Animated Hiroshima
[** Lundi 6 août 1945, à exactement 8 h 16 minutes 2 secondes, la première bombe atomique explosait à Hiroshima. Aujourd’hui même, voilà soixante et onze ans. *]
Keiji Nakazawa 中沢 啓治*], est un auteur de mangas, très célèbre au Japon, il est né à Hiroshima et s’y trouvait le jour de l’explosion, il avait alors 6 ans. Avec sa mère, il fut un des rares rescapés. Arrivé à l’âge adulte il consacra toute son énergie à dessiner, réaliser des caricatures et des mangas. Ses personnages sont très caractéristiques et facilement identifiables, son style a marqué toute la nouvelle génération des dessinateurs de mangas. Son premier dessin animé ( Pluie noire) que nous avons d’ailleurs déjà présenté dans Wukali, évoque cette ondée noir charbon, qui tomba sur la ville quelques heures après l’explosion et qui souilla d’une eau radioactive chacun des habitants qui en furent touchés. Il créa aussi une série d’albums puis un film [**はだしのゲン, Hadashi no Gen, Gen le va-nu-pied *] qui racontent les tribulations d’un enfant dans le Japon d’après guerre, oeuvre largement autobiographique et dont ce film a été tiré. Keiji Nakazawa est mort en 2012.
Voici tiré de ce livre toute une longue séquence consacrée au bombardement d’Hiroshima. Le prologue est bucolique, lisse et la guerre semble bien loin.
Pourtant dans le ciel bleu, le temps est magnifique, un avion américain, seul, survole la ville. Aucune alerte, aucune sirène. Parents et enfants vaquent à leurs préoccupations banales du quotidien. Trois avions en formation apparaissent peu après, stries de condensation banches sur fond azur. Soudain des images montrent ces trois Boeing Superfortress B29. Le nom d’un des avions apparait à l’image, il été baptisé [**Enola Gay.*]. On entend des consignes échangées entre les différents membres des équipages. Arrivés à l’aplomb de la ville, exactement au-dessus d’un petit pont de pierre qui a servi de repère géodésique, il est alors 8h 15, les avions volent à 9.500 mètres d’altitude, la bombe atomique est larguée. La ville apparait telle une cible dans le champ visuel d’un appareil d’optique.
Explosion
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[**Souffle, feu, incandescence,*] [*Enfer !*]
Tous les êtres, les hommes, les femmes, les enfants, l’humanité torturée. Par le souffle et feu, la chair quitte les os, la peau fond comme cire au soleil, les yeux sortent des orbites et explosent. Des morts-vivants, zombies de l’âge de l’atome, comme des colonnes ectoplasmiques sorties de l’Enfer de Dante dans l’imagination fantastique et horrible d’un artiste maudit, errent dans une géhenne de feu. Des représentations de l’innommable, des personnages devenues en quelques secondes des créatures du monde d’en-bas, des limbes et du Tartare, expression d’un imaginaire que l’on croyait hors de ce monde. Keiji Nakazawa sait en quelques personnages, métamorphoses ovidiennes devenues atroces sous le feu et le souffle, rendre compte des scènes dont il fut tout enfant le témoin. Les personnages deviennent des caricatures amorphes en état de décomposition. Dans la fin de la séquence, l’histoire prend une dimension tragique et intemporelle. Le garçonnet et sa mère sont impuissants à sauver des flammes les leurs coincés sous des poutres alors que le feu crépite tout autour et que le danger est omniprésent. Sacrifice suprême. Le registre narratif a changé.
Le cinéma d’animation, le dessin animé, un média pour les enfants ? Chimère ! Ce film en fournit bien la démonstration, il s’adresse à tous. Et les adultes arrivent aussi à être touchés, et tous les publics sont sensibles et concernés. Remarque plus intéressante peut-être, indépendamment des langues (japonais pour le dialogue ou sous-titrages avec les traductions), le spectateur, et j’en suis un aussi, semble comprendre naturellement et de façon innée les différents échanges entre tous les personnages. Nulle pédagogie, nulle apprentissage, nulle propédeutique, étrange ! Force de l’émotion, du rendu théâtral, force de l’art !
WUKALI 06/08/2016
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