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Lu dans la presse française. Le Figaro.

Publié le 10/05/2013


Par Ariane Bavelier.

Olécio partenaire de Wukali

ENQUÈTE – Alors que l’Europe et l’Amérique se demandent comment maintenir leurs institutions, la Chine et les émirats en construisent à tout-va.

Sheikha Mai, ministre de la Culture du royaume du Bahreïn, est venue assister au dernier Festival d’Aix-en-Provence. Habillée à l’occidentale, comme elle l’est dans son pays. Entre les divers opéras présentés, elle a aimé Les Noces de Figaro, que Richard Brunel met en scène dans un appartement et des costumes d’aujourd’hui. Mme Mai était en repérage: le 11 novembre dernier, Manama a ouvert son opéra, le troisième du monde arabe en ordre de grandeur après Le Caire et Oman, pourvu de 1 001 sièges. Il a été construit dans le quartier de la culture, par les Français de l’agence AS Architecture-Studio.

«Le nombre de 1 001 est hautement symbolique, comme le dit le titre des légendaires Mille et Une Nuits», a-t-elle dit dans son discours inaugural. Pour l’instant, elle dirige elle-même le tout jeune Opéra, alors qu’à Oman, le sultan Qabous, organiste et passionné de lyrique, vient de débaucher Christina Scheppelmann pour la direction de son Royal Opera House à Mascate. Il avait dit que, pour son luxueux bâtiment de 80.000 m² (lustres Swarowski, épais tapis bleu et argent, acoustique et technologie de pointe) dont la moitié en jardins, il lui faudrait le meilleur. Cette Allemande qui l’a aidée à inaugurer l’établissement, depuis l’Opéra de Washington où elle est restée directrice artistique pendant dix ans, a travaillé auparavant à San Francisco, au Liceu et à la Fenice.

Enjeux touristiques et politiques

«La ministre du Bahreïn nous a proposé un partenariat sur plusieurs années», dit Bernard Foccroulle, directeur du Festival d’Aix, qui préfère ce travail au long cours à la vente ponctuelle de ses productions ici et là. «Nous avons signé une convention de travail selon laquelle nous amenons, organisons et présentons des concerts et des opéras à Manama, opérons un travail de médiation à destination des publics scolaires et formons des techniciens aux métiers du spectacle

Le 27 mars, le Mahler Chamber Orchestra essuyait les plâtres de cette nouvelle collaboration. Essais d’alarme incendie pendant les répétitions de l’orchestre, techniciens anglophones mais n’ayant pas en main les manettes du théâtre, éclairagistes introuvables, public mi-voilé, mi-occidentalisé, arrivant au fil des deux ou trois premiers morceaux… Puis, enfin, une attention chaleureuse, le bonheur de la musique et des nouveaux projets. Outre l’envoi de trois techniciens pour une formation au prochain Festival d’Aix, Le Rossignol de Stravinsky, mis en scène par Robert Le Page, fin 2013, L’Enfant et les sortilèges et Les Noces, en 2014.

«Je ne veux pas leur proposer de coproduire des œuvres. Je préfère leur montrer d’abord pour les laisser construire leur programmation, souligne Bernard Foccroulle. Je m’attendais à recevoir des demandes du côté traditionnel. Il n’en a pas été question. Si Les Noces ont tant plu à Mme Mai, c’est justement parce qu’elles sont modernes. Elle ne m’a pas paru femme à s’effaroucher parce qu’il y aurait sur scène des épaules dénudées.»

Pourquoi ces opéras au bout du monde, dans des pays aux antipodes de cette culture musicale ou chorégraphique? Les enjeux touristiques, comme à Abu Dhabi, la volonté de séduire les expatriés ou l’engouement personnel des dirigeants peuvent l’expliquer: «Comme le sultan d’Oman, voyait à tous les Festivals de Salzbourg, le président Jiang Zemin chantait, dit-on, Tosca en privé», raconte Hugues Gall. «J’étais alors directeur de l’Opéra de Paris, il m’a demandé de lui servir de conseiller technique pour construire un Opéra à Pékin aussi symbolique que celui de Sydney. Je lui ai conseillé l’architecte Paul Andreu.

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«L’Opéra est une expression du pouvoir» Nicolas Payne, directeur d’Opera Europa.

Depuis, une cinquantaine d’Opéras se sont construits en Chine , pour le bonheur des architectes contemporains, dont celui de Canton, signé Zaha Hadid. «L’Opéra est une expression du pouvoir. Il s’en est construit par centaines au XIXe siècle quand l’Europe dominait le monde. Maintenant, ils se construisent dans les pays à économie dominante», dit Nicolas Payne, directeur d’Opera Europa. Reste à savoir leur donner un programme et les remplir, ce qui dans les pays de la péninsule arabe se fait pour l’instant encore de manière empirique, même si l’élite du pays, qui vient étudier à Londres ou aux États-Unis, est souvent rompue à l’art lyrique et chorégraphique.

Chanter en mandarin

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En Chine, l’histoire de la princesse Turandot est de rigueur pour les inaugurations. Les Opéras accueillent ensuite des spectacles locaux, des congrès ou des opéras de compositeurs contemporains chinois, extraordinairement prolixes. Dans ce pays où on estime que 40 millions d’enfants étudient le piano et 60 millions le violon, la musique classique a de beaux jours devant elle, comme au Japon où elle a supplanté la musique locale. La basse Hao Jiang Tian, qui a fait sa carrière en Amérique, vient même de monter un programme d’été pour vingt jeunes professionnels occidentaux qui apprennent à chanter en mandarin, avec concert de gala à l’Opéra de Pékin, le 18 août.

Le ballet aussi est un spectacle très prisé. «Nous y tournons avec le Ballet de Bordeaux, précise Nicolas Payne. Un producteur nous réserve un mois et loue les Opéras aux quatre coins du pays pour organiser notre tournée. J’ai choisi pour la prochaine des spectacles sans décors, faute de techniciens sur place. Les spectateurs entrent et sortent pendant le spectacle et n’applaudissent pas quand on salue parce qu’ils nous filment. Les applaudissements éclatent à rideau baissé. À moins que le spectacle ne leur ait pas plu, auquel cas le public en profite pour filer


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