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La Chronique littéraire de Patrick KOPP.
On savait qu’on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments, on saura qu’on ne fait pas forcément mieux avec les mauvais. A quoi bon faire la critique d’un livre qu’on n’a pas aimé et qu’on ne recommande pas ? Ici, point de dehors, point de départ… Antériorité de la littérature européenne, sinon supériorité. De Cervantes, à l’aide ! Pour que la littérature puisse faire entendre son chant, il n’est pas nécessaire (il est bon tout de même) d’explorer la fiction et de ne pas tomber dans le romanesque d’ateliers d’écriture si chers à nos « writers » américains. Il y a loin de l’écrivant à l’écrivain, et c’est une différence de nature, pas de degré… Bartle (pas battle, seul Terry Gilliam peut donner la puissance poétique de Brazil avec la confusion entre les noms du condamné « Tuttle » et de l’innocent « Turtle ») a 21 ans, il est soldat américain en Irak, Murph a 18 ans. Bartle a promis à la maman de Murph qu’il le lui ramènera. On sait alors qu’il n’en réchappera pas et Powers utilise 211 pages à trouver comment le faire mourir. Le lecteur l’aurait fait lui-même si Murph n’y avait songé avant. Il faut dire à Powers ce que dit Daniel Cordier. Les anciens combattants nous rebattent les oreilles d’histoires qui n’en sont pas. Ecrire l’Histoire est bon. Lorsqu‘on opte pour la littérature, on prétend ouvrir un mode que les autres techniques expressives ne peuvent atteindre. Ce que seule la littérature peut dire, il le faut écrire, le reste, il faut le taire. Dans un monde où un criminel imbécile peut au nom d’une religion quelconque dont il usurpe le mot même, tailler, tuer un soldat dans une rue de Londres, nous n’avons plus de sentiment pour la naîveté perdue d’une recrue américaine qui dit tirer sur des civils. Si encore il s’agissait du roman de l’Amérique perdue en Afghanistan ou en Irak, ou même à Dallas. Mais non, il s’agit d’une mise en roman d’une histoire d’armée… Gardons les récits de conscrits pour les mauvais dîners. On ne pourra sauver le soldat Powers. On ne le veut pas. On voudrait tout de même que nos confrères (pourquoi pas de consoeurs critiques dans les grands journaux ? Les récits d’armée seraient peut être mieux jugés.) envisagent les livres pour ce qu’ils sont, et non pour ce qu’ils vendent. Godart écrit « les Américains veulent envahir, parce qu’ils n’ont pas d’histoire. » Ils envahissent la littérature, en plus de l’Irak. Avec le même succès parfois. Godart dit encore du cinéma qu’il ne suffit pas de filmer un décor de guerre pour dire quelque chose de la guerre. Il faudrait plonger le cinéma dans la guerre, et là il n’est pas sûr que le film soit compréhensible. La guerre au cinéma n’est que mauvais théâtre, le cinéma à la guerre exprime l’absent de tout récit. La guerre dans la littérature ne suffit pas, la littérature dans la guerre, oui, mais ce n’est donné qu’à l ‘écrivain. J’ai envie de saluer le second roman de Powers, s’il trouve l’accès à la littérature. Patrick Kopp YELLOW BIRDS Kevin Powers Éditions STOCK. La cosmopolite. 19€ ÉCOUTER VOIR Entretien avec Kevin Powers (en anglais)
Ce n’est pas pour accabler le premier roman de Kewin Powers, diplômé en littérature au Texas et combattant en Irak (on ne saura pas dans quel ordre). C’est pour épingler mes collègues critiques, prescripteurs appointés de livres, du New York Times, « Un premier roman puissant et émouvant », du Guardian « Essentiel. A lire absolument ». Car si l’on va au-delà de l’impulsion d’achat que ces prescriptions contiennent et qu’on pense littérature, force est de constater que ce livre met à mal la thèse du regretté Gilles Deleuze (Pourparlers chapitre 2) lorsqu’il traite « de la supériorité de la littérature anglaise-américaine ». Avec Gilles je recommande à Kevin de lire Thomas Hardy, Melville, Stevenson, Virginia Woolf, Thomas Wolfe, Lawrence, Fitzgerald, Miller, Kérouac » Parce que « tout y est départ, devenir, passage, saut, démon, rapport avec le dehors. » Mes collègues appointés ont ils lu ce livre ? Se sont-ils demandé ce qu’est écrire, et ce qui fait la littérature ? Ont-ils la conscience que nous, critiques, lecteurs, sommes des moucherons commentant des forêts superbes ?