A good book about female detainees in French prisons
Soit, Quartier-femmes écrou 10970, est encore un livre sur les prisons et l’inhumanité de la détention. Soit, diront les lecteurs blasés, tout cela on le sait, on l’a lu, on a déjà entendu, vu des dizaines et des dizaines de livres, de reportages sur ce sujet. On sait bien que régulièrement, la France se fait condamner pour sa gestion de ses prisonniers. Mais ce livre et aussi et surtout une superbe histoire d’amour, et comme le disent les Rita Mitsouko « les histoires d’amour finissent mal en général », et celle-ci ne déroge pas à cette règle.
Ce livre en trois parties d’inégales importances (la prison, le procès, la liberté) est un chant, un cri d’amour lancé de l’enfer dans lequel elle s’est plongée, par l’héroïne; ce cri, c’est la vraie peine à laquelle elle est condamnée, elle s’est condamnée, la peine infligée par la cours d’assise n’est rien par rapport à ce qu’est devenu son quotidien. La dépendance dans laquelle elle vivait avant son acte est devenue bien plus douloureuse, dévastatrice après celui-ci.
Qui est-elle ? Un numéro, un numéro d’écrou, le numéro 10970, ce numéro qui est devenu sa nouvelle identité depuis le jour de son incarcération, ce numéro qu’’elle doit toujours mentionner dans tous les écrits qu’elle signe. Peu importe son identité, la personne qu’elle est véritablement, peu importe pourquoi elle est en prison, seul compte le fait qu’elle est en prison. Son nom, son prénom, le lecteur ne le connaîtra pas à la fin de ce roman, en quelque sorte heureusement, car c‘est cet anonymat qui rend cette héroïne très humaine. Car ce qui intéresse indéniablement Dominique Boh-Petit, c’est l’humanité de son personnage. Soit il y a une allusion à son enfance douloureuse durant laquelle elle était rejetée par sa mère, mais l’auteur ne cherche pas à expliquer par des raisons tirées de son vécu ou du contexte économique et social le geste de 10970. Et de fait la première partie du livre qui est un vrai pamphlet contre les conditions d’incarcération en France, basées sur la déshumanisation, le sadisme de certaines matonnes, le côté kafkaïen des règles régissant la détention, n’est pas sans faire penser aux « Derniers jours d’un condamné à mort » de Victor Hugo. L’auteur ne porte aucune appréciation sur l’acte à la base de l’incarcération, mais sur les conditions de celle-ci. Hugo dénonçait la peine de mort et n’a jamais absout le crime.
Tout est bâti à partir de phrases courtes, voire parfois sèches. Une façon particulièrement réussie de la part de l’auteur de se placer à une certaine distance du vécu de son héroïne, de se montrer la plus objective possible, de ne porter aucun jugement ni sur l’acte, ni surtout sur la prison. Elle constate, ne juge pas.
Encore que, on sent bien qu’elle a quand même un certain parti-pris, elle se place, naturellement du côté de ce que subissent les détenus, et ne s’interroge jamais sur le quotidien des gardiens qui, par principe en quelque sorte perçoivent les détenus comme des ennemis : « le personnel pénitentiaire ressent tout ce qui peut améliorer ou faciliter du détenu comme une atteinte à son autorité et donc traîne des pieds ». Mais ce personnel pénitentiaire est tout aussi anonyme que les détenus, aucun nom, aucun prénom, c’est en quelque sorte l’autre face de la pièce « prison », pour mieux montrer les souffrances des détenus.
On perçoit les origines de l’auteur, l’héroïne se réjouit de pouvoir faire un festin quand en ouvrant le colis de victuailles envoyées par son fils elle découvre… des knacks ! Voilà ce qui sent bien son alsaco-lorraine ! Et à travers l’avocate Avril, c’est à un vrai autoportrait que Dominique Boh-Petit procède.
La morale, s’il doit y avoir une morale à cette histoire, je ne peux que la trouver dans la réflexion favorite d’une de mes amies « Police partout, justice nulle part »…
Emile Cougut
Quartier-femmes écrou 10970
Dominique Boh-Petit
Éditions L’Harmattan. 14€25
WUKALI 10/01/2016
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