« War and Peace » by Bondartchouk, a giant film !


De temps en temps, nous vous présentons sur Wukali nos coups de coeur cinématographiques. Subjectifs à souhait bien entendu, mais passionnés! Une sélection qui pourrait s’intituler : Les 100 plus grands films du siècle. Après Le Guépard de Luchino Visconti, voici maintenant Guerre et Paix de Sergueï Bondartchouk.


Sergueï Bondartchouk, né en 1920 en Ukraine, est mort en 1994 à Moscou. Soldat pendant la deuxième guerre mondiale, diplômé de l’Institut national du cinéma de Moscou en 1949, «artiste du peuple» de l’URSS en 1952, membre du parti communiste par obligation, disgracié par les autorités après le 5ème congrès du cinéma soviétique, cinéaste et comédien, il est l’un des metteurs en scène majeurs du cinéma russe comme soviétique.

Son adaptation de « Guerre et Paix » de Tolstoï, un des romans les plus connus et les plus universels de la littérature mondiale, est un film monumental qui montre, à l’échelle du cinéma planétaire, la synthèse du langage cinématographique du 20ème siècle. Son influence fut immense, tant à l’intérieur du pays qu’ailleurs. Il reçut l’Oscar du meilleur film étranger en 1968.

Olécio partenaire de Wukali

Les préparatifs commencèrent à la mi-1961 et le tournage démarra en septembre 1962. Il s’acheva en 1965/1966. Le montage fut terminé en 1967. La même année, il fut présenté au public. Avec un budget de plus de 9 200 000 dollars, c’est le film le plus cher jamais réalisé en URSS. Il dure près de 7 heures dans la version vue en France, plus de 7h20 dans la version originale russe mais aucune n’est parfaitement complète… Ici ou là, on note de petits manques qui ne semblent pas être des coupes mais plutôt des pertes par rapport à la pellicule originale, apparemment dues à la qualité du support qui a mal vieilli.
Pour que ce film titanesque soit réalisé en URSS, il fallait l’accord des autorités. On peut noter qu’il a été commencé sous Khrouchtchev, dans un moment de relative libéralisation, et terminé sous Brejnev, au cours d’une période de reprise en main politique qui n’affecta pas le travail du cinéaste…

C’est une œuvre cinématographique monumentale, divisée en « deux volumes » comportant chacun deux parties, au total « quatre époques », comme dans le livre de Tolstoï, qu’il suit pas à pas dans les moments les plus importants. La richesse des thèmes abordés est incroyable : analyses psychologiques, éthiques, esthétiques, morales, métaphysiques, géopolitiques, historiques, supériorité de « l’âme russe » caractéristique de la période… Le film est aussi renommé pour la hardiesse de sa forme où les retours en arrière et les images de la « mère nature » sont partout présentes, pour sa puissante « construction architecturale» démonstrative. Bondartchouk arrive ainsi à suivre pas à pas Tolstoï dans sa narration complexe, il lui colle à la peau pourrait-on dire.


Nous savons que la scène de la bataille de Borodino a nécessité plusieurs dizaines de milliers de figurants et que Bondartchouk a disposé de deux divisions de cavalerie de l’armée soviétique. C’est la plus grande scène de bataille jamais filmée. Elle dure 45 minutes ! C’est donc aussi la plus longue et, par les qualités de sa réalisation, la plus graphique jamais vue auparavant.

De nombreux musées participèrent à la réalisation des costumes en conseillant le metteur en scène, le film en devint un des plus préparés de l’histoire du cinéma.
« Guerre et Paix » fut filmé en 70 mm : c’était une machine grand format avec 6 canaux et le son stéréoscopique. Difficile à manipuler pour les scènes d’action, on lui substitua des caméras légères que l’on inventa pour les besoins de la cause ! Certaines étaient suspendues sur des câbles traversant le champs de bataille, d’autres sur des bras articulés télécommandés, eux aussi créés de toute pièce.

Rappelons la trame de l’histoire que beaucoup connaissent :
1805 : éclate la guerre entre la France de Napoléon Ier et les Empereurs d’Autriche et de Russie. Pour la haute société, dans les grandes villes telle Moscou comme à la cour de Saint-Pétersbourg, la vie continue, immuable, avec ses mondanités et ses scandales. Le Prince André Bolkonski est gravement blessé à Austerlitz.

1812  : Napoléon envahit la Russie. La bataille de Borodino est un carnage homérique. Moscou est incendiée. La retraite, sous les assauts du général hiver et des cosaques, est un calvaire qui anéantit la Grande Armée…

Les images proposées par le metteur en scène sont époustouflantes de beauté intrinsèque et d’efficacité cinématographique. C’est un vrai déluge, un tsunami qui emporte le spectateur, conquis et subjugué, dans ce maelstrom intemporel, que la musique de Viatcheslav Ovtchinnikov rend encore plus colossal.

Le sommet épique de l’œuvre sont les charges de cavalerie et les explosions titanesques de l’affrontement de Borodino auquel notre regard participe, fasciné.

La métamorphose de l’actrice jouant Natacha Rostova( Ludmilla Savelieva) transfigure la petite fille du départ en une héroïne du patriotisme russe issu de la terre russe, à l’âme russe, au mysticisme russe, à l’orthodoxie russe triomphante des envahisseurs «  à l’âme inférieure ». En permanence, elle aura cette apparence ardente, fulgurante, qui stupéfie son monde. Ludmilla Savelieva incarne à la perfection Natacha Rostova.

Le pan-slavisme du film, qui l’imbibe du début à la fin, resta acceptable par les autorités communistes de l’époque auxquelles devaient déplaire le côté « religieux exacerbé » de ce rapport au divin permanent, partout présent. C’était, quand même, une apologie de tout ce qui était russe, donc aussi soviétique, de sa supériorité supposée sur tout ce qui venait de l’ouest, donc du capitalisme occidental ! J’ignore si ce fut la volonté délibérée de Bondartchouk mais le fait est là.

L’universalité des thèmes dont nous avons parlée, le scénario complexe parfaitement élaboré et maîtrisé, les images transcendantales toujours au service des « temps racontés », la musique des anges, stricto-sensu extra-ordinaire, les inventions techniques, comme les caméras légères nécessaires à la construction du film, l’ampleur du sujet finissant par dépasser le metteur en scène lui-même, ne sont pas les moindres atouts de ce chef d’œuvre du septième art. Tous ces éléments forment la trame de cette œuvre syncrétique, unissant spectacle et réflexion dans une symbiose parfaite comme seuls les chefs d’œuvres cinématographiques peuvent le faire.

Le réalisateur étant aussi l’acteur incarnant Pierre Bézoukhov, attachons-nous à sa prestation de comédien. L’être humain Bézoukhov, de part ses origines de « bâtard » reconnu à l’heure de la mort par son père repentant, est un individu manquant de confiance en soi que le « destin » prend en main pour lui offrir une position sociale enviable et…enviée. Il va se découvrir, à titre privé comme à titre public. Tout au long du film, nous serons les témoins de cette mutation. Le jeu de Bondartchouk nous montre toutes les hésitations, tous les doutes de cet homme torturé, souffrant en permanence, dans l’incapacité de s’accomplir. Il est amoureux de Natacha, arrivera à lui avouer à demi-mot mais ne pourra pas aller au-delà…Pourtant, elle a compris et lui demande de parler enfin…Il préférera s’enfuir et s’arrangera pour lui faire rencontrer son ami le prince André Bolkonski, bel homme, veuf depuis peu. Elle l’aimera tout de suite. Il faudra de terribles événements, la mort d’André, la captivité de Pierre et la fuite des moscovites devant la Grande Armée pour qu’ils soient enfin réunis. Même dans les dialogues, dans les mots qu’il utilise, il tergiverse : les redoublements de phrases lui sont coutumières, ses prises de position, politiques ou autres, font sourire la bonne société qui s’en amuse, en opposition complète avec son physique d’ours puissant.

Quant au Prince André Bolkonski, joué par Vyacheslav Tikhonov, il est tout l’opposé de son ami : sûr de lui et de ses ancêtres, ouvert au monde qu’il peut comprendre ou accepter, mais pas plus, à la recherche de son destin, il est incapable de ressentir des sentiments normaux pour autrui, que ce soit son épouse, sa famille, ou qui que ce soit : il se pose trop de questions dont il ne trouvera jamais les réponses. C’est un homme d’honneur courageux, refermé sur lui-même. L’acteur, Thikonov, rend bien cette incommunicabilité profonde vécue par le Prince, dont l’origine doit être cherchée dans son enfance et dans ses rapports complexes avec son père. L’acteur (sur les indications du metteur en scène?) arrive à communiquer cette facette particulière du héros qu’il incarne : il esquisse, pour mieux l’esquiver, son problème de fond, que ce soit en paroles ou par sa manière de se mouvoir, toujours à la limite d’une « philosophie très personnelle ». Il amplifie, il magnifie son personnage par sa seule présence physique, nous donnant la sensation qu’il joue pour un public invisible plus que pour le spectateur. Cela en devient criant de vérité. Le comédien semblant, alors, dépassé par son rôle !

Il est manifeste que Bondartchouk n’a rien laissé au hasard, par une longue préparation, par une longue réflexion et par une connaissance remarquable de la littérature russe. Ce qui lui permit d’aller à l’essentiel de ce monument des belles-lettres et de nous en offrir une transcription visuelle de qualité équivalente au roman, marque du chef d’œuvre cinématographique universelle s’il en est.

Jacques Tcharny


Making of, documentaire sur le tournage du film


L’intégralité du film de Sergueï Bondartchouk est accessible en V.O (russe) sur You Tube en 4 époques:
https://www.youtube.com/watch?v=W4EcRSoOG_w


WUKALI 07/01/2016
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