In the footsteps of Leonardo


Voici un des grands tableaux de Léonard de Vinci, La Vierge à l’Enfant avec sainte Anne, mais quels autres ne sont-ils point grands ? Il est aujourd’hui exposé au musée du Louvre ( h 1,68m x 1,30m sur bois de peuplier, collection François Ier Inv 776)

Il est probablement le fruit d’une commande du roi de France Louis XII (1462-1515 fils de Charles d’Orléans (dont on connait bien les poèmes) et de Marie de Clèves, il sera marié à Jeanne de France dont il se séparera puis à Anne de Bretagne).

Le roi aurait commandé ce tableau à Léonard pour célébrer la naissance de sa fille Claude en 1499, notons qu’Anne est aussi le prénom de sa femme. Selon différents documents et correspondances, le tableau se trouvait en 1517 à Cloux près d’Ambroise dans l’atelier du peintre alors invité et pensionné par François Ier ce qui rend caduque l’éventualité d’une livraison antérieure. D’autres documents, notamment un signalement de 1651 au Palais Cardinal, laisse entendre que l’oeuvre est entrée dans les collections royales sur l’instruction de Richelieu. Il n’en demeure pas moins que des archives disparues avant l’ inventaire Lebrun

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de 1683 et qui consignaient le prix d’une transaction financière conséquente, auraient indiqué que le tableau fut acquis par François Ier auprès de l’assistant de Léonard, Gian Giacomo Caprotti dit Salaï.


Tableau inachevé dans la robe de Marie. La composition est pyramidale. La Vierge essaie de retenir l’enfant Jésus qui veut lui échapper et attrape l’agneau par les oreilles.
Le corps dressé de Sainte Anne crée une verticale droite, alors que le mouvement de la mère vers l’enfant est une oblique. Un précipice sépare le spectateur de cette scène biblique : l’homme doit s’arrêter à la porte du paradis. Ce même précipice se retrouve sur les deux Vierges aux rochers comme sur le carton de Londres. C’est donc un caractère récurrent de Léonard peintre. La dominante colorée est dans les verts malgré le rouge de la chemise de Marie.
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Le visage de Sainte Anne aux yeux baissés vers sa fille est rayonnant. Il est marqué par ce sourire si particulier à l’artiste que nous connaissons déjà : les commissures des lèvres sont légèrement surélevées accentuant les volumes, les lèvres sont en forme de croissant de lune. Le nez est fin et droit. Les paupières marquent un volume apparent. Les cils  sont à peine soulignés. Le positionnement du cou est caractéristique. Le bras gauche montre une forte densité volumétrique. La carnation du visage est légèrement rosée.

Le fond du paysage  aux reflets vert bleutés, typique du Vinci, est constitué de montagnes rocheuses formant à-pic (qui ont quelques analogies avec celles que décrivent les peintres chinois), de masses d’eaux déferlantes, d’atmosphère de brouillard et de silence. Cette terre primordiale est une démonstration des qualités d’ingénieur de Léonard géologue.

Une sorte de réflexion sur ce paysage hors du temps saisit le spectateur et l’oblige à se poser des questions existentielles : «D’où venons- nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?» Ce phénomène résulte de la volonté de Léonard psychologue de nous mettre dans l’état mental approprié pour nous imposer ses choix.

L’arbre à droite marque la limite du paysage, l’arrêtant brusquement et brutalement comme une borne frontière entre deux états hostiles.

Observons Marie : le visage est un ovale pur, un peu figé. Le front est haut, le nez droit. Les lèvres sont sans relief, sans sourire, sans commissures, allongées. Le regard est doux comme une démonstration d’amour maternel, mais manque d’expressivité et des détails typiques que nous avons décrits chez Sainte Anne. La carnation de la figure est très pâle.

Le cou n’a pas d’inflexion, le bras droit est irréaliste. La transcription physique du corps manque d’unité organique. Le rendu des volumes est absent.

Quant au petit Jésus et à l’Agneau, ils n’ont aucune vérité physique. Ils sont sans profondeur psychologique et sans densité volumétrique.

Les examens de laboratoire ont prouvé qu’il y eut collaboration dans les couches picturales finales alors que l’esquisse première est homogène. Le dessin de Léonard, sous les pellicules colorées, est apparu aux rayons infrarouges.

En conclusion : l’idée, le dessin, la réalisation technique du paysage jusqu’à l’arbre, de la tête et du bras de Sainte Anne sont de Léonard, metteur en scène. Tout le reste revient à l’atelier, peut-être y faut-il trouver la main de Giovanni Francesco Melzi, élève de Léonard ?


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La Vierge aux Rochers. ( National Gallery. Londres)

Seconde version de ce sujet, réalisée une vingtaine d’années après celle aujourd’hui exposée au Louvre à Paris, ( lire les [études précédentes naguère publiées dans WUKALI->http://www.wukali.com/Le-catalogue-des-peintures-de-Leonard-de-Vinci-2-Clefs-pour-comprendre-l-oeuvre-1806#.VVy8KcanqEQ]) elle appartient aux collections de la National Gallery à Londres. ‘huile sur panneau de peuplier 189,5cm x 120cm. NG 1093; salle 57)

Elle est marquée par les recherches plastiques et intellectuelles de Léonard dans cet espace de temps. Il s’agit donc d’une variante de la première, de même composition apparente. Les figures sont plus grandes, les drapés sont simplifiés comme le prouve le retour vers l’avant de la doublure jaune du manteau bleu. La monumentalité est plus affirmée. De nombreux détails furent supprimés : végétation réduite, eaux envahissantes. Le classique obstacle du précipice existe mais il est diminué.

La main droite de l’Ange retient l’enfant Jésus. Il n’y a pas d’index allongé montrant Saint Jean puisque cet exemplaire a été créé à Milan dont le protecteur n’est pas Jean-Baptiste. Les drapés du linge que porte ce dernier dissimulent son anatomie.

La Vierge a les yeux clos. Elle est renfermée dans sa méditation. Le visage de Marie est plus marqué, plus lourd que celui de Paris.  Sa main gauche ne sort plus du tableau. Les enfants créent une perspective moins angulaire. Ils sont auréolés et Baptiste tient une croix. Les figures sont monumentales. Le jeu des ombres est pesant, assombri, matériel.

Les rochers portent une végétation pétrifiée à la Mantegna. Une sorte de manque d’expression générale des personnages se dégage du tableau. La lumière est d’une solidité donnant une vraie monumentalité aux figures aux ombres lourdes.

Des interventions de l’atelier sont certaines dans la réalisation technique de l’œuvre  mais elles sont limitées aux visages, aux drapés et à la végétation.

Quelle main a pu terminer cette peinture ? Il nous semble possible de penser à De Predis qui collabora avec son frère auprès de Léonard. Cela dit, l’idée, la conception, le dessin, l’élaboration, restent de Léonard. Seules les couches picturales supérieures reviennent à l’atelier. Ce sont celles-là que voit le spectateur.

Jacques Tcharny


WUKALI 20/05/2015

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