That’s a great movie ! The Third man by Carol Reed with Orson Welles
Le Troisième homme est un film britannique en noir et blanc, tourné à Vienne en 1948. La capitale autrichienne était alors complètement détruite, la reconstruction n’étant pas encore commencée. Le film est un témoin de la situation physique de la ville, près de trois ans après la fin du conflit mondial. L’atmosphère dégagée par cette Vienne de cauchemar, magnifiquement rendue par la caméra du réalisateur Carol Reed sur un scénario de Graham Greene, compte pour beaucoup dans le succès de l’œuvre. Le metteur en scène a innové en créant des cadrages obliques : notamment celui qui éclaire subitement le visage d’Orson Welles dans l’embrasure d’une porte, ou celui qui découpe la silhouette du vendeur de ballons sur un mur créant, stricto sensu, un effet extraordinaire. Souvent considéré comme le meilleur film anglais de tous les temps, il obtint la Palme d’or à Cannes en 1949. A titre personnel, c’est un des dix plus grands films de l’histoire du cinéma !
Le thème musical à la cithare connut un triomphe planétaire. Composé et joué par Anton Karas cet air assez répétitif, qui prend le cerveau en otage, eut aussi sa part dans le succès obtenu. Le musicien avait été repéré par le metteur en scène dans un restaurant près du Prater.
Rappelons brièvement le déroulement de l’action: l’américain Holly Martins (joué par Joseph Cotten), écrivain de seconde zone, arrive à Vienne sur l’invitation de son ami d’enfance Harry Lime (Orson Welles), qui lui a promis un travail…Il découvre que celui-ci a été renversé et tué par une voiture. Il assiste à son enterrement. Les amis de Lime lui apparaissent plus que louche…
Deux d’entre-eux auraient été présents sur le lieu de l’accident…D’après le concierge de l’immeuble où vivait Harry, ils auraient été trois…L’homme est assassiné…Lime serait-il toujours vivant ?…Et Anna, la maîtresse de ce dernier (Alida Valli), attire l’écrivain…
Martins va aller de surprise en surprise dans les ruines de cette Vienne d’après la catastrophe, misérable, famélique, sans repères, où tout un chacun ne pense qu’à sa survie immédiate, où le marché noir est partout…La ville est alors divisée en quatre secteurs d’occupation alliés. Cette cité est décrite impitoyablement par le metteur en scène, avec une force tragique étonnante, doublée d’un authentique souci documentaire. La puissance énergique de ce style cinématographique particulier saute aux yeux, l’influence de l’expressionnisme allemand aussi.
Une sorte de malaise saisit le spectateur qui ne voit pas d’issue à l’aventure du véritable personnage central de l’histoire (Holly Martins) dans ce monde sans espoir.
Le jeu des acteurs est parfait, subtil encore aujourd’hui malgré le temps écoulé. C’est la marque du chef d’œuvre : son intemporalité devenant éternité, on peut le regarder sans déception car il n’a pas pris une ride.
On remarquera qu’Orson Welles et Joseph Cotten sont deux vieux complices qui se connaissent bien puisqu’ils tournèrent ensemble « Citizen Kane » sous la direction du premier.
La scène de la fuite d’Harry Lime par les rues sales de la ville, poursuivi par Holly Martins dans cette nuit cauchemardesque, est un morceau d’anthologie entrée au panthéon du cinéma mondial, à l’instar de la poursuite dans les égouts, de l’apparition de Lime à Martins sous les feux des phares d’une voiture passante, du meurtre de Lime par Martins, des doigts du premier, blessé, essayant de soulever la plaque en fonte pour sortir des égouts…
Le spectateur ne sort pas « psychologiquement intact » de cette vision du monde, bipolaire à l’époque.
L’impact du film sur la conscience individuelle, voire collective, est si fort qu’il laisse une trace indélébile dans notre mémoire. Tous ceux qui l’ont vu ont ressenti ce malaise particulier. Il y a équilibre entre ce qui est vécu et ce qui est suggéré…
Finalement, tous les personnages subissent une forme de fatalité qui annonce leur défaite finale : Lime meurt, ses complices sont arrêtés, sa maîtresse, qui risque l’expulsion car tchèque, le pleure sans vouloir reconnaître sa culpabilité, Le Major Calloway (Trevor Howard) fait son travail sans illusion et Holly Martins tue son vieil ami qui le lui a demandé, le laissant seul et désemparé dans cette ville…
La scène finale du véritable enterrement de Lime, où Anna passe devant Martins , sans le moindre regard vers celui qui attend qu’elle s’arrête, est poignante, terrible. Elle marque bien l’incompréhension totale que subissent les individus victimes d’une situation qui les dépasse.
L’utilisation de la caméra faite par le réalisateur est férocement analytique mais le film transcende, et de loin, cet aspect en devenant le symbole d’un univers désespéré…La vérité, on le sent bien, ne réside pas dans une succession d’exploits : ceux-ci ne sont que les avatars subis par les protagonistes de l’histoire, soumis aux caprices du DESTIN, catalyseur des événements et ultime maître de l’avenir de l’humanité.
Un dernier mot : cette Vienne cruelle, triste, est le pendant filmé d’un Londres cauchemardesque créé, quelques années plus tard, par le dessinateur E-P Jacobs dans « La Marque jaune », aventure de « Blake et Mortimer », célèbre série de bande dessinée, publiée dans le journal Tintin…
Jacques Tcharny
WUKALI 26/01/2016
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