1814, when Russian troops camped on the Champs-Elysées
La chronique historique de Félix DELMAS.
Le 31 mars 1814, il y a deux cent ans, Alexandre Ier, Tsar de Russie, entrait dans Paris à la tête des troupes de la huitième coalition qui venaient non de battre Napoléon, mais réussir à le berner. C’était l’épilogue de la campagne de France de 1813/1814, la première abdication de l’empereur à Fontainebleau, le retour des Bourbon sur le trône de France en la personne du frère de Louis XVI qui se faisait appeler Louis XVIII depuis la mort de son neveu.
Marie-Pierre Rey est la spécialiste française du Tsar Alexandre Ier. Elle nous avait déjà livré une excellente biographie de ce souverain qui vient d’être rééditée, après avoir été complétée, chez Flammarion. Ce livre est une toute petite partie de la vie d’Alexandre, en quelque sorte un approfondissement des quelques chapitres que Marie-Pierre Rey a consacré à cette période. Période relativement courte puisqu’il ne resta que 8 semaines dans la capitale, mais 8 semaines qui ont profondément marquées l’histoire de France mais aussi de l’Europe.
Le livre commence, évidemment, par la campagne de France, par les difficultés que rencontra Alexandre pour arriver à créer cette huitième coalition, surtout à cause des tergiversations de l’Autriche dont la sœur de l’empereur était Marie-Louise, la femme de Napoléon, et le neveu, le prince héritier du trône, par sa lente progression pour être le chef légitime et incontesté de celle-ci. La campagne de France fut marquée par le génie militaire de Napoléon et par les craintes, les hésitations des alliés. Bien sûr, les français à long terme auraient fini par être battus tant le nombre de combattants était en leur défaveur. Mais la chute de l’empire fut accélérée par la reddition sans raison de Soissons et par le piège tendu par Alexandre qui du convaincre les alliés (en faisant croire qu’ils reculaient alors qu’ils marchaient sur Paris) dans lequel Napoléon est tombé. Bien sûr Mortier et Marmont ont fini par livrer Paris, mais ils purent se replier avec leurs troupes et leurs matériels. Napoléon avait encore sous ses ordres des troupes prêtes à se battre, mais les manœuvres de Talleyrand et la lâcheté des notables du régime impérial ont accéléré la chute de l’empereur.
Alexandre avait pour but de chasser Napoléon du pouvoir. Il a toujours dit et proclamé qu’il faisait la guerre à l’empereur et non au français. Il était très septique quant au retour des Bourbon sur le trône, et les premiers contacts qu’il a avec le duc d’Artois et Louis XVIII ne sont pas placés sous le signe de l’amitié tant ces deux derniers se montrent condescendants avec le souverain russe. Celui-ci a été formé par un percepteur suisse qui lui a inculqué les principes des Lumières, et de plus il a un sens aigu de l’histoire. Il veut promouvoir en France un régime constitutionnel qui correspond aux aspirations de la population, et faire en sorte que la France soit suffisamment forte pour jouer son rôle dans l’équilibre des puissances européennes. Il se heurte non seulement à Louis XVIII mais aussi à ses alliés en premier lieu les prussiens et les anglais. De fait le traité de Paris du 30 mai 1814 laisse à la France des frontières plus grandes que celles de 1792 et exonère la France de tous dommages de guerre.
Tout d’abord logé à l’hôtel Saint Florentin, chez Talleyrand, le Tsar finit par loger au palais de l’Elysée. Durant tout son séjour, il fréquente les salons, l’institut, l’opéra, a une vie mondaine et intellectuelle importante qui en fait « l’idole » des élites parisienne et de la population de la capitale. Il fréquente les « intellectuels » de l’époque : Châteaubriand, Madame de Staël, Benjamin Constant, mais aussi Joséphine et sa fille la reine Hortense ce qui n’améliore pas ses relations avec Louis XVIII.
Alexandre se souvenait de la campagne de Russie et de l’abnégation dont son peuple avait fait preuve. Aussi craignait-il les réactions des français lors du passage des troupes alliés, d’autant plus qu’il connaissait la propagande impériale décrivant les russes et plus particulièrement les cosaques comme des nouveaux huns. Et de fait, malgré ses oukases régulièrement pris, des exactions (surtout de la par des cosaques irréguliers et des prussiens) ont lieu ce qui entrainent des réactions violentes contre les alliés. Il sait que les parisiens ont peur du pillage, aussi ne cantonne-t-il dans la capitale que des grenadiers et des cosaques réguliers de sa garde (au plus fort 60 000 hommes).
Durant les 8 semaines pendant lesquelles les troupes restèrent à Paris, il y eu quelques incidents, surtout avec des soldats français démobilisés, mais globalement, la cohabitation c’est très bien passée. La discipline était très stricte et les punitions très lourdes. Mais les cosaques bivouaquant sur les Champs Elysées devinrent très vite l’attraction du moment. Les soldats russes avaient des soldes importantes grâce à leur doublement par Alexandre pour fêter la paix. Aussi, les commerçants firent des chiffres d’affaires extraordinaires, les restaurants, théâtres, lieux de plaisir, maisons de jeux ne désemplirent pas.
Le 2 juin 1814 Alexandre I part pour Londres. Il reviendra à nouveau à Paris à la tête de ses troupes l’année suivante, et malgré sa volonté, le second traité de Paris mettant un terme définitif à l’épopée impériale est bien plus dur pour la France. S’il arrive à lui laisser l’Alsace, la Lorraine la Franche-Comté, elle perd la Sarre, la Savoie, doit 700 millions de francs d’indemnité et doit supporter durant 5 ans 250 000 soldats alliés dans l’est.
Des milliers de russes resteront en France. Mais surtout de nombreux officiers au contact de la France rentrèrent dans leur pays avec la volonté de changer le régime, d’appliquer chez eux les idées des Lumières et vont fonder des sociétés secrètes dont les fameux décembristes qui vont vouloir déposséder Alexandre en 1825. Parmi eux Mikhaïl Orlov qui avait négocié la capitulation de Paris.
Marie-Pierre Rey rend son étude particulièrement vivante grâce aux nombreux extraits de lettres qui l’émaillent. Lettres, témoignages de tous les acteurs, parfois des anonymes qui permettent aux lecteurs de mieux comprendre les mentalités, les aspirations, les craintes, l’étonnement de tous les protagonistes.
Se dessine le portrait d’un Tsar aimant la France, détestant Napoléon, qui ne veut pas l’affaiblir, l’humilier, qui se méfie des appétits de ses alliés et qui a compris que l’équilibre européen ne peut être possible que si la France est forte. Un Tsar qui a définitivement ancré la Russie en Europe. Un souverain qui était entouré de diplomates, de conseillers de très grande qualité, dont le corse Pozzo Di Borgo, qui se sont montrés aussi visionnaires que leur maître. A cette époque, bien que déjà traversé par des crises de mysticisme, Alexandre I se comporte comme un monarque libéral, les revanchards immigrés faisant pâle figure face à la stature de ce grand homme.
Un Tsar à Paris, ou comment en 8 semaines de crainte les russes se font aimer.
Un Tsar à Paris, ou comment par la volonté, le charisme d’Alexandre, en 1814, la France a pu garder sa grandeur, l’héritage de sa révolution et sa fierté.
Félix Delmas
Un Tsar à Paris
Marie-Pierre Rey
éditions Flammarion. 22€