O You spectators of misfortune, quake under the spell of this energetic Requiem and this demoniac conductor


Voilà qui annonçait quelques surprises, et des grands moments d’élévation.

[**Teodor Currentzis*] porte le Requiem à des sommets de tension et d’extase.
Le chef et son ensemble MusicAeterna étaient au Grand Théâtre d’Aix en Provence, dimanche 14 avril, en ce début du Festival de Pâques. Une salle archicomble, on s’en doutait. Le chef et son ensemble ne laissent jamais indifférent et pour ce Requiem, d’entrée de jeu : la messe est dite !

Dans une mise en scène savamment orchestrée, les chœurs, en soutane noire, font leur entrée, le regard rivé vers la salle, droits, imperturbables. Tout aussi graves et recueillis, vêtus de la même toge sombre, les musiciens se placent debout, devant leur pupitre. Les solistes, [**Dmytro Popov*], ténor, et [**Tareq Nazmi*], basse, eux aussi sobrement habillés font leur entrée, suivis de [**Zarina Abaeva*] la soprano et [**Hermine May*], la Mezzo-soprano, qui portent quant à elles d’élégantes robes longues.

Olécio partenaire de Wukali

[**Teodor Curentzis*] nous apparaît enfin, chemise longue et pantalon noirs soulignent sa minceur, il nous salue sobrement, rapidement. Il est déjà « ailleurs ». Notre introduction qui s’étire est là pour vous donner le « la » ou le ton. Le décor est planté. On se croirait un peu au cinéma, il faut bien l’avouer.

Le jeune Teodor Currentzis impressionne toujours autant et sa conception du Requiem de [**Giuseppe Verdi*] marquera longtemps les esprits. Dramaturgie extravertie s’il en est, et, paradoxalement, il est des moments où l’austérité, on pourrait même dire l’ascétisme, l’emporte. Cette « cérémonie », à la recherche de la perfection spirituelle a de quoi impressionner sans que tout cela ne nous fasse perdre l’essentiel : La musique. Avec lui, on entend vraiment « autre chose ». On peut parfois le trouver excentrique, un peu excessif aussi à chercher à faire du neuf avec bon nombre d’œuvres, mais il faut bien admettre que tout cela donne indéniablement de la personnalité, du caractère à tout ce qu’il entreprend. Quand on connaît l’audace du jeune homme, on pouvait se demander justement quelle serait sa version de cet opéra « en robe d’ecclésiastique » pour reprendre la formule un peu assassine d’un rival de Verdi, le chef d’orchestre allemand [**Hans von Bülow*] (premier mari de la future [**madame Wagner*]). On s’attendait peut être à un climat davantage porté sur le recueillement, peut être un peu d’austérité pour une messe, c’est la carte de l’opéra qui s’est jouée là, et c’est d’ailleurs un peu comme cela que Verdi l’entendait.

Imaginez, 100 musiciens, (la qualité de chaque instrumentiste de[** MusicAeterna*] est d’ailleurs toujours démontrée), 120 choristes et solistes ! Impressionnante vision.
Singularité encore, cette centaine d’hommes et de femmes venus du grand Est russe seront le plus souvent debout. Et comment font-ils les violonistes et altistes pour rester 1 h 30 ainsi ? De même que les cuivres qui se lèvent à chacune de leur intervention. Car ce soir là, la majorité des musiciens jouent debout, excepté les violoncellistes bien sûr et une poignée d’autres musiciens.


Fragment d’un concert à la mémoire de Sviatoslav Richter. 20 mars 2007. Direction musicale Theodore Currentzis


Cette oeuvre d’une force et d’une ferveur sans précédent du compositeur Italien, [**Téodor Currentzis*] la possède, « religieusement et théâtralement ». On sait, qu’avec le chef russo-grec, lire un texte ou une partition est une chose, lui donner son esprit, son âme, en est une autre. L’éclat de la musique et la profondeur des sentiments n’en sont que plus présents.

Pour l’histoire, il faut savoir que « drame sacré lyrique  » rend hommage au grand romancier [**Alessandro Manzoni,*] un héros de l’unité italienne, ami de [**Verdi*] qui partageait les mêmes idées. Il est mort, certes, mais c’est ici un hymne à la vie qui s’exprime avec force et puissance… On l’a dit, cette messe du Requiem tend vers le dramatisme de l’opéra et tergiverse quelque peu avec la tradition catholique.

Le chœur est magnifique de bout en bout de l’œuvre. L’extrême justesse de chaque voix qui le compose nous fait assister à de magnifiques moments. Les voix déferlent sur nous, dans une diction irréprochable, quel que soit le tempo, la nuance. Le Chef est étonnant dans cette façon de tout contrôler, dessiner chaque note de ses doigts, tout mesurer. Il mène les solistes à la baguette, (sans la baguette), les contrôlant et les dirigeant parfois même du regard. Comment ne pas comprendre ses intentions ? Elles sont limpides comme de l’eau de roche. Ses bras s’ouvrent théatralement, se déploient et se plie avec éloquence. Ses longs doigts expressifs ressemblent à ceux peints par [**El Greco,*] le maniériste de Tolède.

Si les solistes se libèrent dans ce Requiem, c’est surtout vers eux que l’on pourrait émettre quelques réserves. Un ténor,[** Dmytro Popov*] dont la belle voix habituellement se projette, manque ce soir-là parfois d’éclat. Malgré quelques faiblesses, que l’on oublie très vite, [**Zarina Avaeva*] chante divinement. On aime ses aigus magnifiques, son phrasé irréprochable. Et même lorsque soudain elle s’éloigne de la scène pour se placer au milieu du chœur, elle parvient à se faire plus présente encore et nous livre un final inoubliable, l’un des plus grands moment de ce requiem : le Libera me. La mezzo-soprano, [**Hermine May*] possède elle aussi une voix voluptueuse et son interprétation est des plus émouvantes. Elle a su adapter son chant à celui de ses partenaires, et le Recordare interprété avec la soprano était particulièrement harmonieux. On aime encore la prestation de [**Tareq Nazmi*], basse, dont le timbre ne manquait pas de brillance. Une voix légèrement rauque pourtant, mais paradoxalement puissante. Il a fait preuve d’une grande sensibilité dans ses interventions solistes. Oui, dans l’ensemble, ce sont ces voix et ce chœur qui apportent à l’œuvre beaucoup de chaleur humaine, ce frisson, cette émotion, ce souffle aussi indispensable à la bonne exécution du Requiem. A ce niveau de qualité, la responsabilité de chacun est égale ! Difficile de citer les moments les plus marquants. Ils sont nombreux. Déjà le  » Kyrie  » nous est apparu excellent. Le Dies irae est allé crescendo, explosant dans toute sa rage et sa colère. La tension monte, des cuivres secs et des timbales frénétiques, l’orchestre et le chœur tout entier canonnent leur fureur. Non, ce Requiem là n’a pas déçu le public.

[**Teodor Currentzis*] a communiqué à tous la fureur de jouer, dans la théâtralité du discours certes, poussée très loin, même dans les passages les plus recueillis et contemplatifs. Le chef voue aussi le culte de la précision. Jusqu’à la fin, rien n’est laissé au hasard dans cette confrontation avec la vie et la mort. Elle se termine dans le silence… un long, très long silence déconcertant, d’une immobilité troublante.

Un silence qui s’étire, mais que l’on ne peut pas rompre tout de suite par des applaudissements. De longues minutes passent, et soudain, le public se lève. Debout, il applaudit à tout rompre.

[**Pétra Wauters*]|right>


[**MusicAeterna de Perm Opera, choeur et orchestre *]
[**Teodor Currentzis*], direction

[**Zarina Abaeva*], soprano
[**Hermine May*], mezzo-soprano
[**Dmytro Popov*], ténor
[**Tareq Nazmi,*] basse


(Voir le [programme du festival de Pâques

Festival de Pâques d’Aix en Provence. Information de dernières minutes
Pour des raisons de santé, Peter Serkin ne pourra pas être présent au festival de Pâques.
Les concerts sont maintenus.
Pour le concert de Génération @ Aix, jeudi 18 avril à 18h au Théâtre du Jeu de Paume, Robert Levin accompagnera les jeunes prodiges. Pianiste, improvisateur, musicologue et compositeur, l’Américain est « le grand spécialiste mozartien d’aujourd’hui » (L’Express).

Pour le concert des Variations Goldberg, samedi 20 avril à 18h au Théâtre du Jeu de Paume, nous retrouverons David Fray. Le pianiste a une affinité particulière avec Bach qu »il interprète avec « un toucher rebondi, un travail particulier d’articulation, assortis à une profonde et sincère recherche d’émotion » (Resmusica).


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