Hidden secrets and literature

Catherine Neykov dans une introspection sensible et très douloureuse d’un passé familial qui ouvre sur la littérature. Si vous avez aimé Marguerite Duras en général et plus particulièrement les romans indochinois avec, bien sûr, une préférence pour L’Amant voire L’Amant de la Chine du nord, alors vous avez été attiré, frappé, intrigué par le personnage d’Hélène Lagonelle. Bien des biographes de Duras ont recherché le modèle dans l’enfance de la lauréate du prix Goncourt mais en vain, elle a gardé son secret dans sa tombe. Catherine Neykov amène un nouveau nom au débat, celui de Juliette Ropion, une de ses camarades quand elle suivait les cours de la classe de philosophie au lycée Chasseloup-Laubat de Saïgon en 1933.

Juliette Ropion n’est autre que la tante maternelle et la marraine de Catherine Neykov. Si cette dernière fait le lien entre sa parente et Marguerite Duras, ce n’est que lors d’une recherche sur la vie de sa tante.

Olécio partenaire de Wukali

Quand elle était petite, elle allait avec sa mère la visiter dans un hôpital psychiatrique et se souvient, après sa sortie, d’une grosse femme renfermée, répétant tous les jours les mêmes gestes. Cette tante qui était devenue une sorte de « secret de famille » honteux, dont on ne parle pas et dont le souvenir s’estompe avec le temps.

À force d’abnégation et de ténacité, Catherine Neykov arrive à retracer la vie, la personnalité de sa marraine. La France étant la France, les archives, quand elles n’ont pas été détruites, ne sont pas si accessibles que ça, et elle nous raconte avec un certain humour ses démarches, le nombre plus qu’impressionnant de demandes qu’elle est obligée de formuler, les refus souvent injustifiés qu’elle reçoit, les chemins détournés qu’elle doit prendre pour obtenir les informations tant souhaitées. Elle rend hommage à ceux, qu’elle a rencontrés un peu par hasard, qui l’ont aidée dans sa démarche, qui lui ont ouvert des portes fermées, qui l’ont sortie des impasses obscures.

La disparue est aussi en soi (principalement) tout un livre sur la psychiatrie telle qu’elle était pratiquée dans les années cinquante. Indéniablement, elle n’avait que peu évolué depuis le XIX siècle, sauf que les moyens barbares de torture étaient beaucoup plus « scientifiques » et cruels. La lecture de Catherine Neykov ne nous donne qu’une idée : relire l’œuvre de Foucault portant sur la folie (ça tombe bien Duras et Foucault sont édités dans La Pléïade). Avec un style « froid », descriptif, Catherine Neykov nous restitue un univers carcéral dominé par la toute puissance du médecin et surtout par la négation totale de la personnalité du patient. Juliette, personnalité très introvertie, a sûrement été victime de ce que l’on appellerait maintenant harcèlement moral et qui a provoqué chez elle une dépression. A cette époque, les anti dépresseurs n’existaient pas encore, donc ce fut l’internement qui eut pour résultat non de la guérir mais de la détruire, comme beaucoup d’autres personnes comme elle.

Catherine Neykov au-delà de son « pamphlet » contre cet univers psychiatrique, au-delà les liens qui ont potentiellement existé entre Juliette et Marguerite Duras, nous brosse l’histoire d’une femme de son époque. Aujourd’hui, avec la même personnalité, la vie de Juliette aurait été tout autre. La condition de la femme, obligatoirement soumise à l’autorité du père, ne pouvant travailler que dans le social ou l’éducation, était aussi une sorte d’enfermement carcéral voulu par la société. La société a évolué, la condition de la femme aussi.

Juliette Ropion grâce à sa nièce, Catherine Neykov, vient de rentrer dans la série des « oubliés de l’histoire », ces inconnus qui symbolise l’idéologie de leur époque, qui en sont soit victimes, soit en harmonie avec elle. Ces inconnus qui sont les vrais bâtisseurs de notre société actuelle.

Émile Cougut


La Disparue
Catherine Neykov
éditions Michalon.17€


Ces articles peuvent aussi vous intéresser