Mainly a biased view on the topic of jihadism with unskillful solutions


Voilà un livre où ce qui est très important quand on commence sa lecture n’est pas le titre, Pourquoi ils font le djihad

, mais le bandeau (qui est imprimé, comme un sous-titre) : « Enquête sur la #génération merah ». Tout de suite on comprend que l’on va aborder des problèmes liés aux réseaux sociaux et bien sûr au terrorisme islamique en France. De plus c’est le témoignage, le témoignage d’un journaliste et non d’un sociologue. D’un journaliste connu, un des derniers vrais grands reporters qui tout au long de sa carrière, personne ne peut le nier, a pris des risques ; sa vie de nombreuses fois a été mise en danger et il a droit encore à une protection policière car il est une « cible » identifiée des terroristes islamiques. Il a donc une vraie légitimité, que nul ne peut lui ôter, d’écrire sur un sujet dans lequel il s’est investi durant sa carrière professionnelle. Mais c’est un journaliste, aussi ne parle-t-il que des faits qu’il connait et ne veut ne pas vouloir donner son avis, ne pas faire de théorie. Intention très louable, mais, car il y a toujours un mais, depuis longtemps l’on sait que c’est strictement infaisable.

Lui qui se targue, à juste titre, de donner des cours dans des écoles de journalisme (et je ne doute pas que vu son vécu, ses interventions doivent être très intéressantes) sait très bien que l’objectivité n’existe pas et que toute présentation des faits est loin d’être neutre, que la façon de présenter, les mots employés, leurs places dans une phrase, dans un paragraphe, la structuration d’un article, d’un livre, sont soumis à l’idée, à l’idéologie du rédacteur.

Quand on a assimilé, accepté, compris cela, on peut lire le témoignage de Jean-Paul Ney, et, par voie de conséquence, donner son avis dessus. La partie « vécue de Jean-Paul Ney  », n’amène rien sur aucun commentaire. C’est son vécu, ses choix, ses galères, mais aussi son courage et sa réelle volonté « d’aller sur le terrain » pour voir et témoigner (je n’irais pas jusqu’à comprendre). Et de fait son vécu lui donne une vraie légitimité quand il lance à longueur de pages des diatribes contre ses collègues qui parlent du terrorisme sans se déplacer sur les lieux où il sévit ou alors en restant très éloignés du centre de l’action.

En revanche, dire que son témoignage, ses descriptions sont « neutres », que son action n’est pas idéologiquement « orientée » serait mentir, car au-delà des faits, il suinte derrière toute une idéologie quelque peu simpliste voire primaire qui ne dépareillerait pas dans certaines conversations du café du commerce, ou, certaines fois dans des « cercles de réflexion »des admirateurs d’Adolphe. Jean-Paul Ney a beau tout au long de son livre se dire neutre, n’avoir jamais fait de politique, taper sur la droite et surtout sur la gauche, et bien sur les « juges rouges » et les bobos qui n’ont rien compris (parmi les bobos il inclue les philosophes, les sociologues), il n’en demeure pas moins que c’est un message politique qu’il véhicule, message politique on ne peut plus simpliste, primaire et extrémiste.

On parle ici de terrorisme islamique, mais à une autre époque, les Jean-Paul Ney d’alors ont commis les mêmes articles, les mêmes livres avec les mêmes mots, les mêmes phrases, les mêmes anathèmes contre les terroristes d’alors qu’il fallait éradiquer comme les résistants sous la seconde guerre mondiale (en plus il y avait des maquisards communistes) ou les algériens dans les années 50. Un admirateur de la Gestapo ou de l’OAS aurait pu avoir les mêmes analyses et les mêmes solutions. Ce n’est pas parce que l’on a essayé de faire des études, que l’on a essayé de débusquer la bête immonde derrière des experts auto proclamés qui assènent des « vérités » toutes faites, souvent fausses, pour flatter la population, que l’on est par principe un « bobo » déconnecté de la réalité.

Je me permets de l’écrire, car, du terrain j’en ai fait, des émeutes urbaines j’en ai vécues, des caillassages contre ma personne je ne les compte plus. Et pourtant, je ne me retrouve pas toujours (parfois si) non dans ce que décrit Jean-Paul Ney (comme je l’ai dit son vécu est digne d’intérêt) mais dans les analyses qu’il en tire (alors qu’il dit ne pas en faire). Le rapport entre les événements de Clichy sous-bois ou de Villiers-le-Bel avec une manipulation islamique ne sont pas évidents. Soit, l’auteur ne dit pas qu’il y en a mais il fait plus que le sous-entendre. Et pourquoi ne parle-t-il pas des dernières en date d’une certaine envergure, celles d’Amiens en 2013 ? Il est certain que l’absence de musulmans proches des milieux extrémistes dans ces moments n’est pas sans désavouer sa démonstration.

On peut aussi reprocher à l’auteur de nous asséner des vérités que d’autres médias reprennent continuellement, ainsi il avance des chiffres sur le financement de Daesh par l’Arabie Saoudite et le Qatar, mais il est bien dommage qu’il ne nous apporte aucune preuve tant au niveau de ce financement qu’au niveau de son montant. Pour quelqu’un qui veut informer, qui nous dit qu’il vérifie ses sources, cela ne fait pas très sérieux.

Je ne m’étalerai pas sur la foi quasi aveugle qu’il a dans les services du renseignement, surtout l’ex DST (il a travaillé avec un de ses anciens directeurs) et ce qui l’a remplacé la DGSI. Soyons honnête, il est critique quant à la gestion faite par la DGSI de l’affaire Merah du moins au moment de son interpellation. En revanche il ne fait aucune référence au rapport parlementaire qui a dénoncé les lacunes de ce service et sa façon de travailler, dommage ! Peut-être se montrerait-il un peu plus sceptique quand il retranscrit une conversation avec Bernard Squarcini qui n’est qu’un magnifique passage de langue de bois. Mais c’est vrai que les parlementaires n’y comprennent rien et refusent de voir la réalité en face !

Mais enfin, pourquoi pas, indéniablement le but de Jean-Paul Ney est de faire du « lobbying » en faveur du renforcement des moyens et des compétences des services de renseignement. Ce qui est dommage c’est qu’à ses yeux, à part ces services et les « experts » qu’il reconnait comme tels, tout le reste de la population, tous les politiques, toutes les personnes qui travaillent dans les cités sensibles, qui essaient de comprendre les phénomènes qui s’y déroulent pour les combattre, ne représentent qu’une bande d’autistes niant la réalité.

Bien sûr, renforcer les moyens et les compétences se fera au détriment de certaines libertés publiques, mais ce n’est pas grave, nous sommes en guerre… C’est ce que disaient d’ailleurs certains pour justifier la torture en Algérie ! Ceux qui soutiennent cette grande idée devraient lire Beccaria et réfléchir à cette phrase de Benjamin Franklin «Quand on sacrifie la liberté à la sécurité, on est certain de n’avoir ni la liberté, ni la sécurité ».

Je ne m’étalerai pas sur les connaissances indéniablement très faibles que l’auteur a de l’Islam. Mais peut-être fait-il volontairement des amalgames pour défendre ses théories (à ce niveau il n’informe pas, il ne témoigne pas, il crée volontairement de la polémique) ? Sait-il seulement la différence entre les sunnites et les chiites ? Connait-il toutes les écoles qui existent en leur sein ? Et l’Islam turc et ses particularités, et l’Islam comorien qui n’a pas grand-chose à voir avec le walabbisme (d’ailleurs pas une seule fois il ne parle de ce courant) ? On assiste à un tel amalgame que quand dans les solutions qu’il propose, il souligne la nécessité pour l’Islam d’évoluer, on se demande alors vraiment de quoi il parle. On a envie de lui demander quel islam ? Au nom de quoi, lui qui ne semble pas être musulman peut-il s’arroger ce droit ? Pourquoi ne parle-t-il pas de tous les courants réformateurs de l’Islam ? A force de tout confondre, d’une toute petite minorité on en fait une généralité, ce qui n’est vraiment pas du tout du bon travail d’information !

Comme beaucoup, il demande aux musulmans de se justifier et de condamner le terrorisme. Toujours la même question : quels musulmans ? Je n’ai pas vu un chiite ni un alaouite parmi les terroristes et pas un seul suleymani. Depuis les attentats de 2015, depuis des années à la télévision le dimanche avant la messe, je n’ai pas entendu un seul soutien aux terroristes, mais plutôt des paroles très dures contre eux et un message de tolérance ! Est-ce que l’on a demandé aux catholiques de condamner les attentats de l’IRA ? Est-ce qu’après des manifestations contre l’ETA on a demandé des repentances et des excuses à longueur de livres aux Basques ? Non ! Sommes-nous en démocratie ou pas ? C’est justement à force de demander excuses et repentances que l’on accroit le sentiment de marginalisation et d’exclusion d’une minorité, qu’on la pousse dans le radicalisme. Jean-Paul Ney dénonce à juste titre ces phénomènes dans notre société, mais pourquoi le fait-il pareillement ? C’est à croire qu’il est quelque peu schizophrène, ce dont je doute un peu, car tout devient le fait des terroristes islamiques. Son passage sur les drones est quelque peu plein d’une mauvaise foi absolue ou d’un autisme total.
Et que dire de ses amalgames plus que légers entre banlieue difficile, famille monoparentale et passage au terrorisme. D’abord si c’est une majorité, pourquoi sous-entendre qu’il y a un lien de causalité ; cela fait penser que tout résident dans ces banlieue est un djihadiste potentiel et exclut de son champs de travail tous les djihadistes (et oui, il y en a) qui n’en sont pas issus.

Et puis ces diatribes contre les jeunes sont parfois lassantes, depuis le début de l’humanité c’est toujours la même rengaine contre les jeunes qui ne pensent qu’à leur nombril et ne veulent faire aucun effort. Et puis, en quoi ce dont on assiste aujourd’hui au niveau des jeunes est-il original ? En rien ! Pensons aux apaches du début du XX siècle et aux mouvements anarchistes. On parlait déjà de guerre civile, d’éradication, de destruction, de déportation, etc…

Quant aux solutions, je lui en laisse l’entière responsabilité. Parquer les djihadistes dans des camps (de concentration, mais il n’ose l’écrire même si indéniablement il le pense) en Outre-mer (avec une préférence pour l’île du Diable de sinistre mémoire), n’engage que lui. Ce n’est pas parce qu’ils se trouveraient à l’autre bout du monde qu’ils ne feraient pas du mal à la mère patrie. La mondialisation par le Net touche aussi les territoires d’Outre-mer !

Ce livre est un beau gâchis. Car Jean-Paul Ney a des analyses pertinentes, claires qui devraient être plus entendues, comme sur le caractère sectaire des mouvements djihadistes (alors pourquoi ne pas voir ces soldats de fortune comme des victimes et les « soigner » comme on soigne les victimes des sectes ?), ou quand il dénonce l’irresponsabilité de certains de ses collègues.

Je crois sincèrement que Jean-Paul Ney, de par son passé, ses actions présentes, est une personne digne d’intérêt et qui a un vécu très intéressant. En revanche, hélas, dans ce livre, il ne sait pas le faire partager, devient trop sectaire comme s’il était devenu autiste, quasi monomaniaque.

Soit, il nous livre un témoignage pointant des faits réels, se veut une sorte de lanceur d’alerte. Mais son manque de rigueur, ses perpétuels anathèmes, ses analyses et ses solutions à l’emporte-pièce nuisent grandement à son message.

N’est pas Démosthène qui veut !

Pierre de Restigné


Pourquoi ils font le djihad

Jean-Paul Ney

éditions du Rocher. 19€


WUKALI 02/10/2015
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