Record sale in Shanghai for ancient chinese antiquity dating Ming period
Lu dans la presse
À chacun sa culture. À chacun son icône pour afficher son niveau de fortune. Quand certains choisissent d’accrocher Warhol, Basquiat ou Bacon sur leurs murs, d’autres préfèrent avoir dans leurs vitrines une céramique de quelques centimètres de diamètre avec pour simple motif un coq, une poule et des poussins picorant dans un jardin planté de lys jaunes et de roses rouges…
Pour nous Européens, ce record à 36 millions de dollars (26 millions d’euros) peut paraître totalement démesuré. Mais pour les Asiatiques, ce rarissime petit bol à motifs polychromes sur fond blanc fabriqué sous l’ère Chenghua (1465-1487), époque où l’art Ming était à son sommet, n’a pas de prix.
«C’est le Graal de la porcelaine chinoise», a déclaré à l’issue de la vente, Nicolas Chow, vice-président de Sotheby’s. Il existerait moins de 20 bols de cette facture dans le monde, dont seulement quatre en mains privées. Le précédent record, 32,5 millions de dollars, date de 2010 avec la vente d’un vase Qianlong en forme de jarre.
L’acquéreur de ce trophée emporté au téléphone n’a pas tardé à se faire connaître. Cela ne pouvait être qu’un Chinois fier de garder ce joyau du patrimoine dans son pays. Et qui plus est, un des nouveaux milliardaires asiatiques dont le nombre a explosé ces dernières années. Il s’agit de Liu Yiqian, connu des maisons de ventes pour ses achats de couvertures de catalogue. L’ascension fulgurante de ce Chinois, plus spéculateur que collectionneur, est digne d’un feuilleton télévisé.
«Le Graal de la porcelaine chinoise»
Habillé en tee-shirt et souvent mal rasé, l’homme qui a eu un sacré flair en faisant fortune à la Bourse de Shanghai dans les années 1990, ne paye pas de mine. Ce fils d’une famille ouvrière ordinaire n’a fait aucune étude. À 14 ans, il quitte l’école, pour aider sa mère dans le commerce de sacs à main. Dans une économie en plein boom, cet ancien chauffeur de taxi se lance dans l’investissement d’entreprises à fort développement. De culbute en culbute, son capital grossit. Juste avant les JO de Pékin, en 2008, il aurait pris des participations dans une société immobilière d’infrastructures sportives et en serait sorti avant la baisse.
À 50 ans, il est aujourd’hui à la tête d’un énorme conglomérat industriel. Dans le magazine Forbes, il porte le numéro 200. Avec une fortune estimée à 1,2 milliard d’euros, Liu achète aussi de l’art ancien, comme ce rouleau calligraphié payé dernièrement 6 millions de dollars et qui est aujourd’hui au cœur d’une querelle d’experts quant à son authenticité. En 2010, sa collection d’une soixantaine de peintures chinoises et calligraphies de la dynastie des Song a été montrée au Poly Art Museum de Pékin. Un jour, il sautera peut-être le pas vers l’art d’Occident.
En revanche, sa femme Wang Wei, «une jolie brune assez imbue de sa personne», selon un marchand français installé à Shanghaï, investit dans l’art contemporain. Le couple a fait dernièrement la une de la presse chinoise avec l’inauguration fin mars du Long Museum, le plus grand musée privé à ce jour, établi à Pudong, de l’autre côté de la rivière Huangpu. Construit par Zhong Song, artiste et architecte chinois de la génération post-1970, ce cube de granit minimaliste de 33.000 m2, disposant d’une surface d’exposition de 16.000 m2, abrite de l’art contemporain chinois au rez-de-chaussée avec des artistes comme Fang Lijun et Zhou Chunya, les peintres classiques de l’ère Mao jusqu’à 1979 et les objets traditionnels chinois aux étages, avec des pièces impériales Song. Le bol record y vient de prendre place.
La collection du couple est à quelques pas du nouveau Yuz Museum construit par le Japonais Sou Fujimoto à la demande du Sino-Indonésien Budi Tek, un très jeune collectionneur d’art contemporain qui court de foire en foire, à travers le monde. Ces nouveaux milliardaires se livrent à une compétition sans merci pour être le numéro un des acheteurs d’art, signe de reconnaissance sociale. Avec des moyens sans limite, Liu Yiquian et Wang Wei envisagent d’ouvrir, dans un an, un second musée consacré cette fois uniquement à l’art contemporain, dans le West Bank Media Port, du côté de la rivière Xuhui.
Le Figaro / Béatrice De Rochebouet