The Rockdrill, a symbol of the new age


[**Jacob Epstein*] ( 1880-1959) est né à New-York dans une famille d’émigrés juifs polonais. La sculpture l’attire tôt. il travaille dans une fonderie avant de partir étudier aux Beaux-arts de Paris en 1902. A Londres en 1905, il décide de s’y installer. Il y fera toute sa carrière.

L’homme est un solitaire qui n’aime pas être dérangé. C’est aussi un praticien rigoureux de la taille directe qui s’adapte à la pierre utilisée : son grain, sa forme, sa densité et sa résistance. Il ira jusqu’à donner à l’aspect final de son travail celui de la nature de son matériau.

En 1908 sa première commande (18 statues pour un bâtiment de la British Medical Association) provoque un scandale car les sujets sont représentés nus, d’une manière « provocatrice » pour l’époque : l’artiste s’y inspire de l’art indien, particulièrement des sculptures de Kajuraho où un foisonnement humain de couples aux occupations très avancées habite l’espace. Cette levée de boucliers valut à Epstein une hostilité qui se révélera permanente tout au long de sa vie.

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En 1911, son œuvre pour le tombeau d'[**Oscar Wilde*] sera jugée exhibitionniste car les parties génitales de l’ange sont apparentes.

En 1913, il crée son « Rockdrill » conservé, aujourd’hui, à la Tate Gallery de Londres. Évoluant vite, il décide de se réorienter vers un art tridimensionnel plus classique, empreint de réalisme. Malgré tout, ses portraits comme ses sujets religieux continueront à créer la polémique jusqu’à son décès. Mais son art est très apprécié de nombreux collectionneurs et il ne manquera jamais de commandes. En 1954 il est décoré de l’Ordre de l’Empire britannique.|left>

Le tempérament d’Epstein l’entraîne vers une représentation figurative d’un classicisme apparent, évoluant vers une forme de « grâce gracile »*, déjà maniériste mais ouverte sur les autres civilisations. Il se situe donc à la croisée de deux phases artistiques du monde occidental en mutation.

Le « Rockdrill » est son œuvre la plus connue. Originellement, c’était un être déshumanisé aux formes simples, posé sur un authentique marteau-piqueur, résonance du pessimisme messianique de son créateur. Finalement, l’artiste ne conservera que la partie haute : le torse. Lequel sera fondu en bronze à patine noire, dans les dimensions suivantes : 70,5 x 58,4 x 44,5 cm.

La figure composée du plâtre perchée sur le marteau-piqueur était une sorte de « ready made  » à la [**Marcel Duchamp*] (roue de bicyclette en 1913). Insatisfait, Epstein vendit le marteau-piqueur et arrangea le torse(1915), de telle façon que des angles aigus, brutaux, violents, et des arêtes vives soulignent les lignes de force de l’œuvre : épaules humaines encadrant un cou métallique et un tête se terminant par un bec en marteau-pilon, côtes rectilignes autour d’éléments abdominaux rappelant vaguement les organes du corps humain. Étonnamment, lorsque l’on regarde les bras de cet « homme-machine  », on s’aperçoit qu’au gauche, qui n’est qu’un moignon, manque coude, avant-bras et main. Alors que l’avant-bras droit réfracte une lumière claire donnant l’impression d’une prothèse avec, à son extrémité, un genre de main sans doigts typique d’une mutilation guerrière : n’oublions pas qu’Epstein a modifié son « Rockdrill » en 1915, en pleine tuerie du premier conflit mondial.

« Rockdrill  » incarne l’esprit du modernisme le plus radical du temps, sous son aspect le plus masculin, le plus viril. Rien de féminin dans ce torse qui apparaît comme un robot menaçant doté d’une visière.

La sculpture, bien équilibrée, présente le sujet de face, excepté le bec-outil. Pour en apprécier toute la puissance, il est nécessaire d’en faire le tour, car le peu de mouvements issus de cette création ne permet pas une prise de possession globale par l’œil.

Son hiératisme est un bouleversement tellurique, un impact sur l’inconscient que tout un chacun peut, immédiatement contempler et comprendre.

Le ressenti du spectateur c’est qu’il se trouve face à un engin de guerre et de destruction prêt à l’ouvrage avec sa sinistre figure, présage de conflagration nucléaire, comme de cauchemars de science-fiction. De ce point de vue, la réussite est totale : la sculpture est un chef d’œuvre prémonitoire, d’un esthétisme magique, bien en avance sur son temps.
Cette déflagration tridimensionnelle marque le mental du spectateur, le perturbant dans ses certitudes, en l’obligeant à réfléchir sur son destin individuel comme sur celui de la communauté humaine : « l’homme n’est-ce donc que ça ? » affirmait déjà le Roi Lear.
Cette statue héroïque fut un météore dans l’histoire personnelle de son auteur qui ne parvint jamais, malgré tous ses efforts, à retrouver un tel niveau de créativité. L’artiste le savait, ce qui n’arrangea pas son caractère déjà renfermé et explique, partiellement, pourquoi il était si désagréable avec autrui. Mais notre temps lui a offert sa vraie place : celle d’un immense talent atteignant le génie dans son « Rockdrill ».

[**Jacques Tcharny*]|right>


* Expression inventée par [**René Huyghe*] dans son introduction à « L’Art et l’homme »( 3 volumes)


Illustration de l’entête: The Rockdrill, © The estate of Sir Jacob Epstein


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WUKALI 14/02/2018)]

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