A fine lady, a historical figure of the Resistance, was honored the burial in the Panthéon in Paris
qui vient de faire l’objet d’une publication aux éditions de La Martinière Écrire un livre, qui plus est une opérette, dans ce qui fut la pire horreur de toute l’histoire de l’humanité peut sembler de prime abord stupéfiant. L’opérette est en effet un genre musical léger et guilleret avec des musiques plutôt joyeuses sur des textes qui le plus souvent ne touchent ni à la profondeur ni à la réflexion. Le rire, ce formidable cri joyeux d’Isaac, cette provocation à l’inéluctable du temps, ce défi à la mort, c’est ce mode tout à la fois mental et d’existence que Germaine Tillion a choisi pour survivre et défier les bourreaux. Dans la liste noire du Nacht und Nebel, Ravensbrück eut en effet la particularité d’être un camp réservé aux femmes et imaginé par Himmler . Près de 132.000 femmes venant de 23 pays y furent déportées: des Polonaises, des Allemandes, des Russes, des Ukrainiennes et des Françaises en grand nombre, près de 20% de ces femmes étaient juives. Seules 15.000 ont survécu. La volonté de vivre, de survivre, de résister, de témoigner (mot que je n’aime guère), s’est parfois dans ces temps de déréliction et d’agonie des camps nazis exprimée à travers des œuvres artistiques. S’il existe de nombreux dessins et illustrations qui ont pu être retrouvés, rarissimes cependant sont les œuvres musicales. Non seulement bien entendu il fallait avoir la force physique et psychologique pour écrire, fallait-il encore avoir la possibilité de trouver du papier pour coucher ses pensées et laisser une trace pour la mémoire, et bien entendu échapper à la surveillance des gardiennes et autres gardes-chiourme. D’entre les rares œuvres musicales, on connaît Der Kaiser von Atlantis oder die Todverweigerung de Viktor Ullmann, qu’il composa à Térésin, il mourut gazé à Auschwitz-Birkenau. Son opéra fut monté voilà quelques années à l’opéra de Nancy puis au Théâtre du Châtelet à Paris, mais l’œuvre est de fiction. Le Verfügbar aux Enfers de Germaine Tillion est de nature différente car il décrit l’existence même des prisonnières et la vie dans le camp avec un détachement et une force analytique puissante de vérité . Bien au delà d’une œuvre artistique et sensible c’est avant tout une création intellectuelle où transparait le métier même de Germaine Tillion, celui de l’ethnologue, c’est dire de cette capacité scientifique de collection et d’analyse d’une société étudiée indépendamment des affects de l’observateur. Germaine Tillion est résistante, pas question pour elle de participer au travaux forcés du camp, elle fait partie des Verfügbar et échappe comme d’autres qui errent misérables et affamées aux activités mortifères des commandos. Elle se cache dans une caisse d’emballage pour écrire, une amie lui fournit du papier, elle devient librettiste pour une curieuse opérette. Volonté de ne pas participer de quelque manière que ce soit au système nazi, de ne pas accepter l’ordre du camp, de travailler pour les monstres, de ne pas accepter cette rigueur allemande de l’organisation, de ne pas travailler comme esclave, ilote d’ un système assassin. Dans certains ateliers de Ravensbrück on travaille pour Siemens à produire des pièces pour V2. Vivre pour dire, mais aussi pour distraire par auto dérision ses camarades de martyr et les amuser le soir dans les veillées en récitant et en faisant jouer son texte , Germaine Tillion convoque dans son opérette les compositeurs les plus populaires, les œuvres les plus célèbres, tout à la fois Phi Phi de Christiné, les Trois valses d’Oscar Strauss, la Danse macabre de Saint Saens, mais aussi Tino Rossi, les Bateliers de la Volga ou Eurydice de Glück … Un vrai travail de chansonnier, à la mode des cabarets, ceux de la Butte Montmartre ou de la République à Paris comme ceux peut-être de la République de Weimar dans les années 20 à Berlin. Une ironie dans la lignée de Voltaire. L’œuvre ne sera pas achevée. La vie (mais de quelle vie parle-t-on ?) devient à Ravensbrück de plus en plus dure, les nazis construisent des crématoires. Germaine Tillion avait été arrêtée le 13 août 1942, sur la dénonciation d’un prêtre, Robert Alesch, agent de l’Abwehr ( Il sera à la Libération exécuté). Le réseau du musée de l’homme à laquelle elle appartenait avait été dans les semaines précédentes démantelé et ses responsables fusillés. Elle est emprisonnée à Fresnes, soumise à quatre interrogatoires puis le 21 octobre 1943 envoyée à Ravensbrück. Le camp fut libéré par l’Armée Rouge le 30 avril 1945. C’est une amie de Germaine Tillion, Jacqueline d’Alincourt, elle aussi prisonnière qui retrouva le fameux carnet sur lequel Germaine Tillion avait rédigé le texte de son opérette et dont les éditions de la Martinière qui viennent de sortir le livre reproduisent en annexe le fac-similé. Pierre-Alain Lévy Le Verfügbar aux Enfers Germaine Tillion
Dans son discours d’hommage aux 4 héros de la Résistance qui viennent de faire leur entrée au Panthéon, [[Germaine Tillion, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Pierre Brossolette et Jean Zay]] François Hollande dans l’éloge qu’il fit de Germaine Tillion évoqua l’opérette que celle ci avait écrite durant son internement au camp de Ravensbrück. C’est cette œuvre, Le Verfügbar aux Enfers,
Le titre même de l’opérette adapté d’Offenbach lui même repris de Glück est un premier clin d’œil
Éditions de la Martinière. 30€
Texte écrit par Germaine Tillon en 1946
«Nous arrivâmes à Ravensbrück un dimanche soir de la fin d’octobre 1943. En quelques heures, nous eûmes la révélation brutale du camp, du bagne, nous connûmes les expériences de vivisection sur des jeunes filles, nous vîmes ces jeunes filles elles-mêmes et leurs pauvres jambes martyrisées; les histoires de transports noirs, d’exécutions isolées, de massacres en série, les malades achevés, les chiens, les coups, les chambres à gaz… Et tout cela se présentant à nous simultanément, par vision directe ou par témoignages innombrables, irréfutables. (…)
Dans le même bloc que nous logeaient les Tchèques qui revenaient d’Auschwitz et qui, à voix basse, racontaient les horreurs qu’elles avaient vues, l’anéantissement systématique des juifs par les gaz, les cadavres brûlés, les montagnes de cendres humaines; et avec elles, il y avait aussi quelques juives qui attendaient leur départ pour Auschwitz, connaissant leur destin.
Mais avant même toute explication, tout précision, une réalité nous avait assaillies de toutes parts: c’était l’état d’effroyable déchéance de la majorité des prisonnières, hâves, déguenillées, squelettiques, couvertes de plaies suppurantes, de gales infectées, et le regard complètement atone, mort. Nous étions encore des êtres humains, avec des bases de comparaison pour mesurer cet abîme de misère, dans lequel nous allions irrémédiablement sombrer»
WUKALI 29/05/2015
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Illustration de l’entête: Héros de la Résistance entrés au Panthéon, de gauche à droite: Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion, Jean Zay et Pierre Brossolette