Florian Laconi’s recent actuality


L’ amour du chant lyrique par Florian LACONI.


Sous le regard d’Auguste.

Olécio partenaire de Wukali

Orange, voilà où me portent mes pas et mes engagements, presque tous les étés depuis 10 ans…

Que sait-on du théâtre antique d’Orange ? Il fut construit sous le règne d’Auguste au Ier siècle par les vétérans de la IIe légion de Jules César, c’est un des théâtres romains les mieux conservés au monde, particulièrement son mur extérieur avec l’élévation d’origine (103 m de large pour 36 m de haut). Le premier festival qui s’y déroule chaque été depuis 1869, est appelé « Fêtes romaines », puis « Chorégies d’Orange » à partir de 1902, et depuis 1971 « les Nouvelles Chorégies ».

Depuis plus de 40 ans, les Chorégies sont devenues un des rendez-vous estivaux lyriques, les plus populaires d’Europe.

Mais pour moi, Orange, ca n’est pas qu’un festival. C’est une partie de ma vie, une famille.

Souvent la question m’est posée de savoir quel effet cela fait de chanter dans un tel endroit qui, rappelons le, peut accueillir jusqu’à 9000 spectateurs. Il va de soit que cela est impressionnant et je mentirais si je disais que l’on s’y habitue. C’est toujours la même émotion que d’y revenir, toujours la même magie, même après y avoir chanté, comme moi, sept productions (Les Contes d’Hoffmann, Lucia di Lammermoor, Carmen, Pagliacci, Mireille, Turandot et Otello). On se sent petit et humble, au pied de ce mur vieux de 2000 ans, mais aussi sur cette scène où bon nombre de mes illustres collègues se sont produits. En effet depuis 1902 les Chorégies d’Orange, puis depuis 1971 les « Nouvelles Chorégies » ont réuni régulièrement des distributions internationales de très grande qualité. Je ne pense pas me tromper en disant que les plus grands interprètes de ces quatre dernières décennies s’y sont succédés (Pavarotti, Domingo, Carreras, Bacquier, Caballé, Alagna, Nucci …), sans parler des plus grands chefs d’orchestres (Maazel, Chung, Prêtre, Plasson…).

Pour cette édition 2014, ce fut le rôle de Cassio dans Otello de Verdi, que Raymond Duffaut, directeur des Chorégies depuis plus de 30 ans, m’avait offert. S’il ne fait pas partie du trio des personnages principaux (Otello, Iago, Desdemona) Cassio est le second rôle de ténor de ce chef d’œuvre. Il en est un peu le personnage pivot puisqu’il sera l’élément déclencheur de la vengeance de Iago, de la jalousie d’Otello et, par extension, de la mort de Desdemona. Voilà de quoi en faire un personnage passionnant à jouer et à chanter.

Mais le cadeau que l’on m’a fait en me permettant de l’interpréter n’aurait pas été complet si je n’avais pas été aussi merveilleusement entouré que je le fus cet été. En effet, la production était mise en scène par Nadine Duffaut, extraordinaire artiste, musicienne de formation qui connaît la partition par cœur de la première à la dernière note. Nous étions dirigés par le sublime chef coréen Myung Whung Chung, qui a su nous transmettre tout son amour de cet ouvrage à chacune des notes jouées, dirigeant Verdi par cœur, sans partition en osmose totale avec son orchestre. J’avais le privilège de partager la scène avec trois très grands artistes avec qui j’avais déjà eu le plaisir de chanter une production de « I Pagliacci » de Ruggero Leoncavallo sur cette même scène en 2009: Iago était interprété par Seng Hyoun Ko, baryton coréen habitué d’Orange. Inva Mula avait revêtu les traits de Desdemona, et Otello, le Maure de Venise, était tenu par Roberto Alagna, très attendu dans ce rôle, puisqu’il y faisait ses débuts scéniques.

Autant dire que cette production se présentait sous les meilleurs auspices et que tout laissait attendre une soirée d’opéra merveilleuse. Et c’est ce qui se passa sans surprise. Les deux représentations furent magiques, Shakespeare et Verdi étaient présents dans toute leur splendeur, unissant leurs puissances dramatiques en un opéra fort et profond. Dès les premières mesures nous avons senti une communion avec le public, la musique de Verdi était notre lien, une chaîne qui nous unissait, au pied de ce mur deux fois millénaire. L’intensité montait un peu plus à chaque scène, Roberto Alagna nous offrant une interprétation d’une violente sensibilité.

Si je ne devais garder qu’une image, ce serait probablement le final où, en scène, je voyais le lit où Desdemona était étendue morte à contre jour dans la lumière d’un projecteur. Otello, penché sur elle, entonnant dans la douceur du soir orangeois ce déchirant final « Niun mi tema » : après s’être percé le flanc d’un coup de poignard, il demande un dernier baiser à Desdemona sans vie « Un Bacio !! Un altro bacio »… Le maure expire sous les yeux de la statue d’Auguste qui surplombe le mur du théâtre antique. Après un silence pesant, le tonnerre des applaudissements déchire la nuit… Mémorable .

Avoir humblement contribué à apporter une petite pierre au bel édifice de ce spectacle magnifique me remplit de joie et de fierté, car les productions se suivent et ne se ressemblent pas : l’enthousiasme n’est pas toujours aussi fort que pour cet Otello. Pourtant, le plaisir de chanter reste toujours le même, surtout quand on a face à soi de vrais artisans de l’opéra qui considèrent les chanteurs comme des pierres brutes mais nobles qu’ils doivent polir à leur manière, toujours avec amour et respect.

Quand nous ressentons cela, nous pouvons donner le meilleur de nous même. L’échange humain est véritablement capital pour la réalisation et la cohésion d’un spectacle : avec cette édition 2014 des Chorégies d’Orange, je pense que nous y sommes parvenus.

Florian Laconi


Illustration de l’entête: Florian Laconi. Photo ©Marine Foissey


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