Michelangelo’s paintings in the Sistine chapel


Rome est la capitale de l’Italie et des catholiques. Le Pape est le guide d’environ un milliard de fidèles. Le cœur de la spiritualité occidentale, la ville éternelle, bat au rythme du message christique.

Depuis la Renaissance peintres et sculpteurs, musiciens et poètes, passent ici. Autrefois, tout homme « bien né » faisait le grand tour d’Italie et restait un bon moment dans cette cité, à respirer cette ville que l’histoire a tant marquée.

Le centre psychologique de Rome, c’est le Vatican. On y confond allègrement religion et spiritualité. C’est la vocation naturelle du plus petit état du monde. Ce bout de terre rayonne sur les cinq continents. Dogmes, rites, traditions bibliques, en sont les chevaux de bataille. Un univers clos sur lui-même, peu ouvert à qui ne pense pas comme ceux qui y vivent, existe là.

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Tous les successeurs de Saint-Pierre espèrent encore jouer les arbitres sur l’échiquier mondial. Ils ont tenté de tenir ce rôle pendant des siècles. Deux schismes en ont résulté : l’un avec les orthodoxes, l’autre avec les réformés. Ce vieux rêve fumeux a rejoint les oubliettes du temps.

Que cela plaise ou non, car le fait est réel, les créateurs des grandes périodes artistiques : Moyen-âge, Renaissance, Baroque, Dix-neuvième siècle, ont vécu d’intenses moments à Rome. Pas un n’a émit le moindre regret à-propos des années de formation passées dans la ville éternelle.

Le plus grand drame jamais vécu par un artiste a eu des conséquences au cœur de la cité : Michel-Ange y a peint le plafond de la chapelle Sixtine. Sa quête d’absolu est basée sur la recherche de perfection morale du christianisme et sur la thèse néo-platonicienne de la supériorité de l’idée sur l’expérience.

Avec Léonard de Vinci, Raphael et Bramante, il est l’un de ceux auxquels on doit d’avoir appelé la période s’étendant de la dispersion de l’atelier de Verrocchio vers 1480 jusqu’à la prise de Rome par les troupes de Charles Quint en 1527  « le temps des génies  ».

La rencontre de l’artiste avec son mécène-patron-tyran, le Pape Jules II, ne pouvait que faire des étincelles. Leurs relations furent tumultueuses, homériques. L’éclat de leurs disputes résonne encore sous les voûtes de Saint-Pierre. Dans ces conditions, on peut se demander pourquoi le sommet de l’art pictural de l’histoire des hommes et la plus haute spiritualité jamais transcrite par le pinceau d’un peintre a pu être élaboré entre 1508 et 1512 au plafond de la chapelle Sixtine|center>

C’est là que réside l’âme de la chrétienté. Mais cette immense fresque n’est pas que cela. C’est aussi un monde libéré de toutes les entraves matérielles, une leçon de dépassement de la qualité d’être humain. Seul, sans aides, face à lui-même, le plus grand sculpteur de tous les temps y est devenu l’interprète de ce qu’il y a de meilleur en l’homme. Rien ne le prédisposait à cela. L’énigme est, et restera, éternelle.
Henry Duplessis savait tout cela. Ce matin-là, lui et Blanche s’étaient précipités au Vatican. Dès l’ouverture des portes, ils s’étaient dirigés vers la chapelle Sixtine où ils arrivèrent les premiers. Depuis qu’il vivait à Rome, notre ami passait deux matinées par mois à admirer le lieu.|center>

Le «  Jugement dernier » l’attirait moins que le plafond. C’est une gigantomachie inspiré de « La divine Comédie » de Dante, comme le montre la présence de Charon chassant hors de sa barque les damnés, et celle de Midas aux oreilles d’âne. La surface peinte, entre 1535 et 1541, est d’environ deux cents mètres carrés. Esthétiquement, le piéton trouvait cette fresque moins réussie que celle du plafond. Certes, son impact spirituel est incontestable. Tout tourne autour du Christ, représenté en juge impitoyable, et des mouvements de ses bras : l’un appelle les élus d’un geste impérieux, l’autre ordonne aux damnés de se rendre aux enfers. Deux mouvements s’opposent, une montée autant physique que psychologique et une descente aux abysses trop démonstrative. A cette époque, l’artiste faisait parti du cercle de Vittoria Colonna, la poétesse néo-platonicienne dont il était devenu un amoureux platonique. Ce qui gênait le plus notre héros, c’étaient les draperies cachant les sexes rajoutées sur l’exigence d’un Pape par Daniel de Volterra puisque le créateur avait refusé de participer à cette mascarade. Ce travail « pudique » valu à son auteur le surnom peu flatteur de « braghettone ». Certes, le Jugement dernier exprime bien l’angoisse ressenti par l’artiste en cette période de son existence comme on peut le constater au regard des visages torturés des condamnés. Le centre psychologique se cadre sur les figures du Christ et de Marie, les bienheureux qui les entourent ne voient qu’eux, n’ont d’yeux que pour eux. Une sorte d’ascèse mentale force le respect du spectateur. Malgré tout, celui-ci reste extérieur au dessein michelangelesque : la « Terribilita  » de l’artiste étant trop prononcée. Ce que notre ami appréciait le plus, c’était le dépassement désespéré des capacités humaines que la fresque démontrait mais sans véritable conclusion. La question était laissée sans réponse. C’était très différent du ressenti du touriste au regard du plafond. |center>

Sur ce dernier, les scènes peintes sont des illustrations du thème de la Création et de la Chute de l’homme. Au centre les trois événements principaux : la Création de l’Homme, celle de la Femme, le Péché originel. Tout autour apparaît l’annonce de la rédemption christique. L’artiste a su utiliser le cadre architectural pour structurer son monde peint car lunettes et pendentifs ont aussi reçu ses décors. L’ensemble développe une surface picturale d’environ mille mètres carrés. Sa totale maîtrise de l’anatomie humaine et son sens de la nature profonde du mouvement, ont complètement changé le cours de l’évolution de la peinture occidentale : il y a un avant et un après. Nous sommes en face de LA référence absolue, qui ne sera pas remise en cause avant les cubistes.
Ce qui fascinait le piéton, c’était la perfection plastique obtenue, la qualité mystique de la lumière et les dons de metteur en scène qui explosaient au fur et à mesure que son regard se déplaçait sur les différentes peintures. Ces surfaces colorées semblaient venir d’un autre univers, quasiment irréelles bien que visibles. Ce phénomène optique dépassait l’entendement du spectateur. Le réalisateur de cinéma pointait derrière le peintre…Avec quatre siècles d’avance sur l’invention ! Ce qui stupéfiait Henry. Son œil analysait chaque scène, se faisant scanner. Il resta longtemps sans dire un mot subjugué par la puissance irrationnelle qui s’exprimait sur la voûte. Cette luminosité crue, qu’il n’avait jamais rencontré auparavant, l’ensorcelait. Son inconscient se mettait à parler. Son univers mental entrait en phase avec celui de Michel-Ange dans le dépassement de son « Moi », c’était un instant magique, un de ceux auxquels il avait consacré sa vie et pour lesquels il aurait vendu son âme, aux enchères bien entendu et après une débauche de publicité auprès des acheteurs éventuels. Henry Duplessis triomphait de son enveloppe charnelle, il ETAIT l’incarnation de l’esprit vainqueur de la matière, de celle qui le constituait lui, ce membre de l’espèce humaine en état de lévitation, seul au confluent de l’espace et du temps. Il n’entendait plus. Il ne sentait plus. Il faisait parti des élus. Il savourait sa victoire.

Blanche, qui connaissait parfaitement son compagnon, le laissa revenir sur terre à son rythme. L’œil impitoyable d’Henry quitta l’infini cosmos, un bien-être indéfinissable le saisit, le voyage mental prit fin. Cette fois, l’expérience avait été encore plus probante que d’habitude. Il se sentit capable de répondre aux questions existentielles : d’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? Donner un sens à son existence. L’art de Michel-Ange, et lui seul, avait permit à notre antihéros de se surpasser. Quelle leçon ! Désormais, il savait ce que l’expression « dépassement de soi » signifiait.
Il revint au plafond peint. Celui-ci était tellement varié, tellement créatif, tellement vaste qu’il était vain de vouloir tout caser dans une mémoire humaine si faillible. Il décida de s’attacher à ce qui lui paraissait capital. Au bout de quelques minutes, une scène autonome seule et liée aux autres dans un enchaînement complexe, ainsi qu’une partie de pendentif, retinrent son attention. Plus il les regardait, plus elles grandissaient, rejetant les autres au second plan. |center>

Au milieu de la voûte, se voit la Création d’Adam. Le doigt de Dieu transmet le souffle de l’esprit à l’être humain qui commence à se soulever de terre : il naît à la vie. L’étincelle créatrice passe de l’un à l’autre par l’index de l’éternel, lui-même inséré dans une ellipse que forme son manteau devenant œuf cosmique. L’œuf, cette forme parfaite en germination dont Brancusi était obsédé… Le rapprochement était incroyable mais parfaitement justifié. Le piéton en fut sidéré. Il comprit que les génies, toutes époques confondues, se posent les mêmes problèmes et ont, parfois, des solutions voisines : ils cherchent la vérité du monde au-travers de leurs créations.

Au bras de l’éternel s’ajoute celui d’Adam formant une longue ligne horizontale. Les visages se font face : d’un côté le jeune homme aux traits réguliers, de l’autre le vieillard à la barbe envahissante. Adam regarde Dieu sans trop comprendre ce qui lui arrive. Il aura le temps d’apprendre ce qu’est la colère divine. Il est vu de profil, sa jambe gauche repliée créant un doux volume. Le coude droit repose au sol, il est un peu en retrait par rapport au corps, ce qui provoque une torsion. Le bras gauche allongé vers dieu est appuyé sur un genou. La musculature de cet adepte du bodybuilding est, en elle-même, un morceau de bravoure tant le plus insignifiant de ses muscles est à sa place et réagit en fonction de la somme de tous. C’est d’un ultra- réalisme encore valable de nos jours. Ses proportions sont plus que parfaites. La profondeur de l’espace est rendue par une sorte de montagne bien inquiétante qui surplombe l’athlète. Elle est peinte dans des tons violacés au caractère agressif prononcé. Va-t-elle écraser la nouvelle créature que vient d’inventer l’éternel ? Celui-ci semble avoir un corps bien plus jeune que ne le laisse supposer sa longue barbe. Il crée son œuvre : l’homme. Peut-on y voir un parallèle avec Michel-Ange sculptant une nouvelle statue de marbre ? L’entourage de Dieu ressemble plus à une nuée de courtisans qu’à des anges mais la puissance expressive de la peinture et la perfection de la réalisation technique sont bien là, transcendant l’acte créateur. C’est le souffle épique du génie de l’artiste qui sous-tend la création. Il est bien imprudent de vouloir faire un choix quelconque d’une scène particulière tant l’ensemble est unitaire, ce que savait Henry. En fait, le plafond est trop grand pour que l’œil le saisisse dans son entier et notre ami suivait simplement le sens que lui indiquaient ses réflexions. Naturellement, le tout était bien supérieur à la somme des parties.

Son regard s’éloigna vers un angle de la voûte, sur un demi-pendentif se voyait le supplice d’Aman. Un être humain au corps d’une beauté plastique parfaite est crucifié. Il est cloué à un arbre dont le tronc se développe en forme de croix. Le bras gauche vers l’arrière, le bras droit vers l’avant, il va subir le châtiment suprême. L’opposition entre les deux membres supérieurs est créatrice d’une nouvelle vision picturale. La torsion se ressent jusqu’au niveau de l’abdomen. C’est un véritable cri de la chair. Inversement, c’est la jambe gauche qui est retenue en arrière. La droite, où se voient des clous au niveau de la cheville, est orientée vers l’avant. De la même manière, une croix de Saint-André se dessine entre bras gauche et jambe droite ainsi qu’entre bras droit et jambe gauche, du haut en arrière vers le bas en avant et réciproquement.|left>

Le piéton se rendit compte que l’effet visuel obtenu était unique, qu’il n’existait à peu près rien de comparable dans l’art pictural universel. Il réfléchit et songea que seul Dali avait tenté ce genre d’exploit sans convaincre entièrement, bien que son tableau soit de qualité. Henry était capable d’affirmer que la compréhension de cette peinture par un homme cultivé amateur d’art, et la capacité qu’il aurait à l’expliquer seraient la définition du connaisseur de ce qu’est l’art de peindre. Son équivalent en sculpture étant le David de bronze de Donatello, conservé au musée du Bargello de Florence.

Notre héros se sentait fier de ses découvertes mais très humble devant un tel dépassement des facultés humaines. Il expliqua tout cela à Blanche qui en fut vivement impressionnée. Ils étaient dans la chapelle depuis deux heures. Que le temps passe vite, se dirent-ils. Ils décidèrent d’observer les réactions des touristes.

Ils aperçurent un couple accompagné d’une guide. Le Français fit preuve de psychologie, ce dont il n’était pas coutumier, en assurant à sa compagne que ces gens étaient russes. L’homme devait mesurer près de deux mètres de haut, et probablement presque autant de large. Il était chauve. Il avait la peau de couleur un peu terne. Le nez était en forme de spatule. Sa femme paraissait minuscule à côté de lui. Il suivait avec passion les explications que lui donnait son accompagnatrice, et dévorait du regard le plafond de la chapelle. Il devait posséder une vitalité fantastique. Son intelligence brillait au fond de ses yeux, il jubilait, paraissait comblé comme un gamin qui reçoit ses cadeaux un matin de Noël. Ce touriste venait voir la Sixtine pour la première fois, c’était évident. Il ne devait pas avoir beaucoup de culture artistique et pourtant il ressentait la puissance spirituelle de Michel-Ange dont l’universalité ne faisait aucun doute, la preuve cet homme.

Le piéton se sentit rasséréné devant ce spectacle de la découverte du monde infini de l’art par un nouvel adepte…Lui et Blanche quittèrent les lieux heureux.

Jacques Tcharny


À suivre. .. Prochain et dernier épisode, Samedi 5 mars 2016, La Dernière ballade


Récapitulatif des chapitres précédents:

Le Piéton de Rome

Premier chapitre : Au nom de Bacchus (1)
Deuxième chapitre: Au nom de Bacchus (2)
Troisième chapitre: Petit hommage au grand Vélaquez
Quatrième chapitre: A l’assaut de l’Ambassade-
Cinquième chapitre Le Palais Colonna
Sixième chapitre La Leçon du musée d’art moderne
Septième chapitre Une arcane au Vatican
Huitième Chapitre Face à face avec Léonard
Neuvième chapitre Les rivaux de Rome
Dixième chapitre. Une semaine caravagesque
Onzième chapitre. Une visite à Moïse
Douzième et treizième chapitre. De la Villa d’Este à l’Inde
Quatorzième chapitre. Le mystérieux Monsieur Duplessis
Quinzième chapitre. Le Héros du Capitole


WUKALI 27/02/2016
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