1715, at the Crossroads of World History
Voici un livre entrant dans cette nouvelle façon de percevoir l’histoire que l’on appelle « l’histoire globale », c’est-à-dire celle qui essaie d’étudier les connections, les interactions entre différents acteurs : les individus, mais aussi les groupes sociaux, les états, etc… et ce sans prendre en compte les découpages géographiques, la chronologie, etc. Elle se veut l’histoire des rapports entre les états, les peuples, les cultures, entre les différents pouvoirs à l’échelle de la planète.
Ce début du XVIII siècle est marqué par les rapports hiérarchiques, l’égalité est très rare entre les hommes mais aussi entre les sociétés, les états. Une époque où la violence, la torture, la guerre sont normales, ce qui entraine des conceptions de l’homme et de la société qui ne sont plus les nôtres actuellement. L’histoire globale se veut « neutre », c’est-à-dire qu’elle essaie d’éviter d’expliquer les faits avec notre mentalité et surtout de porter, tant faire ce peu, un jugement moral sur la culture de l’époque étudiée.
En 1715 existait trois grands ensembles, mondes : le monde occidental c’est-à-dire l’Europe qui colonisait les Amériques, le monde musulman composé de trois grands empires : l’ottoman, le perse et le moghol, le troisième étant l’empire chinois. Les autres régions du globe comme l’Océanie ou l’Afrique noire, sans pour autant ne pas avoir une histoire propre n’ont pas connu les bouleversements que connurent ces trois ensembles en ce début de siècle.
Thierry Sermant étudie ces trois mondes, de l’intérieur et les rapports, les interactions qu’ils eurent entre eux autour de cette date symbolique de 1715 en prenant en compte la trentaine d’années précédentes et les conséquences de ces faits jusqu’à nos jours du moins pour certains.
1715 fut la dernière grande victoire de l’empire Moghol en Inde avec la prise de la ville de Gurdaspur défendue par les sikhs avant de s’effondrer en quelques années à cause de guerres dynastiques et religieuses qui ne sont pas sans faire penser aux conflits actuels entre les indous et les musulmans qui ont toujours cours dans cette partie du monde
1 septembre 1715, « le roi », le modèle de roi pour toute l’Europe, après quelques semaines d’agonie, Louis XIV décède, victime de la gangrène. Dès le lendemain, Philippe d’Orléans manœuvre pour faire casser par le Parlement le testament royal et restera au pouvoir jusqu’à la majorité de Louis XV. Il rétablira les finances du royaume et assurera la prospérité du royaume sans créer de fait une rupture dans la façon de gouverner de son oncle.
L’Europe était en pleine mutation, en pleine reconstruction depuis la paix d’Utrecht de 1713 qui mit fin à la guerre de la succession d’Espagne. De fait, à part des conflits sporadiques et régionaux, l’Europe va connaitre une période de paix due essentiellement à la volonté du régent et du roi George Ier d’Angleterre, contre la volonté de leurs peuples respectifs, de faire cesser les conflits qui les affaiblirent durant le règne de Louis XIV.
Cette époque est celle de la confirmation du pouvoir protestant en Angleterre après la Glorieuse Révolution de 1688 qui chassa Jacques II, la montée en puissance du nouveau petit royaume de Prusse, l’affaiblissement progressif de l’empereur germanique en Autriche, la fin de la suprématie suédoise en Scandinavie au profit de l’empire russe qui se modernisait rapidement sous la férule de Pierre Ier tout en finissant de conquérir la Sibérie, l’affaiblissement de l’Espagne, la marginalisation de tous les états italiens de Venise à la Savoie en passant par les états pontificaux, ainsi que des petites principautés allemandes et des Pays Bas. De fait deux grandes puissances apparaissent sur la scène européenne : la Russie qui sort de son statut de puissance secondaire marginale aux marches de l’Europe et l’Angleterre, la principale bénéficiaire des conflits du XVII siècle, qui de plus de par sa nouvelle puissance navale se montre la puissance dominante aux Amériques.
Artificiellement, l’histoire « classique » fait de 1715 la date charnière pour la France qui passa du « Grand Siècle » au « Siècle des Lumières ». De fait la France n’était plus le pays qui pouvait tout régler par la guerre, ses armées n’étaient plus invincibles, mais son élite intellectuelle derrière Montesquieu ou Voltaire, la mode, la culture française allait servir de modèle à toute la « haute société » européenne, même si parfois, sous bien des aspects, elle n’était pas la plus originale et progressive.
En ce qui concerne le monde musulman, cette période de l’histoire voit la disparition de l’empire séfévide avec la chute d’Ispahan en 1722 sous les coups des révoltés afghans, lors d’une vraie guerre de religion entre les sunnites et les chiites, l’effondrement de l’empire Moghol, le déclin de plus en plus prononcé de l’empire ottoman commencé après l’échec du siège de Vienne en 1683.
Le monde chinois, quant à lui, est dirigé par une dynastie Mandchou qui continue l’extension de l’empire en Asie. Au début indifférents aux missionnaires chrétiens, les empereurs se méfieront de plus en plus d’eux surtout après que la papauté se prononçât contre la position des jésuites lors de la querelle des rites.
De fait rares les pays comme le Japon ou le Yémen, en ce tournant du XVIII siècle qui échappèrent à ces évolutions qui allaient perdurer pour certaines jusqu’à nos jours.
La conclusion de Thierry Sarmant résume brillamment ces évolutions, le monde qui allait en naître ainsi que l’importance qu’elles représentent pour la culture de l’humanité.
Félix Delmas
1715 La France et le monde
Thierry Sarmant
Éditions Perrin. 23€
WUKALI 01/12/2014