Transcendental beauty, pure emotion


Du 6 au 9 juin 2016 dans les arènes de Nîmes, deux chefs-d’oeuvre de Pina Bausch : grandiose !

«Café Müller» sur une musique d’Henry Purcell .

Cette pièce créée le 20 mai 1978 à l’Opernhaus de Wuppertal est d’une force esthétique et émotionnelle impressionnante. La chorégraphie et danseuse Pina Bausch a joué le rôle principal pendant de nombreuses années. Et il fallait des danseuses exceptionnelles pour prendre la relève. Clémentine Deluy, en alternance avec Helena Pikon sur ces 4 représentations, ont convaincu les spectateurs. Lundi soir, Helena Pikon était parfaite dans ce rôle titre. Elle le sentait, le vivait, et ressuscitait ardemment le Café Müller de Pina qu’elle connaît si bien. Émotion. Dans les arènes, des chaises et des tables, et ces deux femmes, habillées d’une fine robe blanche et transparente, qui dansent. Chacune vit son drame, seule. Elles se précipitent en courant, bousculent les chaises… un homme s’interpose. Ce café est celui de l’enfance de Pina Bausch, celui que tenaient ses parents. La chorégraphe racontait qu’enfant, elle se glissait sous les tables pour écouter et regarder le monde des adultes, observant les relations bien souvent compliquées qui se tissaient entre les hommes et les femmes. Pina a brillamment monté une trame de ces correspondances dans son « café Müller » et son témoignage chorégraphique laisse tout voir de la complexité de communiquer. |left>

Olécio partenaire de Wukali

Complexe cette scène qui résumerait à elle seule cette douloureuse histoire : Un homme place une femme dans les bras d’un autre homme, joue avec ses bras de poupée molle, abandonnée, on la laisse tomber, on la récupère, on la replace dans les bras de l’homme, le tout se joue de plus en plus vite, dans une cadence effrénée. Scène mythique s’il en est. Les codes et les pistes sont brouillés. Après avoir vu un tel spectacle, rien ne sera jamais plus pareil. Merci Pina Bausch !

Le Sacre du Printemps de Pina Bausch fut créé le 3 décembre 1975 à l’Opernhaus de Wuppertal – Musique Igor Stravinsky, là encore superbement interprété par l’orchestre « les Siècles », sous la direction de François Xavier Roth.

Le Sacre du printemps nous parle du sacrifice à l’orée du printemps d’une jeune fille, l’Élue. Il y a deux parties. Tout d’abord la danse des jeunes filles, un moment d’insouciance et de légèreté. Avec l’arrivée des hommes débute le second tableau, plus noir : le choix de l’Élue et le sacrifice. Dans un décor de terre, des groupes s’opposent. S’installe un climat d’angoisse et de peur et une violence que rien ne pourra arrêter… Des courses folles, une danse exaspérée quasi viscérale, et des corps qui tombent, nous entrainant dans leur chute… Car nous aussi, spectateurs, tombons, sous le charme, foudroyés, exténués par tant de folie et de beauté conjuguées. Tout nous parle de Pina Bausch, sa silhouette blanche aux bras décharnés. Puis dans sa robe rouge de l’élue. Très menue aussi, touchante et fragile, la danseuse, Ditta Miranda Jasjfi nous émeut. Elle est littéralement habitée par le rôle et nous offre sa magnifique présence.
Entre les deux spectacles, il était intéressant de voir se démonter le décor de Café Müller et se dresser celui du Sacre du Printemps. Des applaudissement nourris des spectateurs ont salué la performance de ce spectacle dans le spectacle.
Le rôle-titre de l’élue dans « Le Sacre du Printemps » est tenu en alternance par Ditta Miranda Jasjfi et Tsai-Chin Yu


Entretien avec François Noël directeur du Théâtre de Nîmes

Parmi les temps forts du Théâtre de Nimes, il y a eu cette formidable aventure Pina Bausch avec le Théâtre, n’est-ce pas ?.

– Effectivement, il y a cette belle relation qui s’est tissée avec la compagnie, Le Tanztheater Wuppertal , créée par Pina Bausch. Nous les avons accueillis trois saisons d’affilée avec trois spectacles réalisés en différentes périodes de la vie de la chorégraphe. C’est exceptionnel ce qu’elle a fait et j’avais donc très envie de faire quelque chose d’exceptionnel avec eux. Exceptionnel déjà dans la façon dont on présente la compagnie. Cette fois-ci, nous bouclons une espèce de cycle que nous avions entamé avec « Nelken », il y a quatre ou cinq ans. J’avais envie que cette programmation 2015/2016 se fasse dans des conditions tout à fait exceptionnelles. Ce fut le cas puisqu’ils se sont produits dans les arènes et le lieu déjà est très particulier. Nous avons aussi les cent-vingt musiciens de l’Orchestre « Les Siècles » dirigés par leur chef, François Xavier Roth. Les musiques du Café Müller étaient interprétées par l’orchestre. Cela s’est déjà fait pour « Le Sacre du Printemps », mais en ce qui concerne les musiques de Café Müller, c’est une grande première.

Comment avez-vous découvert Pina Bausch ?

– J’ai découvert Pina Bausch au tout début de sa carrière avec Kontakthof, c’était en 1978 dans le théâtre municipal du Festival d’Avignon. Ça été un véritable choc pour moi !
Pour ce qui est de ses prochains spectacles joués dans les arènes, tout le monde est très excité. Que ce soit les gens de la compagnie, François-Xavier Roth ou encore les musiciens… nous sommes tous enthousiastes.

Est-ce compliqué de faire venir Le Tanztheater Wuppertal à Nimes ?

– Oui, c’est compliqué, déjà parce qu’ils sont sollicités dans le monde entier et que leurs agenda et planning se remplissent très tôt à l’avance. Compliqué aussi parce qu’ils privilégient une relation de fidélité avec les lieux qui les accueillent depuis de nombreuses années. C’est très difficile de s’intercaler au milieu de tout ça et donc de les faire venir dans un endroit qu’ils ne connaissent pas bien et où ils ne sont jamais venus avec Pina Bausch. De plus, cette compagnie a la pratique des grandes capitales et des grands théâtres et pas du tout la pratique des petites villes de province et des petites scènes. Notre plateau est relativement petit par rapport aux spectacles de Pina Bausch. De plus, la chorégraphe n’étant plus là, il y a ce respect de ce qu’elle a écrit. Tout cela fait que c’est effectivement un peu compliqué à mettre en place. Mais je suis opiniâtre et j’avais très envie que ce projet se réalise. Cela nous a pris du temps mais nous y sommes arrivés !

Nous avons une belle complicité avec la compagnie, les danseurs, les techniciens, Lutz Förster, le directeur artistique, en binôme avec le directeur administratif Dirk Hesse. Ils font un travail formidable. Tout a été préservé, jusqu’à l’histoire de chaque danseur. Je pense notamment à Dominique Mercy, un des danseurs fétiches et proche collaborateur de Pina Bausch. Il a beaucoup apporté à la compagnie.

La chorégraphe a révolutionné les codes de la danse et n’a pas toujours été comprise, notamment à ces débuts à Wuppertal. Est-ce que son travail reste surprenant pour le public d’aujourd’hui ?

– Oui et non. Il y a toujours des choses qui peuvent paraître incompréhensibles, mais sa notoriété a dépassé, balayé tous ces doutes, ces incompréhensions. Bien sûr il y a toujours des gens dans le public qui disent qu’ils n’ont pas très bien compris certains passages, mais qu’importe ! Elle a une telle notoriété que personne ne conteste la qualité du spectacle, même si certaines pièces peuvent paraître dures, intransigeantes. Le fond est particulièrement juste et beau par rapport aux propos qu’elle voulait tenir à l’époque. Et c’est toujours le cas pour des pièces plus récentes.|right>


Pina Bausch, la révélation

Lew Bogdan, directeur du Festival de Nancy se souvient, voici quelques unes de ses impressions de la grande chorégraphe qu’il a très bien connue.

– J’ai vu son premier spectacle, Iphigenie auf Tauris sur une musique de Gluck. Puis j’ai découvert Die sieben Todsünden (Les sept péchés capitaux) d’après Brecht/Weill et Frühlingsopfer (Le Sacre du Printemps). À chaque fois, j’en suis sorti abasourdi, bouleversé, illuminé, passionné, incrédule devant tant de beauté et d’audace pour l’époque.

Il faudra des années et bon nombre d’esclandres, de portes claquées rageusement et de clameurs outragées pendant ses spectacles, pour que Pina réussisse enfin à s’imposer.
Pina Bausch a été formée à la danse à la « Folkwang Hochschule » d’Essen (nous sommes toujours dans la Ruhr), que dirigeait alors le grand chorégraphe Kurt Joos, l’une des figures essentielles, avec Mary Wigman, de la danse expressionniste allemande à partir des années vingt.

Elle fut, peu de gens le savent, qui la voient surtout comme une chorégraphe de génie, une exceptionnelle et très belle danseuse elle-même

Je m’étais mis dans la tête de faire venir Café Müller au Festival 1980.
J’ai passé des jours et des soirées à essayer de la convaincre qu’il fallait que ce spectacle vive.(son compagnon, Rolf Borzik, venait de mourir.

Elle dansait elle-même, se dansait dans cette évocation de l’enfance d’une petite fille sous les tables de bistrots d’une banlieue ouvrière de Wuppertal, son enfance et puis les histoires d’amour déçu, trompé, les règlements de compte amoureux, entre les tables de ce bistrot, où volent tables et chaises.

L’Art et l’émotion à l’état pur. Un joyau retrouvé, sauvé de l’oubli et demeuré inoubliable.

Pétra Wauters


WUKALI 09/06/2016
Courrier des lecteurs : redaction@wukali.com
Illustration de l’entête: Le Sacre du Printemps. Tanztheater Wuppertal, crédit photo © Sandy Korzekwa


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