Russians in Paris, a long story similar to love affairs with its ups and downs
La chronique de Félix DELMAS.
Qu’est ce que ce livre ? Dans quelle catégorie faut-il le ranger dans sa bibliothèque ? Celle des romans comme le laisse préjuger son titre ? Ou bien dans l’histoire comme on peut-être poussé à la croire quand on lit la « quatrième de couverture » ? Ou encore dans les souvenirs familiaux ? Les souvenirs de l’auteur ? Difficile à déterminer car il y a tout cela dans ce livre : un peu d’histoire, un peu de création romanesque, la présence des grands parents de l’auteur, ses souvenirs, ses rencontres pour chercher de la matière à ce livre. Le début du livre tend plus à développer le côté historique, la fin plus ses souvenirs, car l’auteur n’oublie pas que ces quatre grands parents sont des russes blancs immigrés comme tant d’autres à Paris, chassés de Russie par la révolution bolchévique, et comme ils n’étaient pas du côté du prolétariat ni de la paysannerie, l’histoire est là pour nous montrer que l’exil était bien l’unique solution pour ne pas être assassinés.
Alexandre Jevakhoff considère, à juste titre, que la première russe à connaître Paris, comble de l’histoire, est surement une ukrainienne (dommage qu’il n’y ait aucune ligne sur les différences et les liens entre russes et ukrainiens) : il s’agit d’Anne de Kiev, fille de Iaroslav le grand, petite fille de Saint Vladimir qui devient reine de France de part son mariage avec le petit fils d’Hugues Capet, Henri I. S’ensuit une longue liste de souverains Pierre le grand, Alexandre I entrant dans Paris à la tête des coalisés le 30 juin 1814, Alexandre III, Nicolas II, des russes célèbres comme Tolstoï ou Tourgueniev, des moins connus comme un cousin éloigné Tolstoï, considéré comme le premier espion russe en France, quelques révolutionnaires dont les plus connus du grand public sont Bakounine, Lénine ou Troski. C’est la moitié du livre. Tout cela est décrit rapidement, trop rapidement, s’attardant plus sur l’anecdote que sur le fond donnant au lecteur une certaine impression de superficialité. Ainsi l’importance des contacts des officiers russes avec la société éclairée des Lumières durant l’occupation de Paris à la chute de l’empire sur les mouvements révolutionnaires qui vont se développer en Russie durant tous le XIX siècle, Alexandre Jevakhoff en parle, mais il ne fait que frôler un sujet qui explique en grande partie l’évolution de la société russe jusqu’à la révolution de 1917. A la lecture j’ai pensé aux livres qui se veulent d’histoire comme les secrets de l’histoire, petites histoires de l’histoire, etc. Je ne suis pas un fervent défenseur de l’école des annales, mais au-delà des anecdotes, je crois qu’un peu d’analyse ne fait pas de mal.
S’ensuit la saga de Diaguilev. J’ai bien écrit saga car s’il est fait référence aux ballets russes, c’est plus la vie et l’œuvre de Diaguilev dont il s’agit, avec en toile de fond, accessoirement le foisonnement intellectuel et artistique de Paris dans le premier tiers du vingtième siècle, et beaucoup plus les histoires de coucheries dans cet univers là. Il y en a tant qu’à la fin, il est difficile de savoir qui couche avec qui, voire qui n’a pas couché avec qui. Mais, il y a des brides d’analyses somme toute intéressantes autour de la danse.
Et puis, bien sûr (j’ai faillit écrire surtout, car indéniablement c’est le « fond » de ce livre) les pauvres russes blancs exilés à Paris, leur espoir de retrouver leur mère-patrie, leur attitude plus qu’ambigüe lors de l’occupation allemande durant la seconde guerre mondiale (vite expliquer et expédier par l’anticommuniste viscéral (et compréhensible) de cette communauté, ce qui évite de réfléchir sur son antisémitisme qui s’était exprimé à la fin du XIX et au début du XX siècle). Et cela s’achève sur le regret de l’auteur que ses grands parents soient décédés avant l’écroulement de l’Union Soviétique. Il se pose quelque peu comme le gardien de leurs espérances, du souvenir de ce qu’ils ont vécu.
Bien sûr, en bon héritier, il décrit minutieusement ses émotions quand il voit l’héritier du trône à Paris (bon sang ne serait mentir). Inutile de préciser que tout ce qui se rapporte au communisme, aussi bien les hommes comme Lénine que les idées, est assez caricatural pour faire partie des meilleures pages du Figaro voire de Minute. A force de caricature, le lecteur se demande s’il faut rire ou pleurer de tant de mauvaise foi.
Voilà ce que je pense de ce livre. Si on aime les tous petits détails insignifiants de l’histoire, si on pense que la noblesse russe était pleine d’empathie pour le peuple et fut injustement accusée de tous les maux par les méchants sanguinaires (à ce niveau je suis en total accord avec Alexandre Jevakhoff et pourtant je n’ai pas une goutte de sang russe ou slave dans les veines) communistes, alors il faut lire Le roman des Russes à Paris. Quant aux autres, nous vivons dans un pays libre, ils font ce qu’ils veulent!
Félix Delmas
Le roman des Russes à Paris
Alexandre Jevakhoff
Éditions du Rocher. 22€
WUKALI 22/09/2014