent les circonstances historiques et qui, tout en restant eux-mêmes, tout en ayant une attitude passive en apparence, de part leur culture, deviennent de véritables résistants. Et pas toujours des résistants qui combattent l’ennemi les armes à la main mais qui refusent par leur action les dictats d’un pouvoir qu’ils savent illégitimes.

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Le plateau du Vivarais-Lignon est un lieu symbolique, non seulement pour l’histoire de France mais pour toute l’humanité, de la coexistence des différentes sortes de résistances : la résistance armée avec ses maquis gaullistes, communistes, etc., mais surtout cette résistance civile dont les acteurs prenaient autant de risques que ceux de la première. Cette résistance civile, face à l’oppression, se décompose en trois moments : l’extraction d’une personne pourchassée, son transfert, son immersion sociale voire pour certaine son évacuation vers un pays étranger.

Le Chambon-sur-Lignon, et les communes environnantes est devenu, à juste titre, dans la mémoire collective, l’exemple mondial de ce qui fut la résistance civile soutenue par une vraie résistance spirituelle.

Le Chambon-sur-Lignon n’est pas devenu ce symbole par hasard.

Le plateau du Vivarais-Lignon est un des hauts lieux du protestantisme dont les habitants gardent en mémoire le souvenir des persécutions que leurs ancêtres ont subit sous l’ancien régime surtout après la révocation de l’édit de Nantes. La défense de l’opprimé, peu importe que ce soit pour des raisons politiques, religieuses ou raciales, fait, en quelque sorte, parti des gênes des autochtones : aider l’autre quand il est pourchassé. Ce n’est pas un devoir pour eux mais une évidence. Une telle évidence qu’on n’en parle pas, tout comme on ne s’occupe pas de ce que fait le voisin ; plus d’un habitant fut étonné d’être remercié pour avoir fait ce qu’il considérait comme une évidence, mais ne le fut pas quand il apprit que dans la ferme à côté de la sienne une famille juive avait passé toute la guerre pour fuir les persécutions nazi sans que personne n’en ait parlé.

Comme l’ont dit les pasteurs André Trocmé et son adjoint Edouard Theis dès le 23 juin 1940, « il s’agit d’agir avec les armes de l’esprit », sans violence.

Le Chambon-sur-Lignon a avant la seconde guerre moniale bénéficié d’infrastructures touristiques et éducatives qui vont être utilisées durant l’occupation dont l’école nouvelle cévenole créée en 1938. Ces infrastructures, au-delà du simple fait touristique, ont été créées dans le cadre du christianisme social véhiculé par le journal local « l’écho de la montagne » et par l’action du pasteur stéphanois Frédéric Comte créateur de « l’œuvre des enfants de la Montagne » qui permettaient à des enfants malades des milieux défavorisés d’aller en vacance ou d’aller à l’école au Chambon sur Lignon, et ceux quelques soient leur religion. A la fin des années vingt, plus de 600 familles du plateau faisaient partie de ce dispositif d’accueil d’enfants et tout naturellement, il continuera à fonctionner durant les années noires.

Et il y a eu des hommes et des femmes engagés comme le pasteur Charles Million qui fut maire de Chambon-sur- Lignon en 1931 et qui fera bénéficier de ses contacts à Genève pour l’évacuation de réfugiés, André Philip qui rejoindra le Général de Gaulle à Londres et dont l’épouse par son action recevra la médaille des Justes. Et des dizaines d‘autres personnes qui par leur action ont permis de sauver des centaines de vies.
Mais surtout, telle la statue du commandeur veillant sur la conscience de l’humanité se trouve le pasteur André Trocmé, percepteur durant un an des enfants Rockefeller, écrivain, objecteur de conscience, membre du mouvement international de réconciliation (mouvement chrétien pacifiste), fondateur de la nouvelle école cévenole et surtout fédérateur des consciences durant l’occupation. Sans oublier le « pasteur à-mi temps » Edouard Theis qui partageait les idées et fut aussi actif qu’André Trocmé.

Ainsi, au début de la seconde guerre mondiale Chambon-sur-Lignon et les communes environnante était prêt à recevoir tous les réfugiés, tous les persécutés, tous les « recherchés » par les autorités d’occupation et vichystes comme ils venaient d’accueillir les républicains espagnols.

Sur le plateau furent très actifs tous les groupes de sauvetage des juifs qui permirent à sauver des centaines de personnes, groupes qui collaborèrent entre eux pour optimiser leur action. Ont y trouve aussi bien des groupes chrétiens comme les quakers, le secours suisse aux enfants, la CIMADE, la direction des centres d’accueil, l’Amitié chrétienne, l’Entraide temporaire, mais aussi des organisations juives comme l’Oeuvre de Secours aux Enfants, les éclaireurs israélites de France et le service André.

Et il ne faut pas oublier, la « passivité », voir la complicité des pouvoirs publics dont le préfet de la Haute Loire Robert Bach qui fait sortir des griffes de la gestapo André Trocmé quand ce dernier fut arrêté, et des gendarmes qui ont fait preuve d’un zèle tout à leur honneur qui a permis aux réfugiés d’avoir le temps de se cacher dans les montagnes chaque fois qu’une rafle était programmée. D’ailleurs, la seule rafle qui a aboutit à des arrestations fut menée par les allemands après qu’ils eurent consignés les gendarmes dans leur caserne. Cela ne va pas s’en faire penser à ce qui s’est exactement passé à la même époque à Cazaubon dans le Gers quand les allemands ont investi le château de Bégué où se trouvait des enfants juifs après avoir mis les gendarmes locaux aux arrêts.

Un des acteurs de cette époque, Serge Klarsfeld, salue l’action bienveillante du Major Schmerling commandant de la Feldkommandantur 801 du Puy qui était loin d’être dupe de ce qui se passait sur le Plateau, mais qui fut ‘une passivité tout à son honneur.

La Montagne refuge raconte l’histoire du plateau durant la seconde guerre mondiale mais pas seulement. Ce livre est surtout une étude approfondie de cette résistance civile, dont les acteurs sont mus par les valeurs humanistes et pas que protestantes, cette résistance civile sans armes qui ne tue pas les hommes mais qui détruit encore plus efficacement l’intolérance et la barbarie.

La Montagne refuge montre comment une modeste station touristique enrichie du souvenir d’un passé douloureux a sauvé, à la mesure de ses moyens, l’honneur de l’humanité.

N’oublions pas qu’avec un autre village des Pays Bas, « les habitants du Chambon-sur-Lignon et des communes voisines » ont reçu un diplôme d’honneur remis par Yad Vashem pour une attitude qui leur était évidente.

Maurice DELMAS


La Montagne refuge

Accueil et sauvetage des juifs autour du Chambon sur Lignon

Ouvrage collectif

Éditions Albin. 25 €

(Sortie en librairie le 17 avril)


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