One in thirty children in France conceived through assisted reproductive technology


L’**Institut national d’études démographiques*] ([**Ined*]) ausculte avec constance l’évolution de la population en France et tout ce qui en relève. Ses travaux font autorité et nourrissent la réflexion au plus haut niveau. Dans son Bulletin numéro 556 • juin 2018, [Élise de La Rochebrochard, Directrice de recherche, signe une étude sur l’assistance médicale à la procréation (AMP), qu’il nous a paru intéressant de relayer.

P-A L


L’assistance médicale à la procréation (AMP) s’est beaucoup développée depuis la naissance du premier « bébé-éprouvette » au monde il y a 40 ans. Elise de La Rochebrochard en fait un bilan pour la France. Elle nous explique combien d’enfants conçus par AMP naissent dans le pays chaque année, détaille notamment les méthodes utilisées et la proportion d’enfants issus d’un don de gamètes, et estime le nombre total de naissances en France dues à l’AMP depuis ses débuts.

Olécio partenaire de Wukali

[**Élise de La Rochebrochard*]*

Le premier « bébé-éprouvette » au monde,[** Louise Brown*], fête ses 40 ans le 25 juillet 2018. La naissance de cette anglaise signe une véritable révolution dans l’assistance médicale à la procréation (AMP) (encadré 1). Cette technique permet en effet la fécondation d’un ovule par un spermatozoïde hors du corps de la femme, dans « l’éprouvette » du biologiste, in vitro selon le terme technique. Jusqu’à cette première fécondation in vitro (FIV), les techniques d’AMP se cantonnaient à des inséminations « artificielles » (IA) qui consistent à déposer les spermatozoïdes du conjoint (IAC) ou d’un donneur (IAD) au niveau du col de l’utérus ou dans la cavité utérine pour qu’ils aillent féconder naturellement un ovocyte dans le corps de la femme(1).

– [**L’AMP est à l’origine d’une naissance sur trente*]

En France, en 2018, 1 enfant sur 30 (3,4 %) devrait être conçu grâce à une technique d’AMP, qu’il s’agisse d’une FIV ou d’une IA ( figure 1 et encadré 2). Cependant la FIV domine désormais le paysage de l’assistance médicale, représentant 70 % des enfants conçus par AMP.

Premier « bébé éprouvette » français, [**Amandine*] est conçue en 1981 et naît le 24 février 1982. Par la suite le nombre de FIV ne va cesser de croître selon un rythme remarquablement linéaire (figure 1). La proportion d’enfants conçus par FIV progresse de +0,5 % tous les 7 à 8 ans. En 2011, 2,0 % des enfants étaient conçus par FIV, et si la tendance se poursuit, la proportion atteindra 2,5 % en 2018, soit 1 enfant sur 40 (plus de 20 000 enfants). Le recours croissant à la FIV a été soutenu par les progrès technologiques qui lui permettent désormais de répondre aussi bien aux infertilités d’origine féminine qu’à celles d’origine masculine. Initialement la FIV n’avait été conçue que pour répondre aux infertilités féminines d’origine tubaire (trompes altérées ou bouchées). Mais depuis 1992, une nouvelle technique de FIV permet aussi de prendre en charge les infertilités masculines : l’injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde (ICSI). Elle consiste à sélectionner un spermatozoïde qui est directement introduit dans l’ovocyte. L’ICSI a connu un développement extrêmement important puisqu’en 2012- 2015, deux fécondations in vitro sur trois réalisées en France le sont avec cette méthode.

– [**Bientôt 400 000 enfants conçus par FIV en France*]

Les FIV réalisées durant les deux premières décennies d’activité (1981-2000) ont permis la naissance de [**100 000 enfants*] au total en France ( figure 2). Le mouvement s’ampli fie ensuite puisque l’effectif de 200 000 enfants est atteint en 2008 et celui de 300 000 en 2014. Si la tendance se poursuit au rythme observé depuis 30 ans, la France devrait arriver d’ici la en 2019 à un total de 400 000 enfants conçus par FIV. Cette dynamique s’observe également dans le reste du monde. Ainsi, le Comité international de surveillance de l’AMP (ICMART) estimait en 2013 que 5 millions d’enfants avaient été conçus par FIV dans le monde au total, dont la moitié au cours des 6 dernières années.

Les enfants conçus par FIV comportent une proportion importante de naissances multiples : en France, dans les années 1990, il ne naissait pas moins de 130 enfants pour 100 accouchements obtenus suite à une FIV. Au début de la FIV, pour augmenter les chances d’obtenir une grossesse, les médecins transféraient beaucoup d’embryons, souvent 4 ou plus à la fois (39 % des cas en France en 1988). Les naissances multiples augmentent cependant fortement les risques pour la santé des enfants. Les médecins en ont pris peu à peu conscience et ont transféré moins d’embryons pour réduire le risque de naissances multiples. Ils ont ainsi privilégié le transfert de 3 embryons (environ 40 % des cas en 1997) puis de 2 embryons (environ 60 % des cas en 2009). Il n’y a donc plus actuellement que 110 enfants pour 100 accouchements suite à une FIV, mais c’est une fréquence qui reste beaucoup plus élevée que dans le cas d’une grossesse « naturelle » (101 enfants pour 100 accou- chements). Aujourd’hui, l’objectif est de réduire encore la fréquence des naissances gémellaires en favorisant le transfert d’un seul embryon, les autres étant le cas échéant congelés et transférés lors de tentatives ultérieures. En France, plus de 40 % des FIV réalisées en 2015 ont donné lieu à un transfert unique d’embryon et cette proportion devrait augmenter dans les prochaines années. La Finlande et la Suède ouvrent la voie avec une politique très volontariste ayant permis d’atteindre près de 80 % de transferts d’un seul embryon.

– [**5 % seulement des enfants conçus par AMP le sont avec tiers donneur*]

Dans l’imaginaire collectif, l’AMP est souvent associée à l’idée du recours à un tiers pour avoir un enfant, que ce soit via un don de spermatozoïdes, d’ovules, d’embryons (lorsque ceux d’un couple sont accueillis par un autre couple), ou en faisant appel à une gestatrice pour autrui (GPA). En réalité, la quasi-totalité des enfants conçus par AMP en France (95 % en 2015) le sont avec les gamètes de leurs deux parents. L’AMP avec tiers donneur concerne très largement le don de spermatozoïdes (4 % des naissances AMP, soit environ 1 000 enfants par an) et de manière marginale le don d’ovocytes (1 % des naissances AMP, soit environ 250 enfants par an). L’accueil d’embryons est statistiquement négligeable (0,01 % des naissances AMP, soit environ 25 à 30 enfants chaque année), tandis que la gestation pour autrui est interdite en France.

Le don de gamètes est gratuit et anonyme en France. Il est régi par les [**CECOS*] (Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains), connus dans le grand public sous le terme de banques de sperme et d’ovocytes. La pénurie de donneurs en France ne permet pas de répondre à la demande des couples hétérosexuels infertiles en âge reproductif, en particulier la demande d’ovocytes. La loi française restreint pour l’instant l’accès à l’AMP à ces seuls couples, mais un élargissement de cet accès est souhaité par une partie de la société. En l’état actuel de la législation, les « exclus » de l’AMP regroupent les femmes ayant fêté leur 43e anniversaire et demandant un don d’ovocytes, car elles sont touchées par le vieillissement ovocytaire qui s’accélère dès 37 ans, les femmes seules ou les couples de femmes demandant un don de spermatozoïdes, les couples d’hommes ayant besoin d’un don d’ovocytes et d’une gestatrice, et les femmes ne pouvant mener une grossesse et demandant une GPA.

Les Français qui ne peuvent accéder à l’AMP avec tiers donneur peuvent décider de recourir à une AMP dite transnationale pour concevoir l’enfant désiré au-delà des frontières nationales, souvent au sein même de l’Europe [4]. Les couples hétérosexuels en âge reproductif peuvent demander le remboursement de cette AMP transnationale au CNSE (centre de remboursement de soins à l’étranger) qui a reçu 1 499 demandes de ce type en 2015. Cependant, ces recours sont souvent perçus comme illégaux et il est probable que tous ne font pas valoir leurs droits. Par ailleurs, les « exclus » de l’AMP ne peuvent pas bénéficier de cette prise en charge par le CNSE.

– [**L’AMP avec tiers donneur dans l’Union européenne : un paysage déséquilibré*]

Environ 10 % des FIV réalisées dans l’Union européenne (UE) ont lieu en France d’après le bilan européen d’activité d’AMP pour l’année 2013 (encadré 2). Cette proportion est moindre que la part de la France dans les naissances de l’UE (15 %). En comparaison, l’Allemagne réalise 13 % des FIV au sein de l’UE, une proportion identique à sa contribution aux naissances (13 %), tandis que l’Italie réalise 12 % des FIV alors qu’elle ne contribue aux naissances qu’à hauteur de 10 %. Malgré ces variations entre pays, l’activité FIV des pays est globalement cohérente avec leur poids démographique : les cinq grands pays de l’UE (Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie et Espagne) contribuent pour 63 % des naissances et réalisent une part équivalente des FIV (62 %).

La situation est très différente concernant l’AMP avec tiers donneur. La France ne réalise que 2 % des dons d’ovocytes de l’UE. L’Allemagne et l’Italie n’en réalisent aucun puisque ces pays les interdisent. Ces trois poids lourds démographiques, qui comprennent à eux trois 39 % de la population féminine âgée de 20 à 44 ans de l’UE, sont donc très en retrait pour ce qui est du don d’ovocytes. Leurs ressortissants doivent franchir les fron- tières pour pouvoir réaliser leurs projets parentaux [5], entraînant un phénomène de recours transfrontalier qui reste à quantifier. Les pays de destination sont l’Espagne, mais également des pays comme la Grèce et la République tchèque, qui ne représentent chacun que 2 % des naissances de l’UE. Ces trois pays réalisent à eux seuls 77 % de l’activité de don d’ovocytes de l’UE : 59 % pour l’Espagne, qui domine le paysage, 9 % pour la République tchèque, et 8 % pour la Grèce.

Le déséquilibre est marqué également pour le don de sperme. Il touche notamment là encore l’Allemagne, l’Italie et la France. En France, comme déjà mentionné, l’accès au don de sperme n’est autorisé qu’aux couples hétérosexuels, entraînant un recours transfrontalier des « exclus » de l’AMP, couples de femmes et femmes seules en particulier. La situation est identique en Allemagne avec une activité de don de sperme mal connue, les statistiques pour ce pays ne figurant pas dans le bilan européen (enca- dré 2). En Italie, le don de sperme est interdit. Au sein de l’UE, le don de sperme est essentiellement réalisé dans trois pays : deux pays, le Danemark et la Belgique, qui ne représentent respectivement que 1 % et 2 % des naissances de l’UE, mais assurent 26 % et 20 % des dons de sperme de l’UE, et l’Espagne, qui représente 8 % des naissances et assure 19 % des dons de sperme.

Au sein de l’Union européenne, l’AMP avec tiers donneur se concentre donc dans quelques pays qui accueillent les Européens qui ne peuvent accéder au don de gamètes chez eux. Cette très forte concentration du don dans quelques pays, souvent de petite taille, soulève des questions éthiques sur son organisation. Pour répondre à la demande de la population européenne, ces pays doivent recruter un nombre important de donneurs qui ne peut reposer sur le seul altruisme de la population locale. Les donneuses pourraient alors en partie être des jeunes femmes en situation de fragilité économique, motivées par la compensation financière de 400 € à 2 000 € versée par les centres [6].

Des États généraux de la bioéthique ont été lancés en France en janvier 2018, appelant la société à réfléchir, entre autres, à de possibles évolutions du cadre législatif de l’AMP. L’accès à l’AMP pour toutes les femmes, y compris celles vivant seules ou en couple de même sexe, est débattu et pourrait conduire à une révision de la loi de bioéthique dans l’année. Les choix qui seront faits auront des conséquences au-delà de nos frontières, accentuant ou freinant le mouvement de concentration de l’activité européenne d’AMP avec don de gamètes dans quelques pays.

[**Élise de La Rochebrochard*]


Cette étude a été publiée par l’ [*Ined*]. numéro 556 • juin 2018 • Population & Sociétés • bulletin mensuel d’information de l’Institut national d’études démographiques.

Communiqué


* Ined – Inserm – Université Paris-Sud – Université de Versailles-Saint- Quentin

(1) La prise en charge médicale de l’infécondité débute souvent avec un traitement par stimulation hormonale simple (c’est-à-dire sans insémination arti cielle ni fécondation in vitro). Ces traitements ne sont pas inclus dans l’AMP car il n’y a pas de manipulation des spermatozoïdes, de l’ovocyte ou de l’embryon. Il n’existe aucun suivi de la fréquence de recours à ces traitements de stimulations hormonales simples ni du nombre d’enfants conçus.

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WUKALI 04/06/2018)]

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