Who’s Mr Trenque ?

Emmanuel Trenque vient d’être nommé chef des chœurs de l’opéra de Marseille. Il prendra ses fonctions officiellement à la rentrée 2015. Qui se cache derrière ce personnage, craint par certains pour sa rigueur et admiré par d’autres pour l’excellence de son travail ? Ainsi que j’ai pu en juger, c’est un des musiciens les plus doués de sa génération. Par sa ferveur et sa passion communicative, il hisse la musique vocale au rang d’Art majeur. Ce personnage passionné et passionnant, arrière-arrière petit fils du compositeur Amédée Gastoué (1873,1943), a accepté de se confier à moi lors d’une interview exclusive pour Wukali.


Emmanuel , les personnes qui vous connaissent prétendent que votre cœur et votre âme ne palpitent et ne respirent que pour et par la musique. Pourriez-vous nous dire comment et par quel truchement vous êtes devenu l’homme que vous êtes aujourd’hui ?

-E.T. : J’ai baigné dans la musique dès mon plus jeune âge. D’abord par l’entremise de ma grand-mère paternelle. En amatrice éclairée, elle jouait du piano. Cette femme passionnée a chanté en chœur jusqu’à plus de 75 ans. Cependant, je dois rendre justice à mon père lequel a été l’initiateur de ma vocation dès ma plus tendre enfance. En effet, je ne savais pas encore marcher que j’allais l’écouter diriger des chorales en amateur. Oui, je crois que ma naissance musicale, s’est faite là. Par la suite, mes parents ne voulaient pas que j’intègre le conservatoire de Toulouse, peut être simplement parce que nous habitions à plus de trente kilomètres. Alors, j’ai rencontré mon professeur de piano dans une école de musique. Cette dame me laissait beaucoup de liberté, cette liberté que je n’aurais pas trouvée dans une institution académique, cette liberté de présenter constamment de nouvelles pièces et cette curiosité perpétuelle, jamais bridée, qui m’a été profitable pour le déchiffrage. Cependant parallèlement à mes études de piano, je jouais du synthé dans un groupe de rock ce qui a fait germer en moi un goût prononcé pour la musique électronique et le son, à tel point que passant un bac scientifique, à 18 ans, je rêvais de devenir ingénieur du son. Mais la vie en a décidé autrement. Je me suis également pris de passion pour l’orgue. Cette découverte m’a conduite finalement à étudier le solfège, l’harmonie, le piano et le chant au conservatoire de Toulouse. J’ai ensuite été nommé chef de chœur et responsable des études musicales à l’Institut de Musique Sacrée de Toulouse. Après ça, tout est allé très vite. J’ai obtenu mon Diplôme National d’Etudes Musicales Supérieures en direction de Chœurs au CNSMD de Lyon (Plus haut diplôme en France pour les chefs de chœur). J’ai intégré le Centre de Formation Lyrique de l’opéra de Paris en tant que chef de chant et puis je me suis présenté au Concours international Belvedere dont une toute petite partie, quasiment inconnue, est réservée aux chefs de chant. J’ai donc été sélectionné parmi des compétiteurs du monde entier et puis… j’ai gagné, j’ai remporté en 2004 le prix Bösendorfer récompensant le meilleur chef de chant.

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Vous avez passé dix ans comme chef de chœur au Grand Théâtre de Tours

. Comment définiriez-vous ces années. Qu’avez vous bâti à Tours et que retenez-vous de cette expérience ?

-E.T. : Je suis arrivé à Tours l’année où j’ai eu le prix Bösendorfer. Par l’intermédiaire du centre lyrique de l’opéra de Paris, j’avais été engagé pour accompagner le Concours International de Chant de Marmande. Jean-Yves Ossonce qui, était membre du jury m’a vu à l’œuvre. Il avait alors besoin d’un second chef de chant à Tours et m’a proposé le poste. Un réel rapport de confiance s’est créé entre nous et très vite j’ai été nommé chef des chœurs et régisseur des chœurs. Ce que je retiendrai de ces dix années de partenariat ?… Avant tout des échanges privilégiés avec les artistes du chœur. C’est le plus petit chœur fixe de France, ce qui a pour effet de créer une dynamique de groupe forte et un chœur très soudé. Je dois également rendre hommage à Jean-Yves Ossonce, le directeur du Grand Théâtre, qui m’a accordé sa totale confiance. Il m’a toujours laissé carte blanche pour le choix des œuvres en ce qui concerne les activités satellites du chœur. Ainsi, nous avons bâti un répertoire hors lyrique très large avec entre autres des concerts de comédie musicale et énormément de musique vocale essentiellement française. De la musique A capella autour de Poulenc, Milhaud, Reynaldo Hahn ou Ibert… Tout cela a été possible parce qu’à Tours, la saison lyrique compte en moyenne 6 ouvrages par an, ce qui laisse donc la place à des concerts thématiques. J’ai aussi dirigé à de nombreuses reprises la maîtrise lorsque nous produisions un ouvrage nécessitant l’intervention d’enfants tels que Carmen (2014) ou la Flûte enchantée… Je recrutais alors 20 à 30 enfants que je suivais sur plusieurs mois.


VIDEO. Tours : ils ont chanté sur scène à l… par lanouvellerepublique


Avec La Traviata, vous venez de clore un chapitre important de votre vie. Mon petit doigt me susurre que l’émotion lors de cette dernière représentation du 26 mai dernier était palpable. Jean-Yves Ossonce, a demandé au public de vous acclamer lors des saluts. Chose inhabituelle, toute l’équipe technique a rejoint les artistes sur le plateau et vous a ovationné. Qu’avez vous ressenti alors et que représentent ces années tourangelles ?

-E.T. : Oui, c’était beaucoup d’émotion d’autant que ne m’y attendais pas. C’était très touchant et je sais que ce travail en étroite collaboration avec Monsieur Ossonce m’a beaucoup appris. Il avait coutume de m’appeler son « Jiminy Cricket ». Il est à la fois peiné de « me perdre » mais aussi ravi car il sait qu’un opéra de la taille de Marseille me permettra de m’épanouir pleinement dans la voie que j’ai choisie.

A Marseille, vous allez passer d’un effectif de 12 choristes à plus de 30 et de 4 à 6 productions lyriques par an à 7 voire 10, des chefs d’orchestre différents à chaque production… Comment appréhendez-vous ce changement et comment envisagez-vous de travailler ? Pensez-vous continuer à exercer vos activités de chef d’orchestre et de chef de chant ?

-E.T. : Il me semble que tout cela repose sur l’organisation et la planification du travail. Il y a pour la saison prochaine 7 ouvrages programmés en version scénique et 3 en version concert. J’ai observé durant toutes ces années de pratique que 75 % du travail était consacré à la mémorisation. En conséquence, les ouvrages en versions concertantes ne demandent pas un surcroît de travail. Quant au reste, n’ayant plus la régie de chœurs à prendre en charge et étant boulimique de travail, je serai comme un poisson dans l’eau à Marseille. Quant à mes activités de chef d’orchestre, si l’occasion se présente je rejoindrai avec plaisir la fosse pour exprimer une autre partie de ma personnalité musicale.

Parmi les ouvrages de la saison prochaine, sont programmés Manon, Semiramide, La vie parisienne, l’Aiglon, Madame Butterfly, Cosi fan tutte et Macbeth. Lesquels de ces opéras sont des découvertes pour vous ? Combien de temps nécessite l’apprentissage et si j’ose dire le « décorticage » d’une œuvre nouvelle ? Ecoutez-vous des références ? Faites vous d’abord une lecture au piano ou bien ce qu’on appelle un travail « à la table » en passant au scanner toutes les indications du compositeur ?

-E.T. : Les 5 premiers ouvrages de la saison, je ne les ai jamais encore pratiqués. Les autres, que ce soit l’Aiglon, Cosi, Butterfly ou Macbeth, sont des œuvres que j’ai côtoyées. Cela ne signifie pas pour autant que tout est acquis et que ma curiosité n’ira pas chercher de nouvelles pistes musicales. Quant à ma méthode d’approche, peu importe la langue, je commence par m’approprier le livret et le texte. C’est certainement l’héritage de Janine Reiss. Je passe des heures « à la table » pour analyser les volontés des compositeurs. La seconde étape, laquelle est certainement due à mon passé de pianiste, c’est de déchiffrer toute la partition au piano. Que ce soit les interventions chantées ou les parties instrumentales. D’ailleurs, à chaque fois que c’est possible, je préfère travailler directement sur la partition d’orchestre. Ensuite, seulement, j’écoute 1, 2, voire 3 versions discographiques dites de « référence ». Cependant, je considère toujours avec une oreille critique ce qui est qualifié de « tradition ». Sur certains enregistrements « historiques », on sait que le compositeur était présent et qu’il a pu donner ses directives : des cadences qui ne sont pas forcément écrites, des rubatos décidés in vivo. C’est ce que j’appelle « la bonne tradition » à contrario de celle orale qui, souvent a subi les déformations du bouche-à-oreille.

Vous êtes réputé, entre autres pour faire avant chaque spectacle un raccord jusqu’à la dernière représentation d’une œuvre. Pourquoi ?

-E.T. : Un spectacle n’est jamais figé et s’il existe un axe de progression, c’est dommage de ne pas en faire profiter le plateau.

Et si vous souhaitiez préciser vos attentes ou du moins vos espoirs pour l’opéra de Marseille, comment les caractériseriez-vous ?

-E.T. : Je n’ai pas encore travaillé avec le chœur de l’opéra de Marseille, seul, en tête à tête. Nous avons collaboré l’an passé à Orange mais ils étaient intégrés au sein d’autres chœurs. J’attends donc impatiemment ma prise de fonction en septembre pour que le chœur et moi-même apprenions à nous connaître. De ce que j’ai pu entendre il y a quelques jours lors de la générale piano de Falstaff, dernier ouvrage de la saison, je suis persuadé que nous allons faire ensemble un très beau travail. Si par la musique le chef de chœur parvient à emporter avec lui son auditoire, alors il crée une osmose. Il doit être lui-même convaincu pour obtenir le meilleur de ses artistes.

Cela fait quelques années que plusieurs chœurs de nos grands théâtres de province se retrouvent l’été à Orange pour les Chorégies. C’est généralement vous qui assurez la coordination de cet événement. Pensez-vous continuer à l’avenir même lorsque l’opéra de Marseille ne sera pas impliqué ou êtes vous tenu de vous dévouer uniquement corps et âme à votre nouvelle « maison » ?

-E.T. : Depuis plusieurs étés, le chœur de Tours était absent des Chorégies, ce qui ne m’a pas empêché d’y être engagé avec la double casquette de chef assistant et coordinateur des chœurs. L’été 2016, le chœur de Marseille est programmé sur un ouvrage et j’ai d’ores et déjà signé avec les Chorégies jusqu’en 2017. Cet été je collaborerai à ma dixième production au sein des Chorégies. Ce rendez-vous estival annuel compte énormément pour moi. Il me permet d’aborder mon métier sous un autre angle. Je suis toujours heureux de retrouver ce lieu mythique et d’apporter ma pierre à des productions d’un tel niveau.

Emmanuel, merci de nous avoir accordé un peu de votre temps. Nous vous souhaitons le meilleur et nul doute que l’opéra de Marseille qui a été élevé par son directeur Maurice Xiberras au plus haut rang des scènes nationales, trouvera avec vous une pierre taillée sur mesure afin d’élever ce temple de l’art lyrique vers de nouveaux sommets.

Une dernière question si vous le permettez : si vous deviez vous définir en un seul mot, ce serait ?

( après avoir réfléchi un long moment )

-E.T. : La passion !

Eh bien Emmanuel Trenque, « Passion » sera notre mot de la fin.

Patrick Alliotte


WUKALI 30/05/2015

Courrier des lecteurs: redaction@wukali.com

Illustration de l’entête: Emmanuel Tenque, photo: La Nouvelle République


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