A high mastery of craft, a compassionated artist.
[**Jules Dalou (1838-1902*]), certains noms d’artiste résonnent dans la mémoire. Sans vraiment savoir qui ils étaient, leur nom évoque un souvenir, quel qu’il soit : quelques uns figurent dans d’innombrables musées, on rencontre leurs œuvres en ventes publiques et les manuels d’histoire de l’art en parlent et montrent leurs réalisations. En règle générale, ces créateurs furent des hommes discrets, préoccupés avant tout de leur art. Souvent l’amateur curieux éprouve une sympathie naturelle à leur égard. Il en va ainsi pour le parisien Jules Dalou(1838-1902), qui fut l’un des meilleurs sculpteurs français de la seconde moitié du dix-neuvième siècle.
Fils d’un artisan gantier républicain et laïc, il sera élevé dans le culte de la Révolution française. Ses dons pour le modelage le font remarquer du grand [**Carpeaux*], qui l’introduisit à « la petite école », les futurs « Arts décoratifs ». Dès 1854, on le rencontre aux beaux-arts, élève de [**Duret*]. Malheureusement, son style ne correspond pas à celui de l’académie. Il échouera quatre fois au prix de Rome.
Très vite, il gagne sa vie comme praticien de divers ornemanistes. Il croise [**Rodin*] dans l’atelier de l’un d’eux. Il épouse une femme de caractère, [**Irma Vuillier*], pendant ces années. Ils n’auront qu’un enfant, une fille handicapée mentale. C’est le premier tournant de sa vie : pour assurer à Georgette, après le décès du couple, son placement à vie dans une institution spécialisée appelée l’orphelinat des arts, il fera don de son atelier à celle-ci. Le fond sera racheté par la ville de Paris. Ce « musée Dalou » existe toujours, au musée du Petit Palais, à Paris.
Sa première sculpture présentée au Salon, en 1869, est « Daphnis et Chloé ». La deuxième sera « La brodeuse » en 1870. Elles seront achetées par l’état.
Arrive alors la guerre franco-prussienne et la Commune. Compromise avec celle-ci, la famille Dalou fuit en Angleterre en 1871.
Ce sera le deuxième tournant de sa vie et de sa carrière. En exil, il produira des sujets intimistes ( liseuse, berceuse, brodeuse…) et de nombreux portraits, très appréciés par l’aristocratie britannique. Il recevra même une commande royale: un monument à la [**reine Victoria*] et à ses petits-enfants.
Condamné par contumace en 1874, il sera amnistié en 1879 et reviendra en France. Ce sera le troisième et dernier tournant de sa vie. Dès 1880, il travaillera sur son chef d’œuvre : « Le triomphe de la République » de la place de la Nation à Paris. Ce qui lui prendra vingt ans : l’inauguration n’aura lieu qu’en 1899, en présence de la foule des quartiers populaires.
Sa révélation au grand public se fera au Salon de 1883, avec les plâtres de « La fraternité des peuples » et « Mirabeau répondant à Dreux-Brézé »(médaille d’honneur ). Cette période, très active, voit l’érection des monuments à [**Delacroix*] (1890), à [**Alphand*](1899)… Également les gisants d'[**Auguste Blanqui*] (1885) et de [**Victor Noir*] (1890), le groupe du « Triomphe de Silène »(1885), de nombreux bustes : [**Rochefort*] 1888, [**Courbet*] 1890…
Il consacrera la fin de son existence à son projet de « Monument aux travailleurs », en gestation depuis 1889. Y sont magnifiés les artisans, les ouvriers, les paysans. Sa mort interrompra l’œuvre. Les innombrables esquisses de ce monument sont conservées au musée du Petit Palais. Le plus connu du groupe, complètement terminé, est le « Grand paysan ».
[**Dalou*] écrira : « La disposition générale tiendrait de l’insigne de Priape, Dieu des jardins, emblème de la création, de la borne, berceau et tombe du pauvre, du tuyau, de l’usine, prison où se passe sa vie. Je le désire sobre, imposant, sans moulure ni ornement…. ».
L’homme était simple, modeste, réservé. L’œuvre est conséquente.
Ce mois de juin va s’ouvrir à Paris à la Galerie Nicolas Bourriaud, une exposition qui présente des sujets en bronze de l’artiste. Tous sont des exemplaires fondus à la cire perdue, soient par [**Hébrard*], soient par Susse. Le nombre d’exemplaires tirés est donc réduit. Leurs qualités intrinsèques sont connues : légèreté de la fonte, reprises de ciselure parfaites, patines moirées chaudes et douces réfractant la lumière.
Comme toujours la galerie Nicolas Bourriaud ne triche pas, en présentant des bronzes de très haut niveau technique, aux finitions remarquables.
En premier lieu nous regarderons une exceptionnelle maternité, un exemplaire à patine marron très nuancée, de dimensions : 41x28x30cm. Il est signé sur la terrasse « Dalou » et daté de 1874, date de création du modèle. C’est une authentique épreuve ancienne d’A.A.Hébrard dont elle porte le cachet. Comme chacun sait, [**Madame Dalou*] posa pour ce sujet en Angleterre.
Cet exemplaire est vraiment magnifique : fonte légère, ciselure délicate et poussée, patine chaude et fluide. Les reflets lumineux sont moirés, la réfraction sur la patine est franche, directe et retenue. C’est un enchantement visuel que l’œil ressent immédiatement.
La conséquence en est la prise de possession de son espace environnant par l’œuvre, et la prise de possession de l’œuvre par l’esprit du spectateur. La communion entre l’artiste et le connaisseur y est complète. C’est que Dalou a réussi à représenter la réalité en la spiritualisant, mais sans l’idéaliser : la mère porte des vêtements du temps, on reconnaît parfaitement le modèle, Madame Dalou, mais son époux l’a transcendée en archétype de la maternité. Nous sommes là face à un moment de grâce de l’art tridimensionnel : le parfait équilibre des formes et de la capacité de compréhension de l’époque à laquelle appartient l’œuvre. C’est un instant fragile, d’une qualité intense car intemporel : nous nous trouvons face à un chef d’œuvre. Le public cultivé anglais, toujours très perspicace à l’époque victorienne, l’a compris le premier.
Les qualités principales de cette épreuve sont l’aspect extraordinaire, quasiment granuleux, du bronze ; sa fantastique patine noire, très profonde, où la lumière vient s’accrocher aux aspérités les plus fines ; le réalisme sidérant du sujet, rendu vivant par le génie de l’artiste ; la recherche exaspérée d’analyse dans le rendu de l’individualité de l’enfant. C’est l’élément le plus attachant et le plus actuel pour l’amateur de notre temps, parce qu’en phase avec nos préoccupations contemporaines. L’origine de cette démarche intellectuelle : la quête de l’intemporalité, remonte au Quattrocento, à la Renaissance florentine, en particulier au cercle de l’atelier de [**Verrocchio*]. Ce qui ne constitue pas la plus banale des qualités, on en conviendra.
Maintenant regardons le de plus près : la tête tournée sur sa droite, les yeux bien tracés aux pupilles grandes ouvertes sur un monde qu’il ne connut pas, les joues potelées et poupines, les cheveux impeccablement peignés et bien marqués, le nez mutin, les lèvres pulpeuses aux niveaux différenciés, le mignon menton, les oreilles à l’écoute, le cou en torsion, sont les principales étapes de cette apologie du miracle de l’enfance…Disparue. On ne s’étonnera pas d’apprendre que ce modèle fut toujours apprécié des collectionneurs.
La baigneuse s’essuyant le pied droit est un modèle connu. L’épreuve proposée par la galerie Nicolas Bourriaud est une belle fonte à patine brune nuancée, signée « Dalou », avec inscription « cire perdue » et « Susse Fes Edts Paris ». Elle mesure 34x34x20cm. Elle date des années 1920.
Ce qui la caractérise le plus, c’est la richesse de la patine, très ample, très étendue, qui permet de magnifiques effets lumineux. Ceux-ci font vivre et vibrer la sculpture. L’œil commence la lecture de l’œuvre en suivant cette chaleur expressive issue de la patine. Cette prise de possession visuelle est donc la conséquence de la qualité d’exécution du travail du fondeur. En règle générale, on considère [**Hébrard*] comme le meilleur fondeur du temps. Mais ici [**Susse*] n’a rien à lui envier : il fait jeu égal avec lui. La jeune femme, aux formes généreuses et accomplies, affiche une santé naturelle certaine, une évidence satisfaction de son aspect physique. Sa chevelure porte un chignon aplati. En la regardant avec un peu d’attention, le spectateur ressent cette plénitude visuelle inattendue.
La terre originale date de 1892, ce bronze d’avant 1920. Le couple est assis sur une souche porteuse de végétation. Ariane, abandonnée par Thésée, s’écroule en pleurant dans les bras de Bacchus. Sans lui, elle serait tombée au sol : il la soutient tel un roc, auquel elle s’accrochera. Elle est vue de dos, impliquant que le personnage principal est la figure du Dieu du vin. La flexibilité du corps féminin est d’une fluidité légère, celui de Bacchus apparaît plus rude, malgré sa musculature. On reconnaît bien la patte de Dalou : solidité des représentations corporelles, aspect rustique de la scène, triomphe du rendu réaliste.
Autre aspect, et non des moindres, de l’art de Dalou que montre ce bronze : le tempérament flamand du sculpteur. Le rapport au peintre [**Jordaëns*], bien plus qu’à [**Rubens*], saute aux yeux : chairs larges à la limite du trop plein et tendance érotique prononcée, annonçant l’œuvre la plus typée de Dalou dans ce sens : « Le baiser du faune ».
Techniquement, la fonte suit parfaitement l’idée motrice de la sculpture : le désir sexuel exacerbé, car finesse de la fonte, ciselure précise aux multiples variations et réfraction de la lumière sur la patine, sont mises au service de cette démonstration de puissance érotique.
Le faune ( pattes et queue de bouc), très musclé, s’empare de la nymphe qui s’abandonne au baiser brûlant de l’être mythologique. Elle paraît fragile, presque perdue, dans les bras qui la saisissent. On voit les doigts du mâle s’enfoncer dans la peau et la chair de la femelle, créant un effet supplémentaire de prise de possession. La scène représentée est d’une lascivité torride. Cette explosion de sexualité primitive est digne du plus grand sculpteur du 19ème siècle : [**Rodin*], que Dalou connaissait bien et admirait autant. La puissance érotique qu’il dégage est, stricto sensu, incroyable. Pour le spectateur de l’époque, le simple fait de regarder un sculpture pareille faisait appel à sa libido inassouvie, à sa sexualité refoulée et à ses obsessions personnelles. Encore aujourd’hui, le choc visuel étonne.
Les œuvres de Dalou montrent toujours un attrait particulier pour les corps féminins, parfois habilement dissimulé. Mais jamais une telle violence sexuelle ! Ce sera un cas unique dans le corpus de l’artiste. Cet ovni sculpté n’aura aucune descendance. Vu ses qualités expressives, on ne peut que le regretter.
La galerie Nicolas Bourriaud en présente un exemplaire en bronze à patine brune, signé « Dalou », une cire perdue marquée « Susse Frs Edt Paris ». Ses dimensions sont : 60x20x21cm.
D’après le contrat signé entre la fonderie Susse et les ayants-droits de l’artiste (31 décembre 1902), la statue fut créée en 4 tailles.
Cette épreuve en bronze patiné marron, aux reflets chatoyants, démontre bien l’empathie de Dalou pour le monde des travailleurs, paysans des campagnes comme ouvriers des usines. L’artiste présente un homme vieilli avant l’âge, aux traits burinés par les durs labeurs des champs, aux veines des bras apparentes, aux mains caleuses. La peau de son cou, à l’instar de celle de sa figure, est flasque, usée, flétrie, par ces années passées sous le soleil.
Son habillement n’est guère plus reluisant : des sabots de bois, des pantalons larges et évasés, un vague maillot sous une sorte de vareuse sans boutons. A ses pieds, on remarque une bêche ou une binette. L’agriculteur vient de relever ses manches et s’apprête à faire son métier.
Il est révélateur que l’artiste ait choisi cet instant de la journée de son homme des champs : celui où il commence son labeur car, ainsi, il n’apparaît pas encore trop fatigué. Sa statue est, en elle-même, une ode à un monde que l’on voudrait meilleur.
Peu de sculptures du Monument aux travailleurs ont été aussi fignolées que celle-ci, qui demeure une exception. En revanche, beaucoup sont des esquisses qui furent fondues en bronze.
Il en va ainsi de cette Porteuse de gerbe par laquelle nous terminerons notre propos. Cette statuette d’une quinzaine de centimètres est une fonte Susse, portant le cachet de cet éditeur et signée. Elle est patinée presque noire, de manière uniforme : c’est logique et normal pour une statuette de cette taille.
Les traits du personnage ne sont pas individualisés, c’est l’acte de ramasser et de porter la gerbe qui importe au sculpteur. On sent toute la fatigue, toute la douleur de déplacer ce lourd fardeau que ressent cette vieille femme dont les bras se raidissent tellement ils ont mal, dont les épaules se déforment sous le poids de la charge. S’agit vraiment d’une femme âgée ? Peu importe : de toute façon le spectateur l’imagine comme telle. Sa compassion pour cette triste porteuse, qui aurait pu aussi bien être une porteuse de pain (en référence au livre publié en 1884), devient totale. Si les notions de classes sociales étaient encore confuses à l’époque, elles sont parfaitement claires pour nous. Cela montre à quel point Dalou était en avance sur son temps. Et comme il connaissait son métier à fond et ne trichait jamais avec ses admirateurs, ce sont les raisons majeures de l’intérêt que lui portent, plus que jamais, amateurs, collectionneurs et historiens d’art.
[(Actualité du sculpteur Jules Dalou (1838-1902):
exposition de bronzes de l’artiste à la galerie Nicolas Bourriaud: 205 rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008-Paris, à compter du jeudi 6 juin 2019)]
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WUKALI Article mis en ligne le 04/06/2019
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