Russian soft power: Chekhov, Pushkin, Tolstoi and Gorki support the master of the Kremlin
L’éditorial de Pierre-Alain LÉVY.
Le temps présent ne se comprend pas seulement ni ne s’analyse qu’au rythme du mouvement saccadé des dépêches de presse. Le temps politique, l’événement d’aujourd’hui, s’inscrivent d’abord dans la durée et sur le long terme. L’histoire en action, c’est à dire le fait politique dans la plénitude de ses composantes, est toujours quelles que soient ses variantes, le fruit d’une alchimie ancienne plus complexe et diversifiée.
C’est à peu de choses près ce que vient de rappeler Vladimir Poutine, dans une allocution subliminale, lors d’une visite à Yalta en Crimée dans la maison-musée de Tchékhov, là-même où fut écrite « La Cerisaie ». En effet cette péninsule méridionale au sud de la Grande Russie (Великая Русь) et rattachée à l’Ukraine, un temps appartenant même à l’empire ottoman, a souvent servi de lieu de villégiature à nombre de célébrités russes et tout particulièrement ses grands écrivains tels aussi Pouchkine, Tolstoï ou Gorki. Dans son adresse à la presse, Vladimir Poutine fit allusion au célèbre poète russe né en Ukraine, Maximilien Alexandrovich Kirienko-Volochine (1877-1932) dont un musée en Crimée célèbre aussi la mémoire (moins connu en Europe occidentale que ses illustres confrères, il fut un des chefs de file du mouvement symboliste russe, un critique éminent, et un traducteur de nombreux poètes français, un humaniste respecté et un citoyen du monde).
Le président de le Fédération de Russie, en homme politique habile, a également assorti son discours de promesses économiques et financières afin de développer en Crimée en priorité un« tourisme culturel qui rendra compte de l’héritage culturel et historique » qui selon lui incarne «l’identité spirituelle de la péninsule et lui permettra de retrouver son lustre passé», sans manquer bien entendu de célébrer les liens historiques entre la Crimée et la Russie.
S’adressant ainsi à un auditoire dépassant largement le cadre intellectuel et littéraire russe, Vladimir Poutine depuis Yalta dont le seul nom évoqué est riche aussi de mémoire et de la Guerre patriotique, a inscrit son action politique dans le grand cadre de l’histoire de la Russie et du mouvement de son développement culturel et territorial dont on ferait bien aux USA comme dans certaines chancelleries européennes de méditer le sens afin de ne pas tomber dans des réflexes atlantistes datant de la guerre froide.
Depuis Pierre le Grand, la Russie est partagée entre deux tropismes, occidental ou européen et asiate ou sibérien. Ostraciser la Russie comme dans l’affaire ukrainienne n’est peut être pas le meilleur moyen diplomatique pour construire l’Europe ! Se comporter envers la Russie d’aujourd’hui comme au temps passé de la Guerre froide n’est certainement pas non plus de bonne intelligence. A vouloir intégrer l’Ukraine dans l’Otan, les occidentaux avec les américains en tête, provoquent et humilient la Russie.
À cet égard les fautes majeures politiques et militaires des USA sous la présidence Bush dans la guerre contre l’Irak et ses catastrophiques résultantes contemporaines devraient nous porter à réfléchir et nous donner du sens critique avant que de démoniser ce qui se passe à Moscou. Plus près de nous, les orientations diplomatiques du Président Obama, une fois retirées les cosmétiques de présentation et de séduction du marketing politique, ont produit des effets désastreux dont on observe au quotidien les résultats pour le moins inquiétants.
A l’Europe, à la France d’avoir le courage de présenter une volonté qui réconcilie développement et liberté et qui dise haut et fort les valeurs qui sont celles de la démocratie que nous avons inventée.
Vouloir défendre les libertés et les droits de l’homme en Russie bien entendu mais avec plus d’intelligence et de subtilité et certainement pas en enfourchant les argumentaires faiblards d’un manichéisme de façade. Les immenses artistes russes, des écrivains aux musiciens, font partie intégrante de l’héritage patrimonial et intellectuel européen et occidental. Poutine a parfaitement compris les avantages qu’il pouvait en tirer. Feindre de méconnaitre l’apport de la Russie à l’histoire de l’occident est d’une imbécillité sans nom. Mettre au pilori économique la Russie n’est qu’une temporisation dont les effets on le voit dores et déjà sont loins d’être bénéfiques en termes diplomatiques et conduisent en retour à des contre-mesures économiques perverses pour l’Europe. Vladimir Poutine démontre des capacités stratèges qu’il conviendrait de ne pas sous-estimer.
Pierre-Alain Lévy avec Sergueï Ivanov correspondant de Wukali à Moscou
WUKALI 17/08/21014
Illustration de l’entête: Vladimir Poutine et le Premier Ministre Dimitri Medvedev en visite à la maison-musée Tchekhov à Yalta le 14 août 2014.