What else ?
La chronique littéraire d’Émile COUGUT
La Villa, une maison au Lieu dit le Moulinet sur le Bassin d’Arcachon, en face du Cap Ferret. Le Moulinet, station balnéaire où réside un microcosme local, composé de familles de la grande bourgeoisie qui se surveillent, s’épient, et surtout qui se taisent, qui ne parlent pas, tout est en sous-entendus, en non-dits, tout se sait, même les pires secrets, mais surtout on n’en parle pas. Surtout à des « étrangers », à des personnes qui ne font pas partie du même « monde ». C’est le cas d’Aurore. Elle est mariée avec Roland, architecte respecté qui passe son temps au quatre coins du globe, Roland qu’elle aime passionnément malgré leur différence d’âge, malgré un passé dont il ne parle pas, Roland qui a permis à l’adolescente orpheline, déjà meurtrie par la vie, de se reconstituer, de lui permettre de vivre libre, sans aucun souci financier, dans un monde totalement artificiel car ne correspondant en rien avec la vie de ses contemporains, mais cette liberté lui permet de vivre comme elle aspire : elle peut peindre et être seule. Car, si elle habite, par choix au Moulinet et non à Paris, son mari n’est que très rarement là.
Dans ce monde artificiel, un crime horrible est commis. S’ensuit une remise en cause de la part d’Aurore de ce qu’elle est, de ce qu’elle cherche, de son amour. Elle s’aperçoit que sa voisine, qu’elle ne remarquait pas, est une femme en déroute, obnubilée par l’idée de « sauver » son fils Diego ; que de fait son mari avait une vie au Moulinet avant elle et que cette vie sans qu’elle le veuille la rattrape et marque même le tableau qu’elle est en train de peindre.
Aurore est une femme totalement déconnectée de la vie, elle ne s’est toujours pas remise de la mort de son père (bonjour Œdipe!), elle est dans une prison dorée dans laquelle la placée Roland. Cette prison, qui est celle de son amour, lui convient car elle lui permet de ne surtout pas fréquenter la réalité, cette réalité qui vient à elle sans qu’elle l’ait demandée. Elle lui arrive à cause d’une hésitation que son mari eut au téléphone quand elle lui parla du crime. Mais, sauf si je n’ai rien compris (et pourtant j’ai relu le passage trois fois), on comprend mal en quoi ce silence peut causer ce déclic et les transformations qui s’ensuivent. Soit, elle n’a toujours pas assumé la mort de son père, Amina Danton ne se prive pas de nous le rappeler chaque fois qu’elle le peut, soit Roland a une vie, des vies, hors de celle qu’il peut avoir avec Aurore. Mais elle l’a toujours su et accepté. Il en est de même de ses vies passées, de son désir maladif de plaire aussi bien à des femmes qu’à des hommes. Pourquoi le fait que le défunt fils de la victime fut son amant plus de vingt ans avant, remet il en cause son présent ? Je n’ai toujours pas perçu le lien…
Les personnages, tous les personnages, même les plus secondaires (les enfants, la gouvernante,…) sont caricaturaux, ou plus exactement agissent de façon si convenue, occupant tellement parfaitement le rôle que l’on pense qu’ils ont dans la société. Irène la voisine dépressive est parfaite à ce niveau, quant à son fils Diego, son attitude est incompréhensible du moins à ce que l’on comprend à partir des dires de sa mère, il est une sorte d’ombre sans aucune consistance et rien n’est compréhensible dans son attitude. Non que celle-ci soit irrationnelle mais à part un ou deux lieux « communs fourre-tout donné par Irène » (« c’est de la faute de son père »), rien ne peut faire comprendre ses réactions, surtout à la fin. Tout est convenu, même la fin du roman, la fin au Moulinet, la fin à Paris. Et je ne parle pas de ce qui m’énerve dans mes lectures, les inexactitudes, les à peu-près : ainsi, l’enquête de voisinage est faite, et c’est normal, par les gendarmes, mais l’enquête criminelle est faite par le commissaire de police local.
Aurore disparaît n’est pas un roman policier, le crime n’étant là que pour être le révélateur, le grain de sable qui vient déranger des habitudes bien instituées. Mais n’est pas Simenon qui veut, et ce qui aurait pu être un excellent livre ne l’est pas.
Émile Cougut
Aurore disparaît
Amina Danton
Éditions Mercure de France. 17€