Flammarion vient de ré éditer dans son excellente collection jaune Champs essai deux livres de Simon Leys, l’un consacré à George Orwell, Orwell ou l’horreur de la politique

, où l’on découvre un homme de liberté, de culture et de droiture, le second intitulé Le studio de l’inutilité , un recueil d’articles où l’auteur dresse une série de portraits de personnalités toutes à la fois littéraires ou ayant eu une importance de premier plan dans le champ de l’histoire ou de la pensée contemporaines.

Simon Leys est tout à la fois un européen, (il est né en Belgique) un homme de culture et un homme de son temps, de notre temps. Il s’est installé en Australie, après avoir longtemps vécu en Chine. C’est avant tout un homme libre, affranchi de toutes contraintes de chapelles et partisanes et son regard sur un certain nombres d’événements qui ont fait le vingtième siècle ainsi que sur de grands écrivains ( George Orwell, Albert Camus, Arthur Koestler, D.H Lawrence, Lu Xun, Joseph Conrad, Roland Barthes ou Jean-Paul Sartre) n’est pas sans résonance aujourd’hui quand nos contemporains sont perdus dans un maelstrom informationnel et incapables d’une véritable réflexion, ou pire encore soumis passivement et de façon grégaire à l’air du temps, sans profondeur ni capacité de véritable rébellion

Si pour tous ceux qui se passionnent pour l’histoire de la Chine le nom de Simon Leys constitue une référence ( à la différences de moult auteurs qui ont écrit sur la Chine sans bien n’en connaître ni la civilisation, ni l’esprit, Simon Leys y a séjourné de nombreuses années et a vécu la révolution culturelle, ( Les habits neufs du Président Mao 1971) il parle chinois, ce qui le distingue de certains sinologues auto proclamés, et a pu décrypter sans concession ce qui se passait là bas, tandis qu’en occident de fins intellectuels, ou prétendus tels et parmi les plus prestigieux, ânonnaient toutes sortes d’inepties scandaleuses à la gloire de Mao Tse Toung et du Petit Livre Rouge. Ces mêmes intellectuels, en France tout particulièrement, semblant d’ailleurs aujourd’hui souffrir d’une amnésie on ne peut plus surprenante quand on évoque avec eux ces sujets et cette période pas si lointaine … !

Puisque Simon Leys est un homme de liberté, inféodé à nul courant ni dogme (soit un intellectuel selon la définition originelle et sémantique du terme faut-il le souligner), aussi n’est-il guère surprenant qu’il se soit porté de passion sur la personnalité et l’œuvre de George Orwell, de son véritable nom, Eric Blair.

George Orwell est anglais et finalement assez mal connu en France, hormis bien entendu deux de ses œuvres littéraires 1984 et Animal Farm. L’on sait qu’il fut de ceux qui rejoignirent les Brigades Internationales en Espagne pendant la guerre civile et c’est à peu près tout.

Né dans la classe supérieure moyenne britannique (cette terminologie peut paraître ridicule pour un français mais correspond à une réalité sociologique profonde en Grande-Bretagne) mais d’une origine sociale qui ne lui permit pas tout au cours de ses études d’être accepté par ses condisciples d’une extraction supérieure, il devient après Eton officier de police colonial en Birmanie, ne pouvant se permettre de suivre des études dans les universités prestigieuses d’Oxford ou de Cambridge. Comme le souligne avec subtilité Simon Leys « l’expérience birmane qui dura cinq ans, marqua une étape décisive de sa formation. Elle aggrava encore son sentiment de culpabilité et contribua sans doute à accentuer chez lui certaines tendances vaguement masochistes – qui ne sont pas sans rappeler, mais sous une forme beaucoup plus bénigne, le cas de T .E Lawrence ». Cette spécificité de son parcours contribuera à faire de lui un « écrivain politique » bien que ses premiers pas dans la littérature aient débuté par une œuvre Down and out in Paris and London qui emprunte beaucoup au style journalistique avant que son style ne puisse comme il le souhaitait s’affirmer comme une œuvre d’art. Un peu à l’image d’André Gide, il ne sera pas tendre pour le colonialisme mais plus encore il ne sera pas davantage tendre pour les discours de gauche de feinte compassion : «Ils ont des objectifs internationalistes, et en même temps ils sont bien décidés à maintenir un niveau de vie qui est incompatible avec ces objectifs» le propos aurait presque quelque chose de prémonitoire dans ces temps de crise économique de notre XXIème siècle commençant.

Au demeurant le regard et le style de Simon Leys sont affûtés et pertinents et la force des mots utilisés n’a d’égale que la justesse d’analyse et son angle d’attaque. N’attendez pas de lui des propos émollients et consensuels, il n’est pas à se gorger de mots, à prendre la pose. Simon Leys est aussi un analyste politique et s’il fut un observateur attentif aux convulsions de la révolution culturelle en Chine et aux manipulations de l’opinion par les tenants du régime il trouve en la personne de George Orwell la figure de proue de l’homme libre et progressiste devenu la bête noire des communistes qui allèrent jusqu’à tenter de l’assassiner. 1984 est une des références de la littérature du 20ème, une fiction inspirée de ce que l’auteur anglais eut à connaître dans la dénonciation du totalitarisme stalinien

Dans le second ouvrage de Simon Leys également publié dans la collection Champs essai chez Flammarion, et sous le titre Le Studio de l’inutilité, sont réunis un ensemble de textes disparates au sujet d’écrivains (Ségalen, Michaux, Milosz, Camus, Barthes et à nouveau Orwell) ainsi que de la Chine, de Soon Mayling la très remarquable épouse de Chang -Kai-Shek, de la mer ou une évocation particulièrement documentée de Magellan. Bref une fois de plus Simon Leys est un homme de lettres que l’on affectionne tout particulièrement, sa plume est libre et son esprit est curieux du monde et de l’histoire du temps. Le texte qu’il consacre à Roland Barthes est on ne peut plus décapant et trace de l’illustrissime auteur une image fort peu reluisante qui n’est pas sans évoquer celle d’une majorité bien pensante ou se croyant telle et qui distille l’alpha et l’oméga pour tous ceux qui veulent bien l’entendre.

L’évocation avec moult détails et dans toute l’étendue de son horreur du génocide Khmer dans son contexte tout à la fois politique et diplomatique fait froid dans le dos. Les différents textes réunis dans ce recueil appartiennent ainsi à différents registres, voix de la liberté et de l’indépendance de l’esprit. C’est d’ailleurs peut-être bien cela qui dérange tant, et c’est aussi pour cela même que nous, nous adorons !

Pierre-Alain LÉVY


Orwell ou l’horreur de la politique

Simon Leys

Champs essais. Flammarion. 6€


Le studio de l’inutilité

Simon Leys

Champs essais. Flammarion. 9€


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