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La Chronique littéraire d’Émile COUGUT.
La vérité n’est qu’un rêve.
Les éditions Stock, dans le cadre de leur collection La Cosmopolite, viennent de rééditer un roman de l’écrivain brésilien Jorge Amado.
Pour les amateurs de littérature sud américaine, ce livre est un vrai régal : il est pétillant, intelligent, drôle, loufoque, mais aussi, derrière l’exubérance, grave, teinté de pessimiste sur la solitude de la nature humaine.
L’histoire se divise en trois parties : A Piripiri, ville balnéaire en banlieue de Bahia, le temps s’est arrêté. Il n’y a plus que des personnes âgées répétant inlassablement les mêmes gestes, faisant les mêmes choses suivant un rituel qui semble immuable jusqu’à ce qu’ils accompagnent un de leurs au cimetière.
C’est dans cet univers qu’un beau jour arrive le commandant Vasco Moscoso de Aragao. Il représente l’inconnu, l’ailleurs, d’autant plus qu’il raconte à qui veut l’entendre sa vie de marin autour du monde, les périls qu’il a affrontés, et bien sûr, ne sommes-nous pas en Amérique du sud, les femmes qu’il a connues dans chaque port.
Bien sur, un envieux, Chico Pacheco ne le croit pas et essaie de trouver la vérité, ou du moins la sienne.
La seconde partie est le résultat de cette quête : Moscoso de Arago, est le dernier rejeton d’une famille de riches commerçants qui passait son temps en beuverie et avec des prostituées dans des « châteaux ». Ne fréquentant que la haute société, il faisait un complexe de n’avoir aucun titre autre que « seu », c’est-à-dire monsieur, aucun autre statut social de part sa naissance ou ses compétences. Pour l’aider, un groupe d’amis, grâce à la corruption lui permettent d’obtenir son diplôme de commandant au long court, une distinction honorifique portugaise. Alors pris par ce nouveau personnage, il se met à collectionner les objets marins, et s’invente toute une vie aventureuse sur les mers, les femmes tant regrettées n’étant que des prostituées dont il s’était plus ou moins entichées ans les bordels.
La ville se divise en deux groupes sans que la vérité puisse être établie.
Mais un jour Moscoso de Arago est obligé de prendre le commandement d’un navire. La traversée sera l’objet de la dernière partie. Elle commence mal pour le héros sujet le premier soir au mal de mer, mais continue dans des conditions idylliques, se montrant avec tous les passagers d’une extrême courtoisie. Il tombe même amoureux d’une veille fille, professeur de piano.
Mais il lui faut exécuter les manœuvres dans le port de Belem.
De fait, même à la fin du roman, le lecteur ne peut savoir où se trouve la vérité entre les récits des deux premières parties. Mais dans le dernier paragraphe Jorge Amado, nous donne la solution, la seule valable pour un humaniste : « Où est la vérité, la vérité totale ?… La vérité est-elle dans ce qui arrive tous les jours, dans les événements quotidiens, dans la mesquinerie et la monotonie de la vie ou réside-t-elle dans le rêve qui nous est donné de rêver pour fuir notre triste condition ? Comment s’est élevé l’homme dans sa démarche à travers le monde : par la répétition, jour après jour, des petitesses et des soucis ou par le rêve libre, sans frontières ni limites ? Où est la vérité : dans la petite réalité de chacun ou dans l’immense rêve humain ? »
Il y a en plus une histoire dans cette histoire, celle du personnage fictif sensé décrire les événements qui se seraient passés à Piripiri autour du commandant Moscoso de Arago en tant qu’historien pour essayer d’avoir un prix. Histoire tout aussi truculente que la principale, avec des interventions souvent « décalées » sur sa triste condition.
Dans les deux histoires entrecroisées se dessinent tout ce monde de rentiers, de prostituées, de politiques, de fonctionnaires véreux, qui fait un des charmes de l’œuvre d’Amado.
Emile Cougut
LE VIEUX MARIN
Jorge Amado
Éditions Stock. 20€