« Moi qui sais des lais pour les reines… », Drawings, first reminiscences of a not yet famous poet !


Voici un objet d’édition extraordinaire, publié à la nrf par Gallimard, un livre ou plus précisément un Album de jeunesse, un carnet de dessin ayant appartenu à Wilhelm de Kostrowitzky, un tout jeune homme de treize ans qui n’était pas encore, comme l’écrit Pierre Bergé, préfacier de l’ouvrage, connu sous le nom de Guillaume Apollinaire.

Cet album c’est un coup de coeur aussi, celui de son découvreur Pierre Bergé qui après une vie de passions occupée à collectionner et débusquer des trésors artistiques sans pareil choisit avant de s’en séparer et de les disperser, de les offrir en partage au plus grand nombre de lecteurs et de passionnés de l’oeuvre et de la vie du poète. C’est la raison d’être de ce livre, c’est aussi une aventure de bibliophile.

C’est tout particulièrement, et il convient de le souligner, un admirable travail d’imprimerie. L’album dans un format à italienne sous coffret que l’on feuillette, semble être l’original, c’est tout simplement bluffant. On serait prêt à reconnaître l’authenticité de la mine de plomb, de l’aquarelle ou de l’encre. Plus fort encore le verso de chaque page, et c’est un véritable exploit, reproduit aussi pareillement l’album «dans son jus», jusqu’à la trace des poudres noires nées de l’impression du recto précédant par frottement, voire les traces de moisissure ou les défauts du papier

Olécio partenaire de Wukali

C’est une pure merveille, sensible, émouvante, tendre, attachante. Ne vous attendez pas à trouver la révélation d’un artiste du dessin enfin reconnu, pas davantage l’admiration pour un double talent comme un Victor Hugo pour le dessin ou la peinture ou un Delacroix pour la littérature. Non point ! Mais la trace fragile d’un écolier inspiré, pensionnaire en classe de 4ème et 3ème au collège Saint Charles à Monaco entre les années 1893 et 1895. Monaco qui fit jaser, car la ville aurait aussi été le berceau des amours d’ Angelika Kostrowicka, mère du futur poète, avec le frère de l’archevêque de la Principauté et que l’on considère très probablement d’ailleurs comme le père putatif d’Apollinaire

Guillaume est un écolier triste, solitaire balloté dans la vie par une mère fantasque, il est pensionnaire dans ce collège confié aux marianistes. Cet album de jeunesse est tout à fois une espèce de carnet de bord et un carnet de dessin où le déjà Mal aimé , consigne ses réactions figuratives manifestement inspirées par les matières qu’il étudie, un dessin au crayon par exemple de Vercingetorix daté du 26 juillet 1893 et signé du nom de famille de son jeune auteur ou celui d’Alexandre.

Certes tout écolier, pour peu qu’il ait la fibre créatrice et s’ennuie très probablement durant les cours, a manifestement griffonné parfois même jusque dans ses livres, ou autres cahiers, voire graver dans le chêne des tables d’écolier ( qui ne l’a fait !), des figurines ou des caricatures. Cet album c’est bien autre chose et l’on y découvre déjà les prémices d’une sensibilité aiguisée, voire même d’un regard différencié sur les êtres. Bien entendu il est toujours commode de discuter à posteriori sur sur les créations des artistes et de développer un raisonnement que l’on pourrait assimiler à une psychanalyse par rétro projection. De même l’on peut aussi dans le cas d’Apollinaire chercher à retrouver dans ces dessins une reviviscence qui s’incarnera dans l’oeuvre poétique à venir de cet artiflot passionné.

Guillaume déjà songe à écrire des poèmes et il les illustre. Le poème intitulé Noel est à cet égard intéressant et le texte comme les très raffinés dessins à la plume et à l’encre noire qui l’illustrent (la Vierge et l’Enfant-Jésus, les Rois mages ou le bois de la croix avec le crâne d’Adam à sa base) méritent attention toute à la fois pour les sujets représentés que pour la métrique du poème. D’autres dessins sont aussi particulièrement originaux, parmi ceux-çi celui représentant les ministres des trois cultes ou celui d’un prêtre gravant seul sur l’écorce d’un arbre, comme un amoureux transfiguré et ahanant, le nom de Jésus.

Ces pages de cet Album sont suivis de commentaires établis par Pierre Caizergues, grand spécialiste d’Apollinaire.

Ce livre c’est une merveille! Oui, un livre tout bonnement dans sa définition papier, sensuelle, charnelle, tactile, palpable, visuelle, je dirais presqu’olfactive et sensible, une création en voie de disparition, un objet de référence, de révérence aussi, en un mot c’est Apollinaire, déjà et par anticipation !

Me revient ce poème :

O ma jeunesse abandonnée
Comme une guirlande fanée
Voici que s’en vient la saison
Des regrets et de la raison
. ( Vitam Impendere Amori)

Pierre-Alain Lévy


WUKALI 16/10/2015
Courrier des lecteurs : redaction@wukali.com


Ces articles peuvent aussi vous intéresser