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La chronique littéraire de Félix DELMAS
En ce centenaire du début de la première guerre mondiale, des dizaines d’ouvrages d’Histoire paraissent sur ce sujet. Pèlerinages de Michel Destombes-Dufermont que viennent de publier les éditions de l’Harmattan n’est pas un livre d’histoire. Surtout pas un livre d’histoire sommes nous tentés de dire tant l’auteur est critique vis-à-vis des historiens. A travers les visites, seul, qu’il a fait dans les cimetières militaires essentiellement du Nord Pas de Calais et de Picardie, Michel Destombes-Dufermont nous fait par de ses réflexions, de ses questionnements sur ces hommes qui sont partis un beau mois d’août pour souffrir comme jamais des êtres humains n’avaient soufferts durant 4 ans.
Dès le début, il avoue qu’il « y a de la naïveté à vouloir se remémorer toutes ces choses, cet immense passé, ou de la prétention. » Mais ce passé l’obsède, en quelque sorte l’empêche de vivre, comme si toute la culpabilité de cette tuerie pesait sur ses épaules. Alors il essaie de comprendre ce qui a pu pousser ces millions d’hommes qui ne se connaissaient pas à s’entretuer. Il essaie mais avec sa culture, avec le savoir d’un homme du XXI siècle, et on peut lui reprocher de ne pas analyser les causes et surtout les mentalités qui ont amené à cette guerre. Il faut dire que Michel Destombes-Dufermont est très critique vis-à-vis des historiens qui, pour lui, n’étudient pas assez l’humain, la psychologie de chaque soldat. « Une guerre, n’en déplaise aux doctes livres d’histoire, cela reste la juxtaposition d’une infinité d’instants vécus seul à seul, face à la peur figée dans l’instant d’une solitude sans fond, face à la mort. » Il a bien sûr raison, mais il est de fait impossible de se mettre à la place de n’importe quel soldat de cette époque, car nous ne pouvons savoir exactement quels étaient les référents culturels, sociaux qui les animaient. D’où parfois des contre-sens dus avant tout à cette démarche bien vaine. Ainsi, il trouve absurde la mort de Charles Péguy, tué d’une balle en plein front, droit, en gants blancs face au feu ennemi. C’est absurde bien sûr, mais pour nous qui savons maintenant que face aux nouvelles armes comme les mitrailleuses, le panache est le plus court chemin vers la mort. Mais Péguy n’a fait que se conformer à la tradition, à ce que les hommes de troupe attendaient de leur officier. Dernièrement j’ai lu « La grande guerre du général Giraud », le capitaine qu’il était s’est comporté comme Péguy durant toute la guerre, mais lui, en plus d’une grave blessure au poumon gauche, a eu beaucoup de chance. Et au niveau psychologique, il suffit de lire les lettres qu’il a adressées à son épouse pour essayer de comprendre ce qui le poussait à participer à cette boucherie, les peurs, les angoisses face à la mort qu’il a pu éprouver au front. Et pour ceux qui souhaitent se plonger dans ce ressenti individuel, en faisant l’effort de gommer le plus possible son ego, il faut lire « Paroles de poilus » et bien entendu les récits des anciens combattants comme Maurice Genevoix, Barbusse, Remarque, Vercel, Dorgelès et même l’extraordinaire « Casse-pipe » de Céline.
Bien sûr la troupe est composée d’individus, bien sûr, pris séparément aucun d’entre eux n’auraient jailli des tranchées pour gagner quelques mètres sous les balles ennemis. Mais il a assez d’études sur la psychologie des foules pour comprendre que, sûrement, nous aussi nous aurions couru vers les barbelés. Sinon comment se fait qu’il y a eu si peu de mutineries ? Comment expliquer que ces millions d’hommes ont accepté des conditions de vie quotidiennes qu’ils n’auraient pas données à des animaux. Nous ne pouvons comprendre la boucherie de la première guerre mondiale si nous voulons analyser ces faits avec notre culture, avec notre ego. Cette guerre montre bien qu’il y a des circonstances qui font que l’homme, l’individu réagit non en fonction de ses intérêts mais d’une idée, d’un idéal qui le dépasse, certains diront qui le transcendent. Les soldats de la Révolution et de l’empire qui chargeaient devant des canons remplis de mitrailles devaient aussi avoir peur, mais ils ont conquis toute l’Europe au nom d’idéaux qui les dépassaient. Et si nous analysons les faits de l’histoire que par rapport à nous, à notre ego, alors jamais nous ne pourrons comprendre les camps d’extermination nazis, et si nous ne comprenons pas, alors les mêmes horreurs peuvent recommencer. L’histoire ne se répète pas, mais elle passe souvent les mêmes plats, alors vouloir comprendre par rapport à son petit ego, on prend le risque de fermer les yeux et d’être alors obligé de manger des plats amers.
De fait, les cimetières de la première guerre mondiale, sont le prétexte pour Michel Destombes-Dufermont de faire un pèlerinage intérieur. Ces tombes, ces croix ne sont là que comme base des questionnements que l’auteur se pose sur lui-même, sur la vie, sur la nature humaine. Et surtout elles l’interpellent comme la caricature de Jacques Chancel dans Radioscopie, quand on lui faisait dire : « Et Dieu dans tout ça ? » Car ce pèlerinage intérieur est aussi un pèlerinage mystique. Michel Destombes-Dufermont est croyant, et ce massacre ne peut que l’interpeler, non sur l’existence de Dieu, mais de sa présence lors des combats. Il opère de magnifiques variations sur le Christ en Croix et finit par conclure que les hommes n’ont rien compris au message divin, que Dieu bien sûr était présent, mais que les hommes refusaient de le voir, de l’écouter.
Sa réflexion finale est d’une grande force et ne peut qu’inciter le lecteur à procéder lui aussi à un pèlerinage intérieur : « Comme en d’autres lieux aujourd’hui sur cette terre, c’est Dieu lui-même que l’homme s’était obstiné à tuer. »
Félix Delmas
Pèlerinages. Libre itinéraire de souvenirs
Michel Destombes-Dufermont
Éditions de l’Harmattan. 13€
Illustration de l’entête: Cimetière militaire de Lihons – Bernard Choquet – Eterpigny (Pas-de-Calais)
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