A famous composer born in Metz

Georges Masson a remis en mémoire et célébré le compositeur messin Ambroise Thomas. En hommage, nous publions l’article qu’il nous avait accordé et que Wukali avait publié le 4 novembre 2011. P-A L


[**Georges Masson*] possède tous les talents de l’esprit et sa plume pétillante et profonde sait à merveille faire revivre les oeuvres et les artistes dans des chroniques qui par elles-mêmes sont des petits bijoux brillants et lumineux.

Tout à la fois musicologue, fin critique et journaliste passionné dans l’âme, amateur d’art dans le sens où [**Jacques Copeau*] le définissait, « étimologiquement celui qui aime« , il préside le Cercle Lyrique de Metz.

Olécio partenaire de Wukali

Georges Masson est la cheville ouvrière de ces manifestations messines célébrant le bi-centenaire d'[**Ambroise Thomas*]. Sans lui jamais cet anniversaire des deux cent ans de la naissance du compositeur n’aurait pu être organisé. Sa détermination à résister contre toutes les turpitudes administratives ou politiques a triomphé car voila quelques mois encore on donnait peu cher de cette fête de la musique et de l’opéra, à Metz, dans des chicanes de mauvais aloi.

Je tiens à remercier Monsieur Georges Masson de confier à [**Wukali*] la publication de son travail musicologique de recherche sur Ambroise Thomas dont nous goûtons ses pages comme nectar; que dis-je, comme ambroisie !

[**Pierre-Alain Lévy*]


– [**Ambroise Thomas: La fibre lyrique*]

Petite anecdote. En visite, récemment, à Metz, et repérant la plaque commémorative apposée à l’angle de l’immeuble où naquit Ambroise Thomas dans la rue qui porte son nom, le Président honoraire de l’Académie Nationale de Médecine de Paris, le [**professeur Pierre Ambroise-Thomas*], demanda à la librairie du coin si elle avait dans ses rayons une biographie portant sur le célèbre musicien. On lui répondit : « Mais qui est donc Ambroise Thomas ? ». No comment !

Quand on sait qu’aujourd’hui, une dizaine de villes françaises ont une rue ou une avenue qui porte son nom et qu’à l’époque on avait baptisé un navire du nom d’Ambroise Thomas, de même qu’on lui avait donné le nom d’un dahlia, on se rend compte qu’il y a encore du chemin à faire pour la réhabilitation de celui qui fut alors prophète en son pays, alors que l’Allemagne, l’Italie, l’Angleterre ou l’Amérique n’ont jamais oublié son « Mignon » ni son « Hamlet ».

[**Ambroise Thomas est donc né à Metz, le 5 août 1811*]. Son père, Jean-Baptiste, surnommé Martin, messin lui aussi comme ses ancêtres à hauteur de quatre générations recensées, était violoniste au théâtre. Il rencontra sa future épouse [**Marie-Jeanne Willaume*], pianiste, aux répétitions des concerts de la Société de musique populaire qu’il avait fondée, avant que le couple ne créât une école privée de musique, la première, sans doute, à Metz.

[**Ambroise*], comme son frère aîné [**Charles*] qui étudia le violoncelle, apprend le solfège à quatre ans, le piano et le violon à sept. Mais, coup dur lorsqu’il en a douze. Son père meurt subitement à 53 ans. Effondrée, la petite famille quitte Metz quelques années plus tard, en 1827 et s’installe modestement à Paris où l’aîné sera violoncelliste à l’Opéra-Comique et où Ambroise poursuit ses études au Conservatoire, dirigé alors par [**Cherubini*], décrochant son prix de piano chez [**Zimmermann*], celui d’harmonie chez [**Dourlan*] et de composition musicale auprès de [**Jean-François Lesueur*], le compositeur d’opéras très prisé de[** Napoléon 1er*] et qui dira de son jeune Ambroise : « Voici ma corde sensible. » Thomas a 20 ans lorsqu’il tente sa chance au Prix de Rome où il obtient une mention honorable avec sa scène lyrique « Bianca Capello » avant de remporter, à 21, son Premier Grand Prix de Rome avec sa cantate « Hermann et Ketty ».

– [**Ébloui par la ville éternelle*]

Il découvrira avec éblouissement la Ville éternelle et sa Villa Médicis où il croisera [**Berlioz*] son aîné de huit ans, rencontrera [**Chopin*] dont il interprétait avec finesse les valses et les mazurkas aux soirées du Palais Farnèse, grâce à sa jolie technique soulignée par [**Antoine Marmontel*] disant « qu’il avait su déployer et entretenir un jeu fin, délicat, expressif, qualités distinctives de son talent ». Il se lie avec les peintres, [**Horace Vernet*], [**Hippolyte Flandrin*] qui peindra son premier portrait, et [**Dominique Ingres*], son aîné de trente ans, qui l’entourait d’une affection toute paternelle. Alors qu’il était directeur de la Villa Médicis, Ingres jouait du violon et il sollicita son jeune pensionnaire qui l’accompagnera au piano. C’était, en somme… le piano d’Ingres ! Thomas sympathisait aussi avec le graveur [**Oudiné*], prix de Rome de sculpture, et qui concevra les pièces de monnaie sous la République, et avec l’architecte [**Baltard*], célèbre pour ses pavillons et qui fera les plans de la villa d’Ambroise Thomas à Argenteuil.

– [**Dans le tourbillon lyrique de la capitale*]

Son séjour à Rome terminé, Ambroise remonte à Paris par les grandes villes d’Italie et par Vienne, où il s’incline sur la tombe de[** Beethoven*], mort huit ans plus tôt, Munich et Leipzig qu’il découvre avec admiration, avant de se lancer dans le tourbillon lyrique de la capitale. Il tente sa chance en 1836 à l’Opéra-Comique avec « La Double échelle » qui lui vaut les compliments d’[**Ingres*] : « Vous avec du génie, mon brave…Un peu plus de confiance en vos propres forces…Et puis, produisez, produisez, je suis sûr de vous… ». Son premier succès se renouvelle l’année suivante avec « Le Perruquier de la régence », puis, à l’Opéra, avec le ballet « Gypsy ». Suivra « Le Panier fleuri », toujours aussi bien accueilli. Un autre bonheur comble d’aise Thomas quand l’éditeur parisien [**Richault*] publiera sa « Messe de Requiem» qu’il avait composée à vingt-deux ans. L’opéra-comique « Carline » lui sourit à nouveau. Mais Ambroise Thomas ne voulait plus trop se contenter de ces petites gloires passagères. Il lance son premier opéra, « Le Comte de Carmagnola ». Accueil mitigé. L’année suivante, en 1842, son second opéra « Le Guerillero » est boudé à son tour. On était loin des délices de jeunesse. Thomas va donc retourner à l’Opéra-Comique pour y produire « Angélique et Médor » puis « Minna ou le ménage à trois ». Plaisirs éphémères. D’où un repli sabbatique de six ans. Il posera sa plume lyrique pour prendre celle, plus sérieuse, des scènes chorales, de la musique de piano, des mélodies ou des cantates.

– [**Un« caïd» qui fait un tabac !*]

Mais il reviendra à l’opéra bouffon (frère de lait de l’opera buffa italien) en produisant « Le Caïd » en 1849. Une partition pimpante, gracieuse, qui engendrait la bonne humeur. « On n’avait plus ri depuis longtemps à l’Opéra-Comique », lisait-on dans la presse, tandis que le tout jeune [**Georges Bizet*] écrivait au compositeur : « Votre Caïd vient de me ravir. C’est toujours jeune et spirituel…Et quelle main ! ». De son côté, [**Hector Berlioz*] souligna, dans le Journal des Débats, les qualités « d’une partition charmante, d’un dialogue lyrique d’un excellent caractère », tout en la qualifiant d’ « œuvre détestable…mais qui faisait recette ! ». Narquois ! L’ouvrage atteignit 400 représentations à Paris, sans compter la province et l’étranger où elle avait été traduite en plusieurs langues.

Dans la foulée du « Caïd », Thomas compose « Le Songe d’une nuit d’été » d’après [**Shakespeare*]. Commentaires réservés. Il faisait entrer en scène Falstaff, Shakespeare lui-même, et la reine d’Angleterre sermonnant le célèbre dramaturge anglais pour son intempérance… L’œuvre est d’ailleurs sortie en compact disque il y a peu de temps. Mais, compensation, l’année suivante, en 1850, on accueille Thomas à l’Institut de France pour accéder au fauteuil de [**Spontini*] qui venait de mourir. Election contestée. N’avait-on pas préféré Thomas à [**Félicien David, Clapisson, Niedermeyer*], et surtout à [**Hector Berlioz*] qui piétinait à la porte depuis plusieurs années ? Berlioz ne la franchira que cinq ans plus tard à la mort d’[**Adolphe Adam*]. Très en cour, Thomas sera bientôt le doyen de cette docte assemblée dont il tiendra le fauteuil durant plus de 40 ans, et dont il assumera la présidence de l’Académie des Beaux-Arts à cinq reprises, de même qu’il fut trois fois président des Académies de l’Institut réunies.

– [**Les trompettes de la renommée*]

S’il était né sous une bonne étoile, Thomas n’en subira pas moins des échecs cuisants. Un autre opéra « Raimond ou le secret de la reine », basé sur l’énigme du masque de fer, fait un four . « La Cour de Célimène » boit aussi le bouillon. (Là aussi, un compact-disc est sorti tout récemment). Thomas se replie six ans à nouveau dans une méditation d’anachorète.

L’heure sonne enfin où le compositeur embouchera les trompettes de la renommée avec « [**Mignon*] », son œuvre fétiche. On a peine à imaginer aujourd’hui, le triomphe de popularité que lui valut cet opéra-comique composé en 1866, dont il fut le tout premier, voire l’unique compositeur a avoir assisté à sa 1.000e représentation. C’était en mai 1894. Thomas avait alors 83 ans. La soirée de gala avait rassemblé à l’Opéra-Comique tout le gratin de la capitale. Le président de la République [**Sadi Carnot*] (qui sera assassiné six semaines plus tard par l’anarchiste italien [**Caserio*]), remit au musicien, terré dans le fond de la loge présidentielle, l’honorifique Grand croix de l’ordre fondé par Napoléon 1er, la Légion d’honneur. C’était l’apothéose de sa carrière !

Porté par la fructueuse ascension d’une œuvre qui emballait le public mais qui ne fit point l’unanimité des aristarques sur la manière d’avoir traité le livret tiré du roman de jeunesse de [**Goethe*] « Wilhelm Meisters Lehrejahre », le compositeur produira, dix-huit mois plus tard, son « Hamlet » d’après Shakespeare, pour lequel, d’abord, le critique de La Revue Moderne s’enflamma. « Tout est compris, rendu, l’inspiration déborde, la couleur est superbe…», tandis qu’[**Antoine Marmontel*] notera dans ses Etudes Musicales, que « les deux héros, Hamlet et Ophélie, apparurent comme deux créations géniales et quasi-mythiques que l’esprit méditatif et sombre de Thomas avait, d’un souffle puissant, de son inspiration soutenue et avec toute la chaleur d’âme d’un poète, fait surgir du drame shakespearien, avec ses nuances tendres, passionnées ou terribles… »

– [**«T’en a-t-il extirpé des biftecks et des côtelettes…! »*]

Mais, autre son de cloche du côté de ses adversaires. La revue Gil Blas dénonçait « la mélopée flasque et grise, l’orchestre incolore et bruyant », le critique [**Langenevais*] ironisant : « On dirait le comique d’une féerie du Châtelet », puis, interpellant [**Thomas*] : « Etes-vous Beethoven pour toucher à Shakespeare ? (…) ». Il fustigeait cette « féerie grotesque », cet « Hamlet vert-galant et diable à quatre, qui boit et bat et qui serait plutôt un compagnon de Falstaff ! »…Quant à [**Adolphe Jullien*], il détecta une autre faille : « C’est l’incapacité du drame de Shakespeare de se façonner en duos, en ariettes, en flonflons et en polkas, qui fait toute l’infirmité du livret ». Là, c’est [**Barbier*] et [**Carré*] qui en prenaient pour leur grade.

La presse en remettra une couche quand Thomas produira en 1882, son dernier opéra qu’il avait en gésine depuis 1870, Françoise de Rimini, d’après [**Dante*]. Elle fut plus virulente encore en 1889, à la création de son ultime ballet « La Tempête », où le raz-de-marée de la critique hostile envoya dans un fracas de porte-plumes, l’embarcation Barbier-Thomas par mille mètres de fond. « Pauvre Shakespeare ! Non content de le piller, on le déchire…T’en a-t-il extirpé des biftecks et des côtelettes, ô mon vieux Will !, pour les jeter crus et pantelants à la faim vorace des musiciens !... » lisait-on dans Gil Blas. Même le jeune compositeur [**Henri Busser*], 23 ans, l’affubla d’ironiques citations latines : « Quandoque bonus dormitat Thomasius ! » en lui conseillant de laisser sa muse au repos.

– [**Un tempérament de Lorrain*]

Néanmoins, [**Thomas*], qui ne répondait pas aux attaques qui lui étaient lancées, était un homme distingué, foncièrement honnête, inspirant le respect, réservé, renfermé, sombre, timide également. Il avait ce tempérament de Lorrain : patient, prudent, sceptique, pugnace. C’était un silencieux, un tendre, qui fonctionnait aux coups de cœur, mais qui était entêté, autoritaire, voire buté. Il ne supportait pas [**César Franck*] et ses disciples, ni [**Gabriel Fauré*] qui n’aura jamais pu être nommé professeur au Conservatoire de Paris tant que Thomas en tenait le gouvernail. De par sa position sur l’échiquier musical français, Thomas en soutenait la grande tradition musicale et craignait qu’elle soit trop influencée par l’opéra wagnérien et l’art musical allemand. Et la guerre franco-prussienne de 1870 n’avait pas arrangé les choses. Aux examens dont il présidait les jurys, Thomas apparaissait comme un patriarche à la mine grave et impressionnait les candidats : « Un vautour auquel on aurait coupé les ailes », selon [**Alfred Bruneau*]. Même [**Claude Debussy*] singeait ses manières et se moquait de son intransigeance.

A la fois mêlé aux mondanités louis-philippardes, impériales puis républicaines, « le bon Thomas » ainsi qu’on l’appelait, fuyait la bourgeoisie salonarde mais préférait les chambrées d’artistes et ses amis avec lesquels il s’enthousiasmait des beautés de Rome et racontait ses anecdotes de théâtre, entre deux parties d’écarté. Il voyageait beaucoup. Il allait de son appartement jouxtant le Conservatoire, à sa villa Saint-Bernard à Hyères, à son Ile d’Illiec en Bretagne mais surtout à son pavillon d’Argenteuil. Célibataire endurci, il se maria sur le tard, à 68 ans, avec [**Elvire Remaury*], la sœur du directeur des Forges de Pompey près de Nancy. Il venait souvent à Metz, sa ville natale où il était fêté au théâtre. On y joua ses opéras-comiques et ses opéras, après qu’ils eussent été créés à Paris, puis représentés dans tout l’Hexagone et à l’étranger. [**Napoléon III*] était d’ailleurs venu à Metz, en 1857, où l’on avait programmé au théâtre, « Le Songe d’une nuit d’été » de celui qui fut en son temps vénéré des Messins. Et que l’on remet en selle grâce à ses Biennales, dont la première eut lieu en 2007, la seconde en 2009, l’année 2011 étant consacrée aux manifestations du Bicentenaire de celui qui fut prophète en son pays.

[** Georges Masson*] .


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WUKALI Article mis en ligne le 10/11/2018 et initialement publié dans Wukali le 4/11/2011)]

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