A very impressive and susceptible young artist photographer

Il y a un peu plus d’une année nous avions eu le privilège dans Wukali de publier des extraits des séries « Dust » et « Time of War d’« Olivier Valsecchi. Il nous fait le plaisir en ce début 2015 de nous accorder un autre entretien et nous présente sa nouvelle réalisation :«Drifting» où il revient entre autres sujets sur ses débuts dans la photographie.


1) – Comment as-tu découvert et débuté en photo ? Quel fut le déclic ?

Olécio partenaire de Wukali

Mon père m’a sensibilisé à la photographie dès ma naissance, parce que c’était son hobby. C’était encore l’époque du Polaroïd et des diapositives et c’était très ludique de placer les diapos dans le projecteur et de regarder les images sur le mur. En grandissant je lui empruntais régulièrement son appareil argentique. Je faisais pas mal de musique et je m’enregistrais sur cassette audio. Je faisais quelques photos pour illustrer les pochettes des cassettes. Au lycée aussi j’aimais photographier mes copains dans des petites mises en scène. Ayant grandi avec un appareil photo dans les mains, ça me semblait naturel, à telle enseigne que ça ne me semblait pas être fait pour aboutir à un métier, donc je ne l’avais pas envisagé d’un point de vue professionnel.


Mon goût pour l’image s’est développé petit à petit sur plusieurs années. Je crois que c’est d’abord passé par le cinéma et le fantasme adolescent. Je me souviens avoir été très frappé par l’esthétique photographique du film homo-érotique Pink Narcissus de James Bidgood. J’ai acheté un petit livre aux éditions Taschen, puis par association j’ai découvert l’univers de Pierre et Gilles. Evidemment en tant qu’esthète je suis sensible à la nudité et en tant que gay, plus particulièrement à la nudité masculine. Mais c’est surtout la notion de travail, de lumière et de mise en scène en particulier, qui a commencé à me séduire. Au-delà de ça j’ai toujours eu des attirances pour les univers très forts, les personnalités déjantées, les excès. Brigitte Fontaine, Nina Hagen, David Lynch, Tori Amos, Dali, tous domaines confondus. Tout ceci participe à aiguiser ton sens artistique, à nourrir ton univers et ton identité. Je crois qu’un déclic a eu lieu en découvrant le travail d’un jeune photographe à qui j’aimerais vraiment rendre hommage et qui s’appelle Aymeric Giraudel. Je crois qu’il a arrêté la photo, probablement parce qu’il n’a pas été suffisamment soutenu. Il me semble que pour l’époque c’était très novateur, des corps en lévitation, du photomontage certes, mais très bien fait. Ses images m’ont permis de comprendre que l’on pouvait en photographie, faire autre chose que simplement capturer la réalité. Allier nu et création. Et c’est ce dont j’avais besoin : sortir de la réalité. Créer.

2) – De quelle manière construis-tu tes projets, pars-tu d’une idée de base et évolue- t’ elle en chemin, ou tout est déjà écrit lors de la réalisation des images ? Où puises-tu ton inspiration ?

Tout part d’une humeur. En photo, une humeur c’est une ambiance. Je définis une charte graphique, c’est-à-dire un code couleur qui va donner la tonalité de la série. En ce moment par exemple j’ai envie de pastels, de couleurs hivernales, blanc, beige, gris. A partir de là en effet j’arrive à visualiser quel genre de photos j’ai envie de faire, s’agit-il de corps ou de portraits ? ça se construit petit à petit. Tu ne sais pas forcément ce que tu es en train de dire, si même tu dis quelque chose. Tu fais des images, et c’est ton inconscient qui parle. Il me semble que plus tu passes de temps sur un projet, plus tu t’en imprègnes, plus tu le vis, plus tu peux le creuser, et donc cela gagne en profondeur. Je m’inspire de tout, tout est bon à prendre si cela peut enrichir ton projet, l’illustration, la peinture, la musique, une conversation.

Il y a deux phases : la préparation du projet c’est-à-dire sa création, quand les idées se structurent, et la réalisation. En effet dans mon cas la réalisation s’apparente à de l’exécution, je laisse assez peu de place à l’improvisation, car j’ai tout préparé en amont et je sais où je veux aller. Si tu as bien défini ton cadre, tu peux aller directement à l’essentiel et être efficace.

3) – Pour le matériel photo, utilises-tu toujours le même ou le choisis-tu en fonction du projet ?

La fin justifie les moyens. Je ne suis pas du tout fétichiste de l’objet photographique donc j’adapte le matériel en fonction du projet que je veux réaliser. J’ai travaillé indifféremment en argentique puis en numérique avec Canon, Hasselblad, Nikon, je suis très infidèle sur ce point. Ce qui compte, c’est l’image.

4) – Au cours des derniers mois au cours de nos échanges tu m’as dit beaucoup aimer les images « très plastiques » de Vee Speer, quel genre de photo aimes tu, quels sont les photographes ou les courants artistiques auxquels tu es sensible ?

Je n’ai probablement pas utilisé le terme « très plastique » pour Vee Speers, plasticien à la rigueur. Visuel tout simplement. Vee Speers, Alain Delorme… nous faisons partie du même courant artistique qui est particulièrement attentif à l’identité visuelle, là où d’autres courants s’affranchissent de l’esthétique pour se questionner sur l’espace et l’intimité. L’esthétique n’empêche pas la profondeur, bien au contraire. D’une façon générale j’aime tout ce qui est hors norme, et qui s’attache au travail de lumière. Mon idole, c’est Jeff Bark. Sa poésie se passe de grands mots. Erwin Olaf, Gregory Crewdson, Pierre et Gilles. Les esthètes.

5) – Dans le contexte économique difficile actuellement comment-vis tu de la photo ?

Il y a des tas de choses à faire en photographie, c’est le privilège de ce métier : la palette des possibilités. Je fais des commandes. C’est souvent intéressant mais surtout ça change. Et c’est plus facile dans la mesure où tu as un cahier des charges, donc tu ne fais qu’exécuter techniquement ce qu’on te demande. Un client veut un visuel efficace, pas un traité de philosophie. Tu apportes ton petit plus. Tu fais plaisir à des clients. C’est une bonne dynamique. Tout le monde est content. C’est reposant de ne pas toujours aller chercher au fond de soi des sentiments complexes, de ne pas se triturer pour faire toujours mieux, de s’extraire de son univers. Un travail de série peut parfois s’avérer suffocant, en ce qui me concerne je peux même oublier la notion de plaisir, parce que je cherche un absolu et qu’il est difficile à atteindre. Donc je passe par beaucoup d’échecs. Le travail commercial permet de prendre du recul, en plus de faire face au contexte économique difficile, et de sortir de son environnement pour rompre une routine qui pourrait s’enrayer.

6) – Comment imagines-tu l’évolution de la photo au cours des prochaines années ?

Ces dernières années la photographie a beaucoup évolué vers l’art contemporain, le discours. Il me semble qu’on en revient un peu, je ne suis pas sûr que le public ait vraiment adhéré à cette proposition. Je ne sais pas, je n’ai pas vraiment de visibilité par rapport à ça. Cela fait des années qu’on dit que la photo va basculer vers la vidéo, pour autant je ne l’observe pas. Ce qui est clair c’est que la photographie a un problème existentiel. Il faut toujours qu’elle s’apparente à un autre médium qu’elle-même, que ce soit la peinture, la vidéo, l’art contemporain, peut-être parce qu’elle est une possible synthèse de tout ça. Mais elle a du mal à trouver sa place et se revendiquer en tant que photographie, avec ses codes et son écriture. Et c’est probablement lié à la façon dont elle se vend.

7) – Peux-tu nous parler de la série que tu présentes dans WUKALI pour cette seconde publication ?

Drifting… est une série de natures mortes avec des corps, si l’on peut dire. Je voulais parler de transition. C’est un état que je ressens profondément, qu’un cycle s’achève et qu’un autre commence. La vanité en est l’expression picturale par excellence. L’idée était de remplacer tous les motifs symboliques de la nature morte – le crâne, l’horloge, les fruits – par un simple corps, et de lui conférer un léger mouvement qui indique que ce corps n’est pas mort, qu’il se relève, ou qu’il glisse, qu’il va quelque part malgré lui. J’ai trouvé immédiatement la direction que je voulais prendre en terme de tonalité, cependant la recherche a consisté à trouver des positions qui ne soient pas simplement des nus couchés, auxquels je fais référence bien sûr. Il s’agissait d’évoquer des corps coincés entre deux eaux, tantôt qui se liquéfient et dégoulinent de la table comme les montres molles de Dali, tantôt à la dérive sur le Radeau de la Méduse de Géricault.

De mon point de vue ces photos agissent comme un pont entre mes deux précédentes séries Dust et Klecksography : le clair-obscur et le mouvement de la première, associés à l’immobilité et l’architecture des corps de la seconde. De fait Drifting est à la fois une conclusion de ces cinq premières années, et une porte ouverte vers les prochaines. Il est probable que je mette entre parenthèse le travail sur le corps, pour m’attacher au portrait, que j’ai peu abordé jusque-là. J’ai besoin de quelque chose de nouveau, d’une respiration.

Propos recueillis pour WUKALI par André Nitschke


WUKALI 09/01/2016 (publié première fois 31/01/2015


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