A French collaborateur working for Abwehr and SS, a foul character, an absolute traitor and criminal


En janvier 2017, nous avions raconté dans Wukali le drame de Caluire : la capture de Jean Moulin* par Barbie et ses sbires. Nous avions essayé de rendre ses responsabilités à chacun. Le rôle, important, joué par un gestapiste français nommé [**Robert Moog*] était apparu en pleine lumière. Récemment, nous avons découvert des éléments le concernant qui nous étaient inconnus, signalés par Jean-Paul Picaper, qui ont suscité notre curiosité voire nous ont interloqués (« Ces nazis qui ont échappé à la corde », novembre 2017, édition de l’Archipel, Dominique Lormier « la Gestapo et les français », (2013, Pygmalion).

Cet article sera donc consacré à ce « collabo » infernal qui, donné pour mort suite à un « accident d’avion » sur l’aéroport de Fulda (Allemagne), en [**septembre 1944*], divorça officiellement le [**21 décembre 1948*] !

Rappelons comment le présente Jacques Baynac** :

Olécio partenaire de Wukali

« Robert Auguste Moog, né à Paris(14e) le 28 février 1915, il sera élève d’une école d’espionnage allemande vers 1934-35. Il se marie en 1936. Il a 28 ans en 1943. Il travaille pour l’Abwehr*** sous la référence Agent K30. Individu séduisant, rusé, entreprenant, sans scrupules, il servira les Allemands jusqu’à son décès dans un accident(?) d’avion en septembre 44 ».|left>

Ces quelques lignes sont une mine d’informations :

– Comment peut-il recevoir, en Allemagne, une formation d’espion à l’âge de 19/20 ans ? Apparemment, il n’était pas d’origine allemande, malgré la consonance du nom de son géniteur, et le fait que l’état-civil indique qu’il fut reconnu par sa mère : [**Alice-Marie Schneider*] le 11 mars 1915 à la mairie de Paris(18ème), ce qui implique que ses parents n’étaient pas mariés. Se sentait-il « germanique » ? En tout état de cause, son adhésion au nazisme fut précoce, volontaire et sans ambiguïté. Cet engagement radical, si jeune, implique une intelligence certaine mais complètement dévoyée.

-Il se marie le 11 janvier 1936 à la mairie du 18ème arrondissement de Paris avec [**Andrée Augustine Juhel*], son aînée d’un an. L’extrait d’acte de mariage le concernant, que nous avons consulté pour cette recherche, indique qu’il exerçait la profession d’employé de commerce, que son père était tailleur et que personne ne savait où était partie sa mère. Il a vécu sa jeunesse à Montmartre. Il n’a guère que 21 ans…

-S’étant uni sous son nom, il a du effectuer son service militaire, car être réformé, à l’époque, était quasi-impossible. Dans le cas contraire, il aurait du vivre sous une fausse identité et n’aurait jamais pu convoler en justes noces sous la sienne véritable.
Nous ignorons quelle fut son attitude à la déclaration de guerre : fut-il mobilisé ou déserta-t-il ? Rejoignit-il l’Allemagne ?

-Ce qui est avéré c’est qu’en 1943, il est au service de l’Occupant sous le matricule [**K30*] (K pour [**Kramer,*] patron de l'[**Abwehr*] à Dijon). Après la guerre, Kramer affirmera que Moog était à son service depuis début 1942. Moog est décrit comme un bel homme aimant les femmes. Visiblement, c’est un grand manipulateur. Il a du se sentir très à l’aise dans son rôle d’espion.

-Son décès supposé en Septembre 1944 laisse rêveur : déjà Jacques Baynac en doutait si l’on en juge par le point d’interrogation qu’il mettait à ce sujet.

Notons que lors du procès( juillet 1951) de ses deux complices [**René Saumandre*] et [**André Morin*], comme lui assassins au service de l’Abwehr, tous deux condamnés à mort et fusillés, il fut condamné à mort par contumace. La justice française lança un mandat d’arrêt international contre lui, sans le moindre résultat.

On est d’autant plus surpris d’apprendre qu’il divorça d’Andrée Augustine le 21 décembre 1948, à Paris! Comment un homme prétendument mort en 1944 peut-il acter ainsi quatre ans plus tard ? Et comment un traître, supposé mort, ayant œuvré pour la Gestapo, a-t-il pu se présenter au tribunal, pour divorcer, sans être immédiatement arrêté ? Certes, les conditions de l’époque étaient difficiles mais, en 1948, son rôle à l’Abwehr était bien connu des anciens de la Résistance et de la justice. On reste pantois devant tant d’incohérences et les pires doutes s’installent : a-t-il bénéficié de complicités ? A-t-on fermé les yeux sur sa présence, temporaire ou permanente, en France ? Possédait-il des documents compromettants sur certains politiciens et leurs rapports pestilentiels avec l’Occupant ? Autant de questions sans réponses qui font frissonner. En marge de l’acte de mariage figure bien cette mention de divorce, prononcé par le tribunal civil de la Seine ( première chambre) le 21 décembre 1948 et transcrit le 8 avril 1950. On n’y parle jamais d’enfants : le couple n’en avait donc pas eu. |left>

Malgré de longues recherches dans les archives de Paris, où nous fûmes aidés par les documentalistes, il nous fut impossible de retrouver le jugement de divorce lui-même, à fortiori de l’examiner. Ce que le chef de service considérait comme impensable…On en reste sidéré ! (Notre recherche a permis d’éclairer, ne serait-ce que par cette disparition, ce dossier très obscur : à la stupéfaction des archivistes, le document s’est évaporé sans que l’on sache ce qu’il a pu devenir alors que sa référence existe toujours.)

Ses horribles exploits sont connus :

-A l’aide de papiers volés il prend la personnalité d’« un alsacien réfugié », et infiltre le personnel de la poudrerie de Toulouse au titre de chef d’équipe, le 25 janvier 43 : les Allemands pensent que la Résistance y exerce des activités. Moog y fera tomber TOUS les réseaux de résistants sans que personne ne le soupçonne jamais. C’est «  l’opération Jura ».

-Le décryptage des documents confisqués par la Gestapo à Toulouse permet de remonter vers une source à Lyon. [**Moog*] y arrive le 15 avril 43. C’est lui qui organise le traquenard de la blanchisserie de la rue Béchevin qui sert de boîte aux lettres à la Résistance. Le [**Capitaine Bulard*], chef de l’armée secrète de Lyon, en sera victime : Moog l’y abat sous les yeux de [**Klaus Barbie*], le grand patron de la Gestapo locale. Ce dernier, impressionné, lui donnera carte blanche dans la suite des opérations qui conduiront à l’arrestation de [**Jean Moulin*]. Moog se servira des documents d’identité de ses victimes à de nombreuses reprises, ce dont il était familier.

[**Edmée Delletraz*], à son tour capturée dans cette souricière, sera complètement manipulée par Moog, qui avait parfaitement compris la psychologie de cette femme dont le chef de réseau, [**Devigny*], sera arrêté en sa compagnie sur le quai de la gare d’Annemasse par Moog. Or celui-ci n’avait aucune raison de se trouver là, mais son instinct de chasseur était terrifiant : il avait suivi, furtivement, Edmée Delletraz…Dans la foulée, Moog se servira d’elle comme appât : le 27 mai 43, à l’hôtel de Bourgogne de Dijon, il capture [**Bertie Albrecht*]. Elle mourra des suites des tortures subies, quelques jours après.|right>

Moog va continuer son redoutable travail de démolition : il découvre, dans un courrier saisi dans la boîte aux lettres de Lyon, qu’un rendez-vous est prévu le 9 juin 43, à Paris, entre « Didot »( le trop célèbre [**Hardy)*] et le [**général Delestraint*].

Avec son complice [**Multon*](fusillé en 1945), il prend le train de nuit pour Paris à Lyon-Perrache, le 7 juin au soir. Un destin funeste va faire que Multon et Hardy s’y rencontrent. Or, les deux hommes se sont vaguement croisés à Marseille début 43. Multon en parle à Moog qui ne croit pas aux coïncidences et fait arrêter Hardy à Chalon-sur-Saône. C’est Barbie qui viendra en prendre livraison…On connaît la suite*. |left>

Moog et Saumandre arrêtent le général à Paris. Lequel sera déporté et mourra quelques jours avant la libération de Dachau, sachant parfaitement qu’il fut trahi.

Arrivé à ce moment de notre exposé, il paraît indispensable de laisser la parole à [**Jean-Paul Picaper*] ( Ces nazis qui ont échappé à la corde, novembre 2017, Paris, éditions de l’Archipel) qui nous donne une description étonnante de cet abominable individu, auteur de tous ces forfaits :

« Très grand, très blond, les yeux très bleus, les oreilles décollées et le nez retroussé, Moog était impressionnant et bien plus intelligent que Barbie. C’est à lui que Barbie dut l’arrestation de Jean Moulin  »…

Nous sommes là au cœur d’une vérité tragique que, jusqu’au livre de Jean-Paul Picaper, aucun historien n’avait entrevu, ou voulu entrevoir : l’importance du travail de sape de Moog, un français gestapiste. C’est bien lui qui, avec acharnement, fera tomber le réseau Combat. C’est bien lui qui provoquera la capture de [**Jean Moulin*], que revendiquera [**Barbie*] auprès de ses chefs.

Après cette « réussite », [**Moog*] dirigera l’équipe de gestapistes français qui arrêtera le [**commandant Faye*], chef du réseau Alliance, en septembre 43. Il va poursuivre ses actions contre les résistants jusqu’en août 44 puis suivra les troupes allemandes dans leur fuite. Il participera, voire organisera, la mise en place de réseaux nazis devant opérer derrière les lignes alliés. Comme on le sait, leur efficacité sera nulle : c’était trop tard. Et comme écrit au début de cet article, il disparaîtra dans une attaque aérienne alliée sur Fulda, en Hesse, province d’Allemagne centrale…|right>

A l’heure actuelle, nous ne savons rien sur sa destinée après la guerre. Si ce n’est ce divorce qui pose tant de problèmes et tant de questions. A l’état-civil ne figure aucune date de décès : il était donc en cavale depuis, au moins mais probablement avant, sa condamnation à mort par contumace. Il a du s’enfuir avec des papiers d’identité de complaisance délivrés par les tyroliens ou le Vatican, sans doute pour l’Amérique du Sud et l’Argentine de Peron, « le paradis retrouvé » de si nombreux nazis.

Vu sa date de naissance, il est vraiment mort aujourd’hui. Mais il ne l’était pas en 1948….
Enfin, cette plus qu’étrange découverte dans les archives, que nous avons involontairement mise en lumière, a probablement de lourdes conséquences.

[**Jacques Tcharny*]|right>


*Résistance et collaboration, le drame de Calluire. Qui a trahi ? Wukali, 7 janvier 2017.
**Jacques Baynac : Présumé Jean Moulin ( juin40-juin43), esquisse d’une nouvelle histoire de la Résistance, Grasset, 2003
*** Service de renseignement de l’état-major allemand devenu contre-espionnage, actif de 1921 à 1944.


Illustration de l’entête: Soldats allemands devant un restaurant à Paris 1 juin 1940 :Bundesarchiv Bild 183-L12792, Paris, deutsche Soldaten vor einem Restaurant.


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[**Nota:*]

Vous trouverez peut-être surprenant pour le moins de ne pas trouver dans cet article consacré à Robert Moog une photographie le représentant, nous aussi !

Nous sommes très attachés à restituer dans WUKALI la documentation photographique pour chaque article sur lesquels nous travaillons : une adéquation au texte, trouver le bon document, la bonne photo, nous consacrons d’ailleurs à cela beaucoup de temps. Certes aujourd’hui l’image envahit le monde, c’est à la fois sa force mais sa faiblesse aussi. À l’origine de cette évolution le développement des technologies de communication et de diffusion. Tel n’était pas le cas avant-guerre et la photo s’y faisait plus rare. Qui plus est Moog était un agent de renseignement donc installé professionnellement dans la discrétion et le secret !

Nous avons bien trouvé des photographies de ses acolytes tels René Saumandre par exemple, de lui pas la moindre, pourtant nous avons investigué dans de très nombreux fonds de documentation photographique, aurions- nous mal cherché ?

P-A L)]


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WUKALI 18/03/2018)]

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