Shani Boianjiu is a young Israeli author. This is her first novel and obviously an excellent start.
La chronique littéraire d’Émile COUGUT.
Les éditions Rober Laffont viennent de publier le premier roman d’une jeune auteur israélienne Shani Boianjiu. Elle est née en 1987 à Jérusalem et a grandi dans un petit village à la frontière avec la Syrie et le Liban, Kfar Vradim. Après ses deux ans de service militaire, elle est allée étudier à Harvard.
Ces quelques précisions, sans être nécessaires, font comprendre que Nous faisions semblant d’être quelqu’un d’autre est avant tout un roman fortement inspiré par le vécu de l’auteur. Ce roman est écrit en grande partie à la première personne du singulier, du moins dans les passages qui concerne l’héroïne, Yaël. Sinon il est écrit à la troisième personne quand il s’agit des deux amies de Yaël : Avishag et Léa ou de personnages secondaires que rencontre une des trois filles.
Si le premier court chapitre décrit la vie de toutes les trois à l’école d’un petit village à la frontière libanaise, l’essentiel du roman concerne leur vie durant le service militaire. Elles ne le font pas ensemble, mais au moins quatre constantes se retrouvent quelque soit leur lieu d’affectation : l’ennui (il y a beaucoup de temps morts où elles s’ennuient de n’avoir rien à faire) ; l’absurdité, parfois teintée de sadisme, souvent plein de dilettantisme et de machisme des ordres des officiers ; les magouilles et autres petits arrangements qui s’ils n’ont que peu de conséquences en temps de guerre peuvent en avoir de mortelles en temps de guerre comme durant celle du Liban de 2006, et le sexe. Pour tous ceux qui ont fait leur service militaire, que ce soit en France ou en Israël, il existe bien des similitudes. La grande différence et qu’en France les femmes ne le faisaient pas, et donc il y avait nettement moins d’occasion de faire l’amour qu’en Israël.
Yaël est moniteur de tir, lors de la guerre du Liban en 2006, elle aura conscience et se sentira impuissante des problèmes de logistique qui causeront la mort d’un grand nombre d’appelés. Avishag, la dépressive a rejoint la première unité combattante féminine et se retrouvera dans un mirador à la frontière égyptienne. Elle se sent aussi utile que le héros de Désert des Tartares de Dino Buzzati. Léa, la plus autoritaire, la plus fière des trois, se retrouve à un check point en Cisjordanie et devient officier pour donner et non recevoir des ordres. Elle se trouve face à des situations cocasses comme devant ces trois palestiniens qui manifestent pour demander la réouverture d’une route et veulent être dispersés pour attirer les médias internationaux sur leurs problèmes. Il n’y a aucune haine, aucune forme de racisme contre les palestiniens, les arabes qui veulent la remise en cause de l’état d’Israël, au contraire, une certaine forme d’empathie, une volonté de comprendre un point de vue qui ne peut être le leur. Elles font leur service militaire parce qu’il est normal de le faire, elles ne remettent pas en cause cette obligation, elles ne le font pas pour tuer, apprendre à tuer.
Pourtant la violence, la mort sont toujours présentes, depuis leur enfance elles sont partout, pouvant surgir de façon inattendue, violence et mort qui peuvent amener au suicide. Mais elles font partie de leur vie, ce n’est pas que les héroïnes s’en accommodent, mais d’une certaine façon elles vivent avec comme s’il était normal que la violence et la mort soient naturellement présentes, quotidiennes de façon si manifeste dans toute société humaine.
La dernière partie est la plus « faible » de ce roman. Un premier chapitre réunit les trois amies lors d’un nouveau conflit avec la Syrie et se trouvent être les victimes de soldats israéliens plus ou moins drogués qui les violent et les torturent en exutoire de la peur qu’ils ont eue au combat. Le dernier chapitre raconte les liens de Yaël avec sa mère quand elle était petite. Nous apprenons alors qu’elle est d’origine yéménite et que le racisme existe aussi en Israël. Mais cette dernière partie ne fait qu’effleurer le caractère, les motivations des protagonistes, de tous les protagonistes aussi bien des trois filles que des soldats. Seule la mère de Yaël devient un personnage « complexe », décrite avec sensibilité et empathie.
Cette restriction apportée, il n’en demeure pas moins que Nous faisions semblant d’être quelqu’un d’autre est un livre qu’il faut lire ne serait-ce par ce qu’il aborde un thème rarement abordé en littérature : les femmes au service militaire. De plus, il est très bien écrit : Shani Boianjiu sait, en quelque mots, dans des phrases courtes, limpides, décrire et créer une atmosphère. Pas de longues digressions sur des détails, mais une vision d’ensemble d’une parfaite précision. Par exemple une scène entraperçue dans son village : « Je vois des maisons et des jardins et des mères de nourrissons assises sur des bancs, éparpillés comme des pièces de Lego abandonnées par un enfant géant au bord de la route cimentée qui mène aux montagnes brunâtres et somnolentes, au loin. » Même ceux qui ne connaissent pas les paysage, les villages d’Israël savent où se déroule cette scène.
Nous faisions semblant d’être quelqu’un d’autre est un beau témoignage plein d’empathie pour la vie de jeunes filles désirant vivre dans un pays en lutte pour sa survie.
Emile Cougut
Nous faisions semblant d’être quelqu’un d’autre
Shani Boianjiu
Éditions Robert Laffont. Collection Pavillons. 25€
Sortie en librairie le 25 août