A great French officer,


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La chronique de Félix DELMAS.


A l’heure de la commémoration du centième anniversaire du début de la première guerre mondiale, il ne se passe pas de semaine sans son lot de livres, documents, films, etc. se rapportant à cette époque. Tous n’ont pas la même qualité, la même valeur scientifique, le même angle d’attaque. Un effort particulier a été fait par la direction des archives nationales afin de collationner tous les souvenirs se rapportant à la grande guerre que les particuliers détiennent chez eux. Ainsi j’ai un ami qui y a amené, pour être scanné, un document rarissime en parfait état de conservation : une affiche annonçant le programme de la commémoration du 14 juillet 1919 à Metz où ce la première fois que la fête nationale fut célébrée en Alsace Moselle. Il est certain que le fond ainsi obtenu représentera une base documentaire d’une rare qualité pour les futures études historiques à venir.

L’histoire se fait par les hommes. Leur témoignage est précieux pour mieux appréhender la réalité du vécu de tous ces acteurs. Il est possible de décrire la vie de Napoléon jour après jour, mais ce n’est que la vie de Napoléon. Pour comprendre, analyser son œuvre, il est nécessaire pour un historien de prendre en compte d’autres éléments aussi bien économiques que sociaux. Et le témoignage des « obscurs » permet d’avoir des analyses plus « fines » et surtout d’éviter les contre-sens, hélas trop répandus, dus au fait que l’on analyse les faits historiques à l’aulne de nos valeurs et non à celles de l’époque. Les mémoires du sergent Bourgogne, les cahiers du capitaine Coignet ou du capitaine Lalo en disent beaucoup plus sur la France et les français du début du XIX que le mémorial de Saint Hélène. En ce qui concerne la première guerre mondiale, on se souvient de « Paroles de poilus » qui furent éditées il y a une quinzaine d’année par Librio et France Inter et qui connurent de multiples rééditions. Elles en disent bien plus long sur la vie quotidienne dans les tranchées que les meilleures biographies de Foch, Joffre ou Nivelle

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Avant de devenir de « grands hommes », les héros du Panthéon national ont connu une vie que seule leur destinée nous fait penser qu’elle sort de la banalité, de la normalité qui est le lot de tout un chacun. Bien sûr, cette période de leur vie, avant qu’ils ne sortent de la norme, explique en grande partie pourquoi eux et pas d’autres sont sortis de l’anonymat.

Des milliers d’officiers ont combattu vaillamment lors de la première guerre mondiale. L’immense majorité est sortie de la mémoire collective. Mais parmi eux, il y avait un certain commandant Catroux, les lieutenants Juin, De Lattre de Tassigny, De Gaulle ou encore Giraud. Ils vont tous les cinq faire cette guerre et connaître des sorts différents.

Catroux sera fait prisonnier au début du conflit, de Gaulle sera blessé et fait prisonnier lors de la bataille de Verdun. Les deux autres seront aussi blessés et en garderont des séquelles toute leur vie. Tous seront cités à l‘ordre de l’armée pour leur courage et leurs qualités (record pour de Lattre avec 8 citations, Giraud n’en aura que 4). Si je cite ces officiers c’est qu’Henri-Christian Giraud, en parle, fait des parallèles entre eux, entre leur guerre, leurs idées, leurs philosophies. Bien sûr celui avec qui l’auteur fait le plus de comparaison avec le futur général Giraud est Charles de Gaulle. Il est très intéressant non de comparer, mais d’essayer de comprendre ce qui est déjà en gestation et qui explique les différents qui les opposeront plus tard.

Henri Giraud est lieutenant au 4ième zouave, marié avec Camille, trois enfants quand la guerre est déclarée. Il part au combat plein d’enthousiasme, persuadé comme la plus part de ses contemporains que celle-ci sera courte. Dès le 30 août il est grièvement blessé au poumon gauche, laissé pour mort sur le champ de bataille, mais récupéré par les allemands et parfaitement soigné par ces derniers. Tellement bien, que, bien qu’encore convalescent, avec un drain dans son poumon, il s’évade avec un autre officier le 30 octobre, séjourne deux mois à Saint Quentin ou il travaille comme aide palefrenier et finit par rejoindre la France en passant par le Belgique, la Hollande et la Grande Bretagne, grâce au célèbre réseau belge d’Edith Cavell en étant « officiellement » tour à tour commis marchand, commis forain et coupeur en cravate. Sa blessure, son évasion, lui valent une renommée certaine au sein de l’armée. Il va servir dans des états majors, sauf une très courte période en 1917 où il resservira au 4ième zouave, montrera un courage certain, des qualités réelles de meneur d’hommes. Il finira la guerre comme commandant. Sa hiérarchie a déjà vu en lui un futur général de part ses réelles qualités militaires.

Le livre d’Henri-Christian Giraud est bâti essentiellement à partir des courriers du futur général à sa famille et ceux de son épouse. Se dessine le quotidien d’un officier qui croit en la justesse de son action, qui fait souvent montre d’un certain optimisme quant à une victoire rapide malgré les désillusions régulières des échecs des armées françaises. La victoire est plus longue à venir que prévu, elle demande un lourd tribut en vies humaines dont celles d’amis de Giraud, mais comme, parfois à son étonnement, l’arrière et surtout la troupe tiennent, avec de la « patience » (mot qui revient régulièrement sous sa plume), les alliés sont certains de gagner contre l’Allemagne. Henri Giraud est sur de sa bonne étoile. Lui qui a servi chez les zouaves parle régulièrement de la « baraka », de la chance. Et il s’expose au feu ennemi. Soit il a été très grièvement blessé au début de la guerre, mais cela ne l’empêche pas de se porter régulièrement en première ligne.
A une autre époque, un soldat téméraire et qui avait de la chance devenait général. La Révolution et l’Empire ont su détecter en leur sein des officiers géniaux qui font encore rêver dans le monde entier. La gestion des officiers se faisant plus par relations, réseaux de toutes sortes et sûrement pas par l’épreuve du feu ; l’innovation, le « non militairement correct » étaient loin d’être reconnus, récompensés. On préférait écouter un Joffre et un Nivelle avec des conceptions de la bataille d’un autre temps avec des armes d’une autre époque où le nombre suffisait à la victoire, plutôt qu’un Franchet d’Espèrey voire un Pétain. L’autisme du haut état major qui fit tant de victimes continua : dommage que l’on fit plus confiance à Weygan qu’aux chars du colonel de Gaulle en 1940… Et en une époque où l’armée française compte plus de généraux et bien moins de soldats qu’en 1914, il faut espérer que le territoire national ne connaitra plus de conflit.

La grande guerre du Général Giraud est un témoignage sur la vie, les idéaux, la philosophie de vie de celui qui sera le grand rival de de Gaulle en 1942. Un officier parmi tant d’autres, mais un officier brillant, chanceux, un homme aimant attentif, protecteur pour ses proches. Bien que reposant aux invalides, un nom qui, hélas, progressivement, rejoint ceux des « oubliés de l’histoire », ceux qui ont fait que nous sommes les français d’aujourd’hui.

Félix Delmas


La grande guerre du général Giraud

Henri-Christian Giraud

Éditions du Rocher. 22,90€


Henri-Christian Giraud est journaliste. Ancien directeur adjoint de la rédaction du Figaro Magazine, il est l’auteur de De Gaulle et les communistes (Albin Michel, 1988 et 1989). Aux éditions du Rocher, il a dirigé l’ouvrage collectif Réplique à l’amiral De Gaulle (2004) et publié notamment Le printemps en octobre, une histoire de la révolution hongroise (2006) et L’accord secret de Baden-Baden (2008).


Documentation

Le général Giraud par lui même . In : «Mes évasions» (Extrait)

J’ai eu la vie que j’avais rêvée. Je ne regrette rien. Ce serait à recommencer que je recommencerais, avec la même foi, la même ardeur, la même folie si j’ose dire. Mais il faut avouer que j’ai été gâté. Ce ne sont pas les garnisons de France qui m’ont beaucoup retenu. Elles m’auraient peut-être donné quelques satisfactions mondaines, procuré quelques aventures sentimentales, elles ne m’auraient pas permis de vivre dans l’Aventure, dans la Liberté.

Liberté, liberté chérie, voilà. sans hésitation, le bien le plus précieux qui soit, celui qui comprend tout, la santé, l’indépendance, la gaîté.

Ceux-là ne savent pas le prix de la liberté, qui n’en ont jamais été privés. Il faut avoir vécu dans une prison, dans un camp, sous la surveillance, même discrète, de gardiens sinon hostiles, du moins payés pour vous garder, pour savoir le prix de n’importe quel acte, si insignifiant soit-il, fait librement, sans contrainte, sans autorisation préalable, sans vexation préméditée.

Ce besoin de liberté, il est à la base de la vie des aventuriers, qu’ils soient de grands chemins ou de tout petits sentiers. C’est lui qui fait négliger la pauvreté, la faim, la souffrance et mépriser la mort. C’est lui qui provoque toutes les audaces et enflamme les enthousiasmes. Des mercenaires peuvent se battre bien : des volontaires se battent mieux.

Et quand ces volontaires ont dans le sang l’amour de la Patrie, ils ne peuvent pas admettre un instant que la servitude les arrête dans le service de cette Patrie. La liberté est la condition même de leur existence. Mieux vaut la mort que l’esclavage.

Pour un Français, il s’agit seulement de savoir où finit la liberté et où commence la licence. Notre histoire est farcie de cet antagonisme permanent entre notre besoin inné de liberté et notre attrait malsain pour le désordre, je n’ose pas dire l’anarchie.


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