Information society, Millenarist paradigm or endangered limits ?
La chronique de Sébastien PRUDENT.
En mars 2000 étaient arrêtés les principes dits de la « stratégie de Lisbonne », ces derniers devant permettre à l’Union Européenne de devenir« l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010 ». Cette déclaration commune a contribué à la démocratisation du concept de « société de la connaissance ». Une révolution était alors en marche, les contenus s’érigeant comme un de ces piliers !
Le livre « La révolution des contenus » s’attache à décrypter ce phénomène dans ses différentes dimensions. L’ensemble du processus est analysé : production de contenus, diffusion par les médias, modalités d’accès des consommateurs… On a donc affaire à un ouvrage dense, introduisant au lecteur de nombreux concepts contemporains (big data, cloud, open data, réalité virtuelle, transmedia…), les illustrant par des exemples divers et des témoignages de professionnels. Le ton est direct et l’auteur, Pascal Beria, rédacteur en chef de la revue TANK et consultant en stratégie de contenus, parvient à nous dresser là un état des lieux complet.
Un peu d’histoire des médias
Le 9 novembre 1981 était déclarée la libération des ondes, permettant ainsi à de nombreuses radios de sortir de la clandestinité. En 1984, ces dernières reçurent du gouvernement l’autorisation de se financer grâce à la publicité. Cette évolution vers une commercialisation de l’audimat fut importante et amplifiée la même année par la naissance de la chaîne de télévision Canal +, première chaîne privée payante en France. La suite fut le théâtre d’une multiplication des chaînes TV (en particulier récemment lors de l’arrivée de la TNT).
Mais la profusion de contenus fut manifeste avec l’arrivée de l’Internet. Ce media connut l’hystérie collective (d’où la création d’une « bulle » spéculative vouée à éclater avant une adoption plus sereine et progressive du medium) et tout un chacun percevait, consciemment ou non, dès ses balbutiements les transformations que cette arrivée allait provoquer.
Toutefois, si l’abondance d’offres ne pouvait que réjouir le citoyen, elle allait entraîner mécaniquement une dilution de l’audience et donc de la rente publicitaire introduite quelques décennies plus tôt. La guerre était alors ouverte pour ce fameux « temps de cerveau disponible »…
Une 3ème révolution industrielle, le règne du numérique
Mais ces évolutions ne se réduisent pas à une bataille commerciale. Le livre nous permet justement de prendre pleinement la mesure de la pénétration du numérique dans nos vies et de ses impacts multiples.
On peut aujourd’hui par des indicateurs simples mesurer cette omniprésence du numérique. Ainsi nous baignons (pratiquement) tous dans un contexte d’« omni-connexion » puisque dès 2011 on recensait, en moyenne 8,7 équipements connectés par foyer. Cette connexion accrue va de pair avec la multiplication des supports, et l’irrémédiable montée en puissance des appareils leur permettant d’apporter toutes sortes de fonctionnalités. L’information est maintenant disponible partout, tout le temps. Les données collectées font même tourner les têtes et leur exploitation avec le « Big Data » promet l’émergence d’une nouvelle catégorie de contenus.
Mais si l’auteur évoque une 3ème révolution industrielle (et on sait que les annonces de ce type peuvent être rapidement galvaudées), c’est que cette transformation numérique induit des bouleversements aux niveaux individuels et organisationnels.
Les chaînes d’intermédiation sont complètement remises en cause, déstructurant les écosystèmes économiques et menaçant la pérennité de structures traditionnelles (pensez au secteur du tourisme et au déséquilibrage des acteurs hôtels, opérateurs, agences de voyage… face à la toute-puissance des plateformes du type expedia ou tripadvisor). Celui qui rate le train peut se retrouver sur le bord du quai pour longtemps…
Nos usages sont aussi transformés, grâce à l’informatique embarquée, l’automatisation a pris le pas et l’intelligence est introduite dans nos objets (émergence du smart home, smart city…).
Les comportements ont également évolué drastiquement. Il en va ainsi avec l’e-commerce et son influence sur l’acte d’achat. Des secteurs entiers de notre économie (distribution, banque-assurance, etc.) cherchent encore à s’y adapter, à trouver la bonne articulation entre magasin /agence et site web e-commerce ou de gestion de la relation client à distance, dématérialisée. Les métiers de centaines de milliers d’entre nous évoluent.
Cette dématérialisation est également vécue dans nos relations aux autres. Les réseaux personnels (Facebook, Twitter, Instagram…) ont pris une place colossale. Le « zapping » et l’organisation en clans (baptisées communautés) deviennent des normes sociales régissant les relations interpersonnelles de beaucoup.
Enfin et pour revenir sur la question des contenus, notre accès à l’information est aussi modifié. Face à cette explosion du volume de contenus accessibles, il devient nécessaire de filtrer. Ce rôle anciennement joué par nos médias traditionnels (rôle des éditorialistes) tend à être pris en charge par le consommateur lui-même, qui à l’aide de moteurs de recherche ou en s’appuyant sur le caractère prescriptif des échanges sur les réseaux sociaux, peut sélectionner lui-même une information personnalisée. Il s’agit encore là d’un renversement majeur.
Des médias en réaction et en recherche de rebonds
On vous recommande d’ailleurs vivement sur ce point le documentaire d’ARTE – Presse : vers un monde sans papier
Face à de telles évolutions de modes de consommation, les modes de distribution de ces contenus doivent se restructurer. Il est plus que jamais nécessaire de fidéliser le consommateur (auditeur, lecteur…) en lui proposant une offre riche, multicanale et personnalisée. Mais comment faire dans un contexte généralisé de gratuité des contenus ?
Des modèles économiques sont à inventer et l’industrie de la presse doit en ce point se renouveler pour survivre. Les défis auxquels cette dernière doit répondre sont multiples. Au-delà de cette problématique de « monétisation » des contenus, il faut également faire face à des évolutions majeures :
• Modification de la temporalité de production et de diffusion de l’information
• Transformation de la relation entre le citoyen et le média qui tend vers le dialogue d’égal à égal
• Besoin de réponse à la demande spécifique de chaque consommateur qui peut sinon devenir son propre éditorialiste en utilisant des moyens gratuits d’agrégation de contenus
L’auteur précise avec justesse que « les médias prennent pas à pas conscience que leur finalité réside moins dans la production de contenus pour un support que dans leur capacité à fédérer une audience autour d’un univers attractif ». Toutefois le risque devient alors de se concentrer sur ce point pour gagner la lutte de l’audience, au prix d’un effort moindre sur la production et donc d’un appauvrissement des contenus proposés.
Qui plus est, cet engagement vers plus de personnalisation permet également un service accru… aux acteurs de la publicité. Le consommateur de contenu plus « ciblé » devient pour eux une promesse de prospect mieux qualifié. Reste à ces professionnels du marketing à transformer l’essai et ils s’y emploient en jouant par exemple sur le sentiment d’appartenance procuré par un engagement en tant qu’acteur dans la communauté de la marque ou encore en limitant au maximum les effets de rejet possibles. Pour ce faire, le message publicitaire doit s’intégrer le plus naturellement dans nos contenus (en proposant des articles pertinents au regard de notre géolocalisation, en les affichant dans les films et séries que nous visionnons…).
Comme il a été dit à Peter Parker, « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités… »
Cette révolution est certes source d’opportunités et progrès divers, on peut en être enthousiaste, mais l’auteur attire, à raison, notre attention sur des dérives potentielles qu’il s’agit de garder à l’esprit également pour individuellement et collectivement prendre garde à protéger nos libertés, intégrer toutes les couches de notre population….
En effet, il est aisé d’identifier certains revers de médaille. Si le Cloud nous permet de nous affranchir de la contrainte matérielle, déportant le stockage et la puissance de calcul (et facilitant ainsi le télétravail par exemple !), il faut être conscient que les risques sur les contenus sont aussi déportés. Des barrières physiques sont mises en place par les hébergeurs, mais ils restent assujettis à des législations nationales et ne sont pas à l’abri de pirates, attirés par la concentration de ces contenus en un même lieu.
De même, si le « profiling » (caractérisation de l’individu) permet à l’émetteur de fournir un contenu plus personnalisé, le stockage de ces données personnelles pose des questions sérieuses sur le respect de leur confidentialité.
Enfin la course à l’efficience du contenu produit (maximum de clics, de partages…) conduit à un raccourcissement du message. Un bon article sur le web est un article court, Twitter pousse ce trait à l’extrême en le réduisant à 140 caractères. Mais si le format court permet d’informer par « flash infos », il est difficilement compatible avec l’investigation et l’appréhension de la complexité… et peut mener à une détérioration du débat contradictoire. Cette dernière est alors susceptible d’être instrumentalisée comme le décrivait Pierre Bourdieu dès 1996 dans son livre et son cours au Collège de France « Sur la télévision », donc charge à nous d’y prendre garde.
En conclusion
…on ne peut que vous recommander la lecture de cet ouvrage qui au travers d’une exploration détaillée de cette « révolution des contenus » adresse de manière réaliste et pédagogique de multiples évolutions et défis de notre société actuelle. Le regard prospectif de Pascal Beria est enthousiaste mais pas angélique et apporte de l’eau au moulin de qui voudra se saisir de ces sujets complexes pour se forger une opinion construite.
Sébastien Prudent
La Révolution des contenus
Pascal Béria
éditions Télémaque. 23,90€
WUKALI 29/09/2014