Neurosciences last department for police enquiries and investigations
Les romans policiers « scientifiques » offrent au profane l’avantage d’avoir accès à des domaines liés aux sciences « dures » d’une façon plaisante. Bien sûr les professionnels des neurosciences auraient à dire, j’en suis certain, sur certains développements de ce livre (« trop caricatural », « simpliste », « qu’une théorie », et j’en passe), mais il ne faut pas oublier que ce n’est qu’un roman et non une thèse savante sur ce sujet. Et à ce niveau, le « non-sachant » que je suis, comme l’immense majorité des lecteurs, trouve des informations, des pistes de réflexion au sujet des neurosciences et donc sur le fonctionnement de l’homme. Sébastien Boher travaille dans ce domaine, et il sait parfaitement faire passer sa passion au lecteur.
Voici le synopsis du roman: Trois attentats au coeur de Paris éventrent la capitale. Bilan : 53 morts. Quelques heures plus tôt, le cerveau des attentats, un jeune djihadiste formé en Afghanistan, a été arrêté par la police. Protégé par le droit français, il s’est muré dans le silence. Pourquoi n’a-t-on pas su le faire parler ?
Saclay, région parisienne. Neuroland est un centre de recherches, le plus performant d’Europe. Deux jeunes chercheurs y travaillent à un projet révolutionnaire : un scanner surpuissant permettant de décoder les activités du cerveau.
Sébastien Boher est polytechnicien et spécialiste des neurosciences, ça ne fait pas pour autant de lui un écrivain spécialiste des romans policiers. Les lecteurs qui suivent mes chroniques sur Wukali commencent à me connaître et ont compris que j’ai énormément de mal à lire les romans policiers dont l’action se passe en France et qui ont une vision, une conception du droit, du travail judiciaire (police, gendarmerie, justice, pouvoir administratif) qui n’est qu’une fiction, qui n’a strictement rien à voir avec la réalité du travail judiciaire dans notre beau pays.
Si l’action se passe dans un autre pays, je suis moins rebuté par la lecture, mais quand on se veut quelque peu réaliste, quand on veut faire une fiction, et non un conte philosophique, alors, le travail de l’écrivain commence par une recherche documentaire permettant de faire évoluer les protagonistes de l’histoire dans un monde qui a un rapport certain avec la réalité. Les personnages doivent se trouver dans des situations qui auraient, qui peuvent se poursuivre. Relisez Simenon, Manchette, Dennickx et tant d’autres, ils écrivent de la fiction, mais tout est criant de réalisme.
Pour moi un bon auteur de roman policier s’oblige à une contrainte très dure : la réalité ! L’histoire de la fiction doit être contenue en elle et non l’inverse : pour suivre son idée, on fait des écarts plus ou moins importants avec la réalité. Il n’y a plus que l’idée mais plus d’histoire. On est alors dans la science fiction et on doit lire le livre en le sachant. La distorsion entre la réalité et les élucubrations de l’écrivain a un effet inverse du but recherché, le lecteur finit par ne plus percevoir l’histoire, l’intrigue, mais s’énerve à l’irréalité dans laquelle ils évoluent, et donc elles perdent beaucoup de leur force.
Au niveau des neurosciences, au niveau du fonctionnement de la recherche en France, Sébastien Boher offre une description critique digne des meilleurs pamphlets, mais au niveau de l’histoire, il fait montre d’un irréalisme, d’une méconnaissance totale, d’un manque de connaissances qui nuisent grandement à son roman. Depuis quand l’IGPN s’occupe des écoutes téléphoniques ? Depuis quand les écoutes administratives fonctionnent comme le voudrait Sébastien Boher ? Peut-être un jour en France, peut-être dans un autre pays, mais il est certain que s’il avait été obligé de respecter la réalité, il aurait eu du mal à bâtir son intrigue. Et il en est de même en ce qui concerne le droit des étrangers, les compétences des différents services de renseignements, du fonctionnement de la police, et j’en passe.
On sent parfois que Sébastien Boher pense que depuis les écoutes de l’Élysée sous le regretté président Mitterrand, rien n’a changé, il se trompe, non seulement la législation a évolué, mais en plus l’autorité judiciaire est nettement plus impliquée dans ces affaires. C’est fini le bon vieux temps où un simple appel téléphonique mettait fin à une procédure judiciaire ou provoquait la mutation d’office d’un policier, où un homme politique était totalement intouchable. Je ne dit pas que tout est clair et se passe dans le meilleur des mondes respectueux de la règle de droit, loin de là, mais ce que je sais c’est que la France que décrit Sébastien Boher pour faire avancer son histoire n’est pas celle du jour où j’écris ces quelques lignes.
En plus, et j’arrête là mes critiques, je dirai, en paraphrasant l’empereur à l’écoute du Mariage de Figaro de Mozart qui trouvait qu’il y avait trop de notes, qu’il y a trop de mots, trop de digressions, une telle volonté de la part de l’auteur d’être didactique qu’il en devient lourd, voire pénible.
Et c’est dommage. Le même roman en 300 pages, donc la moitié de celui édité par les éditions Robert Laffont, avec la même toile de fond autour des neurosciences aurait pu être un des meilleurs thrillers de la décennie, et le lecteur pourrait avoir de nouveaux éléments de réflexion autour de la maxime de Rabelais : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », mais aussi sur le débat que nous vivons actuellement autour des limites pouvant être apportées aux libertés publique au nom de la sécurité (et l’histoire du XX siècle nous a montré que quand il n’y a pas de limites, c’est le totalitarisme). Et n’oublions pas la question de savoir ce qu’est un chercheur, la place de la sérendipité pour faire évoluer la science, le savoir.
Dommage !
Émile Cougut.
Neuroland
Sébastien Boher
Éditions Robert Laffont, collection Thriller. 22€90
WUKALI 23/03/2015
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