Le Khalife Mamoun et la jeune esclave
Mamoun, lorsqu’il fut investi du khalifat, acheta une esclave jeune et belle, au visage resplendissant comme le soleil, au corps délicat comme le rosier, pleine à la fois de raison et d’enjouement. Ses ongles (teintés de henné) semblaient trempés dans le sang des victimes que faisait sa beauté et au-dessus de ses yeux d’enchanteresse un sourcil peint en noir s’arquait comme le halo autour du soleil. La nuit venue, cette ravissante fille des houris se déroba aux baisers de Mamoun. La colère s’alluma dans le cœur du khalife et il fut sur le point de fendre en deux moitiés, comme la constellation des Gémeaux, cette tête charmante. « Prenez ma vie, s’écria la belle, faites tomber ma tête sous le tranchant de votre cimeterre ; mais épargnez-moi vos étreintes amoureuses. » — Quel est le motif de l’aversion que tu me témoignes, demanda le prince, et qu’ai-je fait pour te déplaire ? — « Tuez-moi, reprit-elle, je m’offre à vos coups : l’odeur de votre haleine est pour moi un supplice odieux ; le glaive ennemi, la flèche meurtrière, tuent d’un seul coup, mais votre bouche donne la mort lentement. » Le roi illustre écouta cet aveu avec une colère mêlée de tristesse ; le chagrin le priva de sommeil toute la nuit. Dès le lendemain, il convoqua les plus savants (médecins) de tout pays et il eut l’art de les faire causer. Malgré la préoccupation que lui inspirait son ressentiment contre l’esclave, il apprit de ces sages une recette qui donna à sa bouche la fraîcheur de la rose. Il rendit alors à la jeune fille les faveurs de son lit et de son intimité, en ajoutant : « C’est ma meilleure amie, puisqu’elle a eu le courage de me révéler mes défauts. » — Le véritable ami, à mon sens, est celui qui me signale les pierres et les ronces du chemin. Dire au voyageur qui s’égare : « tu es dans le bon chemin, » est une trahison et une méchanceté. — Celui à qui on ne signale pas ses défauts les prend volontiers pour des qualités. Pourquoi faire l’éloge du miel et du sucre en présence du malade à qui il faut de la scammonée ? (67) Le droguiste a raison de dire que pour obtenir la guérison on doit accepter une médecine nauséabonde. Saadi, lui aussi, vous dit : « Voulez-vous un breuvage salutaire, résignez-vous à l’amertume de mes conseils : mais ils sont passés au crible de la sagesse, et le miel de la poésie en diminue l’amertume. »
سعدی Saadi ( 1209-1292 dates estimées de sa naissance à Shirâz et de sa mort)
Illustration de l’entête: Poème de Saadi dont la traduction en anglais figure à l’entrée du siège de l’Organisation des Nations Unies à New York. (Documentation excipée de la revue Téhéran, mensuel culturel iranien de langue française)
Les enfants d’Adam font partie d’un corps
Ils sont créés tous d’une même essence
Si une peine arrive à un membre du corps
Les autres aussi, perdent leur aisance
Si, pour la peine des autres, tu n’as pas de souffrance
Tu ne mériteras pas d’être dans ce corps
Traduit par Mahshid Moshiri