A modern novel by Bruno Carlisi that could be directly inspired from One Thousand and One Nights
Connaissez vous le Verbe Droit, ce pouvoir que peut avoir la parole d’agir sur le réel jusqu’à tuer son adversaire ? Rares sont les hommes qui le détiennent et qui le maîtrise. Alzahel après de longues études a accès à cette exceptionnelle connaissance, mais quand il doit l’utiliser, il s’aperçoit vite des difficultés qui se posent à lui tant il est candide et imprudent.
C’était au temps où Haroum el Rachid était le commandeur des croyants à Bagdad, cette époque fantasmée où le réel, l’irréel, les djinns et autres monstres ou esprits cohabitaient sur terre avec les hommes, cette époque où se déroulent la grande majorité des histoires que raconte Shahrâzâd durant mille et une nuits. Et les lecteurs savent que les principaux contes qui sont les plus connus comme Aladin et la lampe magique ou Sinbab le marin ne font pas partie de ce recueil.
Bruno Carlisi nous livre une autre histoire qui n’en fait pas partie mais que la célèbre princesse aurait très bien pu conter à son terrible époux. Et il y réussit parfaitement. Ce libraire breton a su parfaitement maîtriser le style, la structure des phrases, des récits des poètes passés. Il nous livre ici une histoire qui n’aurait pas démérité sa place au sein des Mille et une nuits. C’est un roman épique, un conte fantastique, voire gothique avec juste ce qu’il faut au niveau de la sexualité et de l’érotisme, plein de rencontres étranges, d’aventures plus extraordinaires les unes comme les autres, de récits secondaires à l’intérieur du récit principal. Roman sur le Verbe Droit, le récit foisonne de joutes verbales parfois mortelles, de tragédies, de scènes comiques, de choix cornéliens et raciniens.
L’auteur entoure son héros, jeune homme « pur », de compères hauts en couleur qui sont là pour l’aider dans sa quête (libérer deux de ses trois « mères » prisonnières d’un livre aux pages blanches). Chacun a une personnalité attachante particulièrement bien décrite, ciselée : Makef le marchant ruiné, sorte de Sancho Panza ou de Papaguéno, qui représente le bon sens populaire, qui est timoré, peureux mais brave et fidèle ; Tigisi, l’ancien esclave abyssin chrétien, l’homme fort éprit de liberté et sa compagne Fa’izah, la femme souhaitant sortir du carcan que la société impose à son sexe, l’athée, l’agnostique, celle qui est en harmonie avec la nature et qui représente la vie, la vraie, celle qui perdure à travers les siècles.
Alzahel et ses compères vont devoir affronter la terrible secte Rek Mani dirigée par le maître de l’Encre qui manie le Verbe Droit pour progressivement imposer sa philosophie au monde entier en changeant par petites touches le contenu des textes, le signifiant des mots. Cela n’est pas sans faire penser à 1984 d’Orwell. Ils seront en butte, en lutte avec les cadis, les Wallis mais aussi les djinns qui chacun n’ont qu’un seul objectif : renforcer leurs pouvoirs dans une société en pleine mutation, une société éprise de libertés individuelles mais régie par l’interprétation conservatrice et fataliste des textes sacrés. Et de fait le lecteur recueille beaucoup d’éléments pour améliorer son savoir sur les grands courants de l’Islam et s’apperçoit que les problèmes de notre époque existaient, sous d’autres formes, dès les premiers temps après l’Hégire.
Depuis les aventures des « Trois fils du roi de Sérendip », dont Pierre de Rastigné a fait un compte-rendu pour Wukali, plus d’un écrivain s’est essayé à créer une histoire qui aurait pu trouver sa place dans la bouche de Shahrâzâd. Peu y sont parvenus. Bruno Carlisi, lui, a parfaitement réussi.
Emile Cougut
Alzahel ou les Nuits que Shahrâzâd n’eut l’audace de conter
Bruno Carlisi
Éditions Carpentier. Collection Les nouveaux romanciers. 19,90€
(Sortie librairie le 23 avril 2015)
WUKALI 18/04/2015