Scientific and ethical questions about reproduction systems in medicine. What shall we look like tomorrow? Very interesting and impressive!


La chronique de Pierre de Restigné.


Les travaux des anthropologues ont démontré que nos ancêtres d’il y a à peine 400 000 ans mesuraient en moyenne 1m90, et que leur taille moyenne n’était plus que de 1m60 il a 20 000 ans. Jean-François Bouvet se pose la question de savoir à quoi, nous, les homo sapiens sapiens, ressemblerons à l’avenir. Jean-François Bouvet a une vraie légitimité pour aborder ce sujet, non par l’angle philosophique mais scientifique. En effet, l’auteur est docteur ès sciences, agrégé de sciences biologiques et les divers essais qu’il a déjà écrits comme « La stratégie du caméléon. De la simulation dans le monde vivant » ont connu un succès dépassant les frontières de l’hexagone.

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Son nouvel essai : « Mutant. A quoi ressemblerons-nous demain », vient de paraître chez Flammarion. Jean-François Bouvet fait un constat : depuis quelques décennies, l’homme se transforme, il devient de plus en plus grand, de plus en plus gros (voire obèse), est sexuellement plus précoce (surtout les filles) de moins en moins fertile et mâle (surtout les garçons), vit de plus en plus vieux. Ces caractéristiques sont dues à diverses causes comme les progrès de la médecine, un régime alimentaire riche, la prolifération des pesticides et autres molécules chimiques dont le DDT et le bisphénol A. Il dénonce la vanité des « études scientifiques » qui analysent les effets d’une molécule sans prendre en compte « l’effet cocktail », c’est-à-dire les relations que peut avoir la su-dite molécule avec d’autres qui se trouvent ou peuvent se trouver dans son environnement. Sans concession, il dénonce le fait d’arrêter telle ou telle production en faisant croire que le problème est définitivement réglé, alors qu’il faudrait aussi traiter immédiatement ses conséquences qui elles peuvent perdurer durant très longtemps. Les progrès de la génétique permettent de détecter les facteurs de risque qui sont inscrits dans chaque individu, sans que pour autant leur présence dans notre organisme implique automatiquement leur apparition. Mais le danger des progrès de la génétique réside essentiellement dans l’eugénisme, par la disparition, dès la conception de tout fœtus non conforme à la « culture dominante » partagée par les géniteurs. L’affaire Perruche en est la preuve. En outre, à force de ne sélectionner que certains gènes, le capital génétique de l’humanité risque de diminuer mettant en péril sa pérennité.

De plus, les progrès scientifiques, dans les domaines biologiques et médicaux, font ressurgir le vieux rêve de l’immortalité. Et de fait les travaux de Shinya Yamanaka, prix Nobel de médecine en 2012 pour ses travaux sur les cellules « pluripotentes » (cellules qui sont capables d’engendrer tous types cellulaires d’un organisme, sans restriction, aussi bien un neurone qu’une cornée ou qu’un morceau de rate), peuvent y faire penser. Grace à elles il n’est plus impossible d’imaginer que dès qu’un de nos organes montrerait des signes de faiblesse, il soit « refait à neuf » en utilisant ces cellules. Évidemment cela a un coût et seuls les très riches pourraient en bénéficier, créant encore par là une nouvelle frontière dans nos sociétés.

Jean-François Bouvet se penche aussi sur les problèmes liés à la reproduction. Il y a de plus en plus de procréation assistée, de plus en plus de gestion pour autrui (pas toutes liées à des problèmes de fertilité de la femme). On assiste aussi à une progression des césariennes de «complaisance » dont les conséquences pour les enfants sont encore mal connues, mais un lien avec l’augmentation des problèmes d’allergie est loin d’être impossible. La reproduction dans des matrices artificielles est à l’étude dans certains laboratoires. Mais surtout les cellules « pluripotentes » peuvent permettre de produire des spermatozoïdes à partir de quelques cellules de peau… d’une femme. Ainsi la génétique est en mesure d’assurer la reproduction de l’espèce humaine par les femmes exclusivement, sans intervention de l’homme. Faut-il aussi savoir que pour de simples petits problèmes de chromosomes, les enfants ainsi conçus ne pourraient être que des filles.

De fait, le tableau sur la reproduction que nous brosse Jean-François Bouvet montre bien que l’image traditionnelle de la famille occidentale (qui de fait date du milieu du XIXème siècle) autour du triptyque : enfant, mère, père, est devenue totalement indéfendable à court et moyen terme au vu de l’évolution des mœurs et de la science, n’en déplaise aux manifestants contre le mariage pour tous. La science va bientôt permettre de totalement différencier sexualité et reproduction.

Jean-François Bouvet se base dans son essai sur de très nombreuses études, parutions scientifiques. Il dresse un tableau sans concession, des risques qui pèsent sur l’homme, sur ses façons de vivre, d’être, voire de paraître. Au-delà, il offre de nombreuses pistes de réflexions éthiques tant au niveau social que moral. Ce qu’il décrit n’est pas de la science-fiction, c’est la réalité des sciences au jour d’aujourd’hui, même si cette réalité peut faire peur. Car derrière elle se dessinent de plus en plus les spectres de l’eugénisme, de l’uniformisation de l’humanité et de la dictature génétique du « meilleur des mondes » de Huxley.

Pierre de Restigné


Mutant. À quoi ressemblerons-nous demain ?

Jean-François Bouvet

Éditions Flammarion. 19,90€


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