With tenderness, mystery and contained emotion


Le Prix HSBC pour la photographie 2014 a été attribué conjointement à Akiko Takizawa et Delphine Burtin. Après une première exposition à Metz, les oeuvres des deux photographes entament maintenant une exposition itinérante en France et dans le monde entier. Deux artistes femmes, l’une japonaise l’autre française, la confluence de deux regards, deux sensibilités.

Nous avons demandé à Akiko Takizama de présenter son travail et c’est avec grâce et beaucoup de chaleur qu’elle a ouvert pour les lecteurs de Wukali le chemin de son émotion et évoqué la trace de son regard

Noir et blanc et dans toutes les nuances. Akiko Takizama 瀧澤明子 redonne vie à un monde sensible, fragile, aimé et à jamais disparu, comme les traces des nuages dans le ciel. Elle travail en fidélité, en osmose complète avec une tradition japonaise celle des photographies sur papier de paille de riz qui permet de rendre compte bien au delà de la technique d’un monde évanoui, d’un monde flottant, entre terre et ciel, évanescent et pourtant toujours présent.

Olécio partenaire de Wukali

Comme disait «Le Petit Prince» d’Antoine de Saint Exupéry, «on ne voit bien qu’avec le coeur, l’essentiel est invisible pour les yeux.». Il existe bien des manières de dire «non» dans la langue japonaise, dix-sept je crois, dire «aimer» n’est pas non plus très simple, et le chemin le plus court n’est jamais le meilleur. Dire sa tendresse, son amour, son respect et sa souffrance, c’est tout à fait dans le rôle de l’artiste et il n’est de meilleur message, de meilleur médiateur que celui porté par l’art dans toutes ses dimensions et ses périphrases.

Akiko Takizawa 瀧澤明子 photographie pour réveiller les ombres, pour faire vibrer le souffle qui monte et descend à flanc de colline, le vent qui violente le ciel ou court dans les herbes folles dans la fragilité de l’instant. Dans la nuit se réveillent les esprits qui reprennent force, un chapeau posé contre un mur, des objets semblant abandonnés comme des symboles d’un monde perdu, ceux que l’on aime et que l’on ne peut oublier, la présence imaginée de tous ceux qui ne sont plus envahit l’espace et tintinnabule aux oreilles des seuls initiés.

Akiko explique sa démarche et évoque avec une grande retenue toute d’élégance et de distinction japonaises les motivations pour son travail. Entre mystère et réminiscences, affection et désarroi, tendrement, délicatement, avec pudeur et retenue, haïkus en noir et blanc posés comme une prière balbutiée, Ying et Yang, pas si facile, «ce qu’a vu le vent d’Ouest» écrivait déjà Debussy

Akiko Takizawa exposera en novembre prochain à Paris Photo 2014 au Grand Palais, présentée par la galerie Sage, à deux pas de l’exceptionnelle exposition Hokusai à ne manquer sous aucun prétexte !

Pierre-Alain Lévy


Ce qu’écrit Akiko Takizama 瀧澤明子…

Najima

Nous sommes en décembre 2003. J’apprends par ma mère que la maison de mes grands-parents à Najima dans la ville de Fukuoka va être démolie. A cette nouvelle, je décide rapidement de quitter l’Angleterre, pays où j’habite, pour me rendre au Japon. Depuis que j’ai appris cette nouvelle, je n’arrête pas d’y penser…

Debout, devant la maison, je ne suis pas vraiment surprise d’entendre par les voisins qu’ils détestaient cette demeure. Ils me disent : « La maison de vos grands-parents est si lugubre que même les voleurs ont peur de s’en approcher. C’est ce que pense aussi ma femme! Parfois, on a même l’impression qu’un homme se cache derrière la haie voulant intimider qui que ce soit. Mais au fait, quand va-t-elle être démolie ? »

La maison est inhabitée depuis à peu près dix ans maintenant. Sans réfléchir, j’ai comme une envie de sonner à la porte. Angoissée, je m’arrête aussitôt.

A l’intérieur, presque rien n’a changé, l’odeur de l’humidité est mêlée à celle du bois de la maison et à celle de l’encens. Le sol en ciment où les invités laissaient leurs chaussures est bien présent. J’entrevoie la grande corne que mon grand-père utilisait et qu’il laissait à côté de la boite à chaussures.

A proximité du téléphone sont collées plusieurs notes que ma grand-mère avait gribouillées sur des bouts de papier : Takuya 03/12, Yuta 31/01 et Yasuko 24/06, les rappels des dates de naissance de ses petits-enfants. Il y a aussi écrit le numéro du bar à sushis le plus proche qu’ils appelaient pour les grandes occasions.

Après avoir traversé la cuisine, j’entre dans la chambre de ma grand-mère. J’appuie alors à plusieurs reprises sur l’interrupteur sans vraiment m’attendre à avoir de la lumière, mais si ! Une ampoule s’allume. Elle est suspendue au bout d’un long cordon noir. Je me demande combien de soirées ma grand-mère a pu passer seule sous cette lampe. Mon grand-père est aussi mort sous cette lumière. Un soir, il a eu une attaque cérébrale. Apparemment, il a mis ses mains brièvement sur sa tête et continua à ronfler, ma grand-mère le secoua mais il ne s’est jamais réveillé. Cette ampoule seule est le témoin de tous ces évènements.

Les calligraphies de mon grand-père, qui se trouvent sur les portes coulissantes de la pièce, flottent dans l’obscurité. Il y est marqué : « fleur du champ, un oiseau dans le ciel ». Ma grand-mère a disposé ces phrases dans les irrégularités de la porte.

Avec beaucoup d’attention, je la fais coulisser. Elle ouvre sur la pièce principale. Une lueur vive m’aveugle et m’étourdie. Je remarque les jeux d’ombres et de lumière qui ne cessent de changer sur mes bras dûs au mouvement des touffes de bambou secouées par la brise extérieure de l’automne, derrière la fenêtre.

J’aperçois un bol à thé en grès sur la table basse. J’ignore qui a bien pu boire dedans pour la dernière fois mais ce récipient isolé me fait penser à mon grand-père. Les étagères de la pièce sont emplies de livres. Je n’ai pas besoin de les ouvrir pour deviner sa présence dans chacune de leurs pages. Je peux l’imaginer feuilleter chacune d’elles.
Je n’ai jamais trouvé la lumière naturelle unique de cette maison chatoyante. Je sais pertinemment quelle provient de l’extérieur, du soleil dans le ciel mais pourtant depuis mon enfance, j’ai toujours imaginé qu’elle venait en fait des profondeurs de l’océan ; je l’appelais d’ailleurs la lumière du « soleil de la mer ».

Ma tante est décédée à l’âge de 33 ans lorsque j’avais 7 ans. Quand je l’ai vue pour la dernière fois, c’était début décembre, c’est-à-dire à la même époque de ma dernière visite ici, une journée si froide…

Je me souviens que ma tante était couchée ici sur le futon. Elle était si maigre qu’il était pratiquement impossible de deviner les lignes de son corps sous la couverture. Elle fixait le plafond. Ses yeux semblaient avoir scruté les zones d’ombres et de lumière des tiges de bambou qui dansaient sur son duvet.

Comme elle savait qu’elle allait mourir, ma tante me dit que ses regrets seraient amoindris si elle savait qu’elle pourrait continuer à écrire des lettres. Elle ajouta aussi : « Akiko, tu es la seule fille de la famille maintenant, donc assure- toi d’aider ta mère ».
La maison de mes grands-parents était une vieille demeure. Sa froideur n’était pas le résultat d’un seul hiver. Elle était due à un froid à fendre des pierres de plusieurs milliers d’années provenant des profondeurs du sol et traversant ce plancher en bois, qui pour moi était là pour intensifier l’austérité du lieu. En fait, le froid comptait parmi l’un des derniers habitants de cette maison qui était un locataire bien plus âgé que les murs eux-mêmes.

Pendant les dernières minutes avant d’entamer les ténèbres, la lumière et les objets semblent être résignés à leur propre sort qui passiblement partagent la même finalité, leur disparition au plus profond du sol.

Akiko Takizama 瀧澤明子


WUKALI 28/10/2014


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