A unique thesaurus about a special aspect of art creativity during the Weimar Republic


Voici un livre monument, une somme, un compendium d’érudition, de ceux que se plait souvent à éditer Taschen, il est plus spécialement destiné aux bibliophiles mais saura parfaitement intéresser tous les amateurs de l’histoire de l’art. La direction scientifique en a été confiée à Jürgen Holstein. S’il traite de l’art sous la République de Weimar c’est dans l’étude des illustrations des couvertures de livres. Un exceptionnel, voire unique travail de recherche.

Il deviendra, et cela ne fait aucun doute, la référence obligée des amateurs de belles reliures et de bibliophilie, mais, et ce n’est pas le moindre de ses mérites, fournira une documentation exceptionnelle pour tous ceux qui s’intéressent à cette période de l’histoire de l’Allemagne précédant l’arrivée du nazisme.

Il est dans sa sphère encyclopédique, et le nombres de thèmes abordés est impressionnant. Pour en donner une simple idée, dans la mise en page la liste couvre trois pages !

Olécio partenaire de Wukali

Il y a plusieurs manières d’aborder ce livre : la manière de l’historien d’art, ce que je suis, qui ira chercher les différentes écoles, les artistes, les styles, les techniques et de ce point de vue il sera bien plus que satisfait. On y trouvera à titre d ‘exemple les noms de John Heartfield, Olaf Gulbransson, Otto Dix, George Grosz, ou Frank Masereel et César Klein et une foultitude d’autres que je ne puis mentionner ici tant ils sont nombreux. On sera au coeur des mouvements artistiques contemporains fourmillant dans la République de Weimar, de l’Expressionnisme, du Réalisme, de la Nouvelle objectivité ou du Constructivisme, sans oublier il va de soi le Bauhaus et autres Avant-guardes.

L’inventivité graphique y est permanente. Bien plus encore on reste admiratif devant la maestria de ces illustrateurs qui, pardonnez-mois cette remarque grotesque, ne disposaientt que de peintures, de papier, de crayons et de ciseaux ( je songe là notamment aux montages de Heartfield) et non de la sophistication des outils informatiques d’aujourd’hui, pour innover, créer et au demeurant séduire le lecteur, celui qui aime cet objet unique et magique qui s’appelle un livre.

Pour le bibliophile, ce thésaurus, recense toutes les maisons d’éditions, leurs fondateurs et en donne maints détails, chaque livre présenté et illustré ( et ils sont nombreux croyez-moi), est accompagné d’une notice parfaitement précise et documentée, quant à l’historien il offre une manière incomparable de saisir l’essence de cette période tout à fait particulière de l’histoire de l’Allemagne. La liberté d ‘expression est totale (enfin presque…)

Cette République de Weimar, ce temps de liberté qui précède la descente aux Enfers et la barbarie nazie, même si la censure n’est pas absente. Cette période de fusion artistique et intellectuelle qui constitue au demeurant une surprise, une rupture dans la tradition allemande. Ce temps de folle liberté débridée, dyonisiaque, inventive qui succède à la boucherie de 14-18 et la révolution de Berlin. Une fusion artistique et intellectuelle qui réunit, c’est même son essence, des influences les plus disparates. On est d’ailleurs aussi surpris ( ce qui est normal pour un historien) de constater le peu d’influence de l’idéologie nationale socialiste sur les créateurs de ce temps, je serais même enclin à penser l’inverse. Il faut cependant remarquer l’influence du fascisme italien et des éditions qui en traitent. L’on observe en revanche le peu de créativité graphique des illustrateurs anti-fascistes pour contrer cette vermine. Les éditeurs juifs sont bien sûr mentionnés.

La République de Weimar, une espèce de temps incubateur stimulant, provocateur, où tous les démocrates, tous les hommes libres, trouvent leur oxygène et où les artistes se déchaînent et créent. Qu’ils avaient raison d’en profiter, d’exister et d’être, car dès 1933 avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir, cette liberté de ton et d’expression disparaîtra et le pire est en marche ! Seuls quelques rares intellectuels, mais ce n ‘est pas le sujet de ce livre, auront la grandeur et le courage de quitter des 1933 l’Allemagne parmi lesquels Klaus Mann, le fils de Thomas, qui combattra le nazisme ( ils seront un peu plus de 3.000)

Difficile d’être exhaustif sur un tel livre, tant il est riche, une somme, comme je l’écrivais en préambule, un travail de compilation et d’analyse admirable.

Juste un couac ! Taschen depuis fort longtemps avait parfaitement compris les avantages de la mondialisation et le marketing ( la mercatique en français ) de ses livres était unique puisque ses ouvrages étaient trilingues: anglais, allemand (maison mère de Taschen), et le français. Ils pouvaient ainsi être indifféremment lus dans moult régions du monde. Une initiative intelligente qui au demeurant permettait de baisser le prix de vente des ouvrages, ce qui n’est pas négligeable pour un livre d’art, et ce dont tout un chacun lecteur pouvait se réjouir.

Cette originalité on ne peut plus fine, cette niche, pour parler le jargon, était d’ailleurs parfaitement appréciée des lecteurs polyglottes ou non qui faisaient le choix de la langue du texte selon leurs propres compétences, critères, désirs ou plaisirs linguistiques et bondir d’une langue à l’autre, c’est au demeurant ce que je fais. En aparté, on se demande bien pourquoi les éditeurs français de livres d’art n’en font point autant ?

Or, tel n ‘est pas le cas pour ce livre The Book Cover in the Weimar Republic/ Buchumschläge in der Weimarer Republik qui ne comporte pas une version française. On peut donc s’en étonner, le déplorer, faute marketing ou choix délibéré, qu’importe ! Il faut donc le lire soit en anglais soit en allemand, nenni de la langue de Voltaire, de Balzac ou de Proust !

Foin de la francophonie et pan sur le bec à Taschen comme dirait le Canard ! Ce n’est pas bien cela, vous nous aviez habitué à mieux…

Pierre-Alain Lévy


The Book Cover in the Weimar Republic

Buchumschläge in der Weimarer Republik

Taschen éditions. 49€


WUKALI 3/10/2015
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