Walt Whitman est un grand poète de langue anglaise et peut être le plus grand poète américain. Présenter de la poésie est toujours tâche ardue, d’autant plus quand il s’agit d’un texte en langue étrangère, la traduction rendant toujours infiniment difficile le calque des mots choisis. La poésie de Whitman que nous avons choisi de présenter est issue de son premier recueil Feuilles d’herbe , d’abord présentée dans sa version originale en anglais elle est suivie de sa traduction en françaiset aussi accompagnée d’une superbe récitation de la poésie en anglais par

L’introduction à l’oeuvre ainsi que la biographie de Walt Whitman ont été écrites par Monsieur René Berthelot pour les éditions Grasset.


Walt Whitman (1819-1892) est un des plus grands poètes américains, son père était fermier, sa famille d’origine anglaise descendait d’une très ancienne famille de colons installée en Amérique depuis le XVIIème siècle, sa mère était d’origine hollandaise.

Très jeune il quitta l’école et à l’âge de 14 ans il apprit le métier d’imprimeur, puis celui de charpentier, et jusqu’à près de trente ans, il habita New York (Manhattan), Brooklyn et les environs, alternant le travail de l’imprimeur et du charpentier avec le travail des champs, les occupations de maître d’école, la collaboration à divers journaux de New York et la publication d’un journal hebdomadaire. A partir de 1847-48, il entreprit de grands voyages, surtout à pied, à travers les États-Unis et le Canada et visita l’un après l’autre presque tous les Etats du Sud et de l’Ouest, gagnant sa vie par la pratique des divers métiers qu’il avait appris et pour une grande part en collaborant à des journaux. En 1855, sa vocation littéraire et son idéal personnel se précisant à ses propres yeux, il publia à Brooklyn son premier volume de vers, Leaves of Grass. Pendant la guerre de Sécession de 1862 à 1865, il se consacra comme infirmier volontaire à soigner les blessés et les malades des deux armées, dans les hôpitaux et sur les champs de bataille, dans le Maryland, en Virginie et surtout à Washington et dans les environs. Walt Whitman était d’une constitution robuste et jusque-là d’une santé vigoureuse, mais à la suite des fatigues de ces trois années, il eut une attaque de paralysie. Il en guérit, mais sa santé ne se remit jamais complètement.

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Ce que Walt Whitman a voulu exprimer, c’est l’idéal américain, c.-à-d. l’idéal moderne et démocratique, qu’il considère comme le plus simplement, le plus profondément, le plus largement humain qu’il y ait jamais eu; ce qu’il chante, c’est l’expansion libre de l’individualité dans la foule innombrable des humains, l’expansion de l’individu tout entier, corps et âme, dans sa « nudité héroïque », affranchi de tout préjugé de caste, de toute convention sociale, de tout besoin superflu, de toute illusion superstitieuse, acceptant sans réserve et aimant sans limites toute la nature et toute la vie, tous les aspects de l’univers physique et toutes les variétés du travail humain, débordant de la joie de vivre, plein de courage quoi que l’existence lui réserve, et uni à tous ses semblables par un sentiment d’universelle « camaraderie ».

Dédaigneux des conventions acceptées dans le domaine des formes littéraires comme dans celui de l’idéal moral, il a créé un vers sans rime, indépendant de toutes les règles traditionnelles du rythme et du mètre, pour rendre d’une façon plus sincère et plus libre le mouvement des émotions; c’est moins un vers à proprement parler qu’un mode d’expression intermédiaire entre la prose et les vers, analogue à celui que l’école symboliste devait s’efforcer un peu plus tard d’acclimater en France.

Les poèmes de Walt Whitman ont été très attaqués : on lui a reproché tantôt d’être immoral et grossier, tantôt d’être prosaïque et plat dans ses interminables énuméralions, tantôt de n’écrire que des vers informes, étrangers non seulement aux mètres traditionnels, mais à toute espèce de rythme. Il a su cependant conquérir et garder un grand nombre d’admirateurs par sa force de suggestion et d’évocation, par son originalité rythmique, enfin et surtout, par sa sincérité profonde, par la vitalité puissante, l’élan enthousiaste, la virilité toute baignée de tendresse humaine et la noble simplicité qui animent toute son oeuvre.

Sources René Berthelot. Éditions Grasset.


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Song of myself

Poem of 52 parts.
Paragraph 24 of 52.

Walt Whitman am I, a Kosmos, of mighty Manhattan the son,
Turbulent, fleshy and sensual, eating, drinking and breeding;
No sentimentalist-no stander above men and women, or apart from them; No more modest than immodest.

Unscrew the locks from the doors!
Unscrew the doors themselves from their jambs!

Whoever degrades another degrades me;
And whatever is done or said returns at last to me.

Through me the afflatus surging and surging-through me the current and index.

I speak the pass-word primeval-I give the sign of democracy;
By God! I will accept nothing which all cannot have their counterpart of on the same terms.

Through me many long dumb voices;
Voices of the interminable generations of slaves;
Voices of prostitutes, and of deform’d persons;
Voices of the diseas’d and despairing, and of thieves and dwarfs;
Voices of cycles of preparation and accretion,
And of the threads that connect the stars-and of wombs, and of the father-stuff,
And of the rights of them the others are down upon;
Of the trivial, flat, foolish, despised,
Fog in the air, beetles rolling balls of dung.

Through me forbidden voices;
Voice of sexes and lusts-voices veil’d, and I remove the veil;
Voices indecent, by me clarified and transfigur’d.
I do not press my fingers across my mouth;
I keep as delicate around the bowels as around the head and heart;
Copulation is no more rank to me than death is.

I believe in the flesh and the appetites;
Seeing, hearing, feeling, are miracles, and each part and tag of me is a miracle.

Divine am I inside and out, and I make holy whatever I touch or am touch’d from;
The scent of these arm-pits, aroma finer than prayer;
This head more than churches, bibles, and all the creeds.

If I worship one thing more than another, it shall be the spread of my own body, or any part of it.

Translucent mould of me, it shall be you!
Shaded ledges and rests, it shall be you!
Firm masculine colter, it shall be you.

Whatever goes to the tilth of me, it shall be you!
You my rich blood! Your milky stream, pale strippings of my life.
Breast that presses against other breasts, it shall be you!
My brain, it shall be your occult convolutions.

Root of wash’d sweet flag! timorous pond-snipe! nest of guarded duplicate eggs! it shall be you!
Mix’d tussled hay of head, beard, brawn, it shall be you!
Trickling sap of maple! fibre of manly wheat! it shall be you!

Sun so generous, it shall be you!
Vapors lighting and shading my face, it shall be you!
You sweaty brooks and dews, it shall be you!
Winds whose soft-tickling genitals rub against me, it shall be you!
Broad, muscular fields! branches of live oak! loving lounger in my winding paths! it shall be you!
Hands I have taken-face I have kiss’d-mortal I have ever touch’d! it shall be you.

I dote on myself-there is that lot of me, and all so luscious;
Each moment, and whatever happens, thrills me with joy.

O I am wonderful!
I cannot tell how my ankles bend, nor whence the cause of my faintest wish;
Nor the cause of the friendship I emit, nor the cause of the friendship I take again.

That I walk up my stoop! I pause to consider if it really be;
A morning-glory at my window satisfies me more than the metaphysics of books.

To behold the day-break!
The little light fades the immense and diaphanous shadows;
The air tastes good to my palate.

Hefts of the moving world, at innocent gambols, silently rising, freshly exuding,
Scooting obliquely high and low.

Something I cannot see puts upward libidinous prongs;
Seas of bright juice suffuse heaven.

The earth by the sky staid with-the daily close of their junction;
The heav’d challenge from the east that moment over my head;
The mocking taunt, See then whether you shall be master!

Walt [[Whitman]]


Chant de moi-même

extrait du recueil (verset 24 « Feuilles d’herbe »

Walt Whitman, un cosmos, de Manhattan le fils, Turbulent, bien en chair, sensuel, mangeant, buvant et procréant,
Pas sentimental, pas dressé au-dessus des autres ou à l’écart d’eux
Pas plus modeste qu’immodeste.

Arrachez les verrous des portes!
Arrachez les portes mêmes de leurs gonds!

Qui dégrade autrui me dégrade
Et rien ne se dit ou se fait, qui ne retourne enfin à moi.

A travers moi le souffle spirituel s’enfle et s’enfle, à travers moi c’est le courant et c’est l’index.

Je profère le mot des premiers âges, je fais le signe de démocratie,

Par Dieu! Je n’accepterai rien dont tous ne puissent contresigner la copie dans les mêmes termes. A travers moi des voix longtemps muettes

Voix des interminables générations de prisonniers, d’esclaves,

Voix des mal portants, des désespérés, des voleurs, des avortons,
Voix des cycles de préparation, d’accroissement,
Et des liens qui relient les astres, et des matrices et du suc paternel.
Et des droits de ceux que les autres foulent aux pieds,
Des êtres mal formés, vulgaires, niais, insanes, méprisés,
Brouillards sur l’air, bousiers roulant leur boule de fiente.

A travers moi des voix proscrites,
Voix des sexes et des ruts, voix voilées, et j’écarte le voile,
Voix indécentes par moi clarifiées et transfigurées.

Je ne pose pas le doigt sur ma bouche
Je traite avec autant de délicatesse les entrailles que je fais la tête et le coeur.
L’accouplement n’est pas plus obscène pour moi que n’est la mort.
J’ai foi dans la chair et dans les appétits,
Le voir, l’ouïr, le toucher, sont miracles, et chaque partie, chaque détail de moi est un miracle.

Divin je suis au dedans et au dehors, et je sanctifie tout ce que je touche ou qui me touche.
La senteur de mes aisselles m’est arôme plus exquis que la prière,
Cette tête m’est plus qu’église et bibles et credos.

Si mon culte se tourne de préférence vers quelque chose, ce sera vers la propre expansion de mon corps, ou vers quelque partie de lui que ce soit.
Transparente argile du corps, ce sera vous!
Bords duvetés et fondement, ce sera vous!
Rigide coutre viril, ce sera vous!
D’où que vous veniez, contribution à mon développement, ce sera vous!
Vous, mon sang riche! vous, laiteuse liqueur, pâle extrait de ma vie!
Poitrine qui contre d’autres poitrines se presse, ce sera vous!
Mon cerveau ce sera vos circonvolutions cachées!
Racine lavée de l’iris d’eau! bécassine craintive! abri surveillé de l’oeuf double! ce sera vous!
Foin emmêlé et révolté de la tête, barbe, sourcil, ce sera vous!
Sève qui scintille de l’érable, fibre de froment mondé, ce sera vous!
Soleil si généreux, ce sera vous!
Vapeurs éclairant et ombrant ma face, ce sera vous!
Vous, ruisseaux de sueurs et rosées, ce sera vous!
Vous qui me chatouillez doucement en frottant contre moi vos génitoires, ce sera vous!
Larges surfaces musculaires, branches de vivant chêne, vagabond plein d’amour sur mon chemin sinueux, ce sera vous!
Mains que j’ai prises, visage que j’ai baisé, mortel que j’ai touché peut-être, ce sera vous!

Je raffole de moi-même, mon lot et tout le reste est si délicieux!
Chaque instant et quoi qu’il advienne me pénètre de joie,
Oh! je suis merveilleux!
Je ne sais dire comment plient mes chevilles, ni d’où naît mon plus faible désir.
Ni d’où naît l’amitié qui jaillit de moi, ni d’où naît l’amitié que je reçois en retour.

Lorsque je gravis mon perron, je m’arrête et doute si ce que je vois est réel.
Une belle-de-jour à ma fenêtre me satisfait plus que toute la métaphysique des livres.
Contempler le lever du jour!
La jeune lueur efficace les immenses ombres diaphanes
L’air fleure bon à mon palais.
Poussées du mouvant monde, en ébrouements naïfs, ascension silencieuse, fraîche exsudation,
Activation oblique haut et bas.
Quelque chose que je ne puis voir érige de libidineux dards
Des flots de jus brillant inondent le ciel.

La terre par le ciel envahie, la conclusion quotidienne de leur jonction
Le défi que déjà l’Orient a lancé par-dessus ma tête,
L’ironique brocard: Vois donc qui de nous deux sera maître!

Walt Whitman (Traduction d’André Gide)


Ceci est le paragraphe 24, de « Song of myself », poème en 52 parties. Dans sa première édition en 1855, ce poème n’avait pas de titre, pour sa deuxième édition ce fut: « Poem Of Walt Whitman, An American. » C’est seulement avec la troisième édition en 1882, qu’il prit le titre de « Song of myself ».


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