Vital statistics

INED / Avec 1,88 enfant en moyenne par femme en 2017, la France a la fécondité la plus élevée des pays de l’Union européenne (UE), la moyenne de l’UE étant de 1,59 [1, 2]. Le niveau relativement soutenu de la fécondité en France n’est-il pas fortement gonflé par l’immigration ? Cette idée très répandue traduit souvent la hantise d’un rapport de force numérique entre les natifs de France et les immigrés qui mettrait en péril l’identité nationale. Laissons de côté les aspects idéologiques pour nous limiter aux faits.
Forte contribution aux naissances, faible contribution à la fécondité

Le recensement de la France indique que près d’une naissance sur cinq en 2017 (19 %) était de mère immigrée (soit 143 000 sur 760 000) (voir encadré 1 pour la définition d’immigré). La proportion était seulement de 16 % en 2009 (tableau). La contribution des immigrées à la natalité de la France progresse donc et mérite d’être soulignée. Mais quelle est leur contribution à l’indicateur conjoncturel de fécondité, appelé ici taux de fécondité (voir encadré 2 pour la définition) ?

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Le résultat peut surprendre : l’immigration contribue fortement aux naissances mais faiblement au taux de fécondité. On peut le montrer sur un exemple fictif [3]. Imaginons 75 femmes non immigrées (natives) et 25 immigrées, avec une moyenne identique de deux enfants par femme dans les deux groupes. Les immigrées contribueront aux naissances dans une proportion de 25 %, mais sans rien modifier au taux de fécondité. Leur contribution à la natalité tient simplement au fait qu’elles représentent 25 % des mères. C’est que le nombre de naissances est le produit de deux facteurs indépendants : le nombre de femmes en âge d’avoir des enfants et leur propension à en avoir. Il est erroné de croire que les immigrées alimentent forcément le taux de fécondité du pays d’accueil au prorata des naissances.

[(Encadré 1. Comment définit-on un immigré ?

Un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant habituellement en France. Si elle acquiert la nationalité française après son arrivée, elle continue de compter parmi les immigrées. Selon cette définition recommandée par les Nations unies, les femmes nées françaises à l’étranger de parents expatriés ne sont pas immigrées. Elles le sont, en revanche, dans les statistiques d’Eurostat pour lequel un immigré est une personne née à l’étranger quelle que soit sa nationalité à la naissance. C’est cette dernière définition qui est retenue dans les comparaisons européennes illus- trées par la figure 4. Pour les autres figures, la définition de l’immigré est celle utilisée habituellement par l’Insee ; elle n’inclut donc pas les femmes nées françaises à l’étranger. À noter que les femmes qui sont filles d’immigrés, et qui sont nées en France, appelées aussi seconde génération, font par définition partie des natives, elles ne sont donc pas incluses dans la population immigrée.)]

Mais imaginons le cas d’un autre pays fictif où 99 % des femmes auraient deux enfants, tandis qu’une minorité de 1 % en aurait sept. Ce surcroît de fécondité aurait peu d’effet sur le taux national, qui passerait seulement de 2,00 à 2,05. Pour que les immigrées contribuent fortement au taux de fécondité et pas seulement aux naissances, il faut à la fois qu’elles représentent une fraction importante des mères et que leur fécondité soit très supérieure à la moyenne.

[**L’apport des immigrées au taux de fécondité de la France : + 0,1 enfant par femme*]

Où en est la France à cet égard ? Le recensement indique qu’en 2017 les natives et les immigrées avaient respectivement 1,8 et 2,6 enfants, soit un écart de 0,8 enfant. Toutes populations réunies, le taux de fécondité de la France s’approchait de 1,9, ce qui veut dire que la présence des immigrées ajoutait un peu plus de 0,1 enfant au taux de fécondité national(2). Comment expliquer un apport aussi faible, alors qu’elles contribuent dans le même temps à 19 % des naissances ? C’est que les immigrées représentaient seulement 12 % des femmes en âge d’avoir des enfants(3).

Entre 2009 et 2014, la proportion d’immigrées a augmenté dans la population de femmes en âge d’avoir des enfants (de 10,6 % à 11,7 %), de même que la part des naissances de mères immigrées (tableau). La contribution des immigrées au taux de fécondité de la France est passée de 0,09 à 0,11 enfant ( figure 1). C’est une progression modérée. En 2009, les immigrées relevaient la fécondité du pays d’environ 5 % ; elles la relèvent de 6 % depuis 2014.
À noter qu’entre 2014 et 2017, la fécondité n’a pas seulement reculé chez les natives mais aussi chez les immigrées, en particulier en 2017, sans modifier leur contribution au taux de fécondité du pays(4).

[**Les immigrées originaires du Maghreb ont le taux de fécondité le plus élevé*]

La fécondité des immigrées varie selon le pays de naissance. Avec environ 3,5 enfants par femme, les immigrées originaires du Maghreb ont le taux de fécondité le plus élevé ( figure 2). Celui des immigrées nées en Afrique subsaharienne ou en Turquie avoisine trois enfants (respectivement 2,91 et 3,12). La fécondité des immigrées nées en Europe ou dans les autres régions du monde se rapproche de la moyenne nationale, environ 2 enfants par femme.

Ces niveaux de fécondité ne reflètent pas nécessairement ceux des pays d’origine. La Turquie, par exemple, affiche un taux de fécondité proche de 2 enfants par femme, au même niveau que le reste de l’Asie(5). Les pays du Maghreb ne dépassent pas 3 enfants par femme(6). Les immigrées européennes elles-mêmes ont une fécondité supérieure à celle du pays d’origine. À l’inverse, la fécondité des immigrées venues d’Afrique subsaharienne est nettement inférieure à celle des femmes restées au pays.
Il faut cependant relativiser ces écarts car tous ces taux de fécondité sont calculés uniquement sur les naissances survenues en France, alors que beaucoup de migrantes attendent d’entrer sur le territoire pour avoir leur premier enfant. On surestime donc leur fécondité si on omet d’intégrer dans le calcul la fécondité encore réduite de la période antérieure et celle qui fait suite au pic des premières années de séjour (encadré 2).

[**L’apport des immigrées au taux de fécondité du pays : comparaisons européennes*]

Comment la France se situe-t-elle par rapport aux autres pays européens ? Dans la moitié d’entre eux, les immigrées contribuent, comme en France, à augmenter le taux de fécondité ( figure 4). Mais dans un pays sur quatre, elles sont trop peu nombreuses pour pouvoir modifier le taux, comme on le voit dans la plupart des pays anciennement communistes d’Europe du Centre ou de l’Est : pays baltes, Pologne, Tchéquie, Roumanie, Bulgarie. Les Pays-Bas sont à part : les immigrées ont beau représenter une part importante de la population, elles ne relèvent pas le taux de fécondité du pays car leur fécondité ne diffère guère de celle des natives. On trouve même des pays où les immigrées contribuent à réduire le taux de fécondité national au lieu de l’augmenter, comme l’Islande ou le Danemark.

Si la France est aux premiers rangs des taux de fécondité en Europe, cela ne vient donc pas tant de l’immigration que d’une fécondité élevée des natives, et c’est celle-ci qu’il convient d’expliquer. Impossible de le faire sans évoquer les effets d’une politique de soutien à la famille pratiquée avec constance par la France depuis soixante-quinze ans et dans un large consensus. Mais ceci est une autre histoire…

[**Sabrina Volant*] Institut national de la statistique que et des études économiques.
[**Gilles Pison***] Muséum national d’histoire naturelle et Institut national d’études démographiques.
[** François Héran*]*** Collège de France et Centre national de la recherche scientifique (Institut Convergences Migrations)

INED/Population et Sociétés
n° 568, juillet/août 2019


Notes:
(2) + 0,1 enfant ne veut pas dire une augmentation de 0,1 %, qui serait seulement d’un millième.
(3) Les femmes qui sont filles d’immigrés, et qui sont nées en France, font par définition partie des natives, elles ne sont donc pas incluses dans les immigrées (voir encadré 1). Elles ont une fécondité similaire à celle des autres natives.
(4) Pour les années 2015, 2016 et 2017, les données sont provisoires et les chiffres définitifs pourront être légèrement modifiés.
(5) 2,1 enfants par femme en 2014 en Turquie, et 2,2 dans l’ensemble de l’Asie, d’après les Nations unies [6].
(6) 3,0, 2,5 et 2,2 enfants par femme en 2014 respectivement en Algérie, au Maroc et en Tunisie, d’après les Nations unies [6].

[**Références*]
[1] Sylvain Papon et Catherine Beaumel, 2019 – « Bilan démographique 2018. La fécondité baisse depuis quatre ans », Insee Première, n° 1730.
[2] Eurostat, 2019 – « Plus de 5 millions de naissances dans l’UE en 2017 », 12 mars 2019.
[3] François Héran et Gilles Pison, 2007 – « Deux enfants par femme dans la France de 2006 : la faute aux immigrées ? », Popula on et Sociétés, n° 432, 4 p.
[4] Laurent Toulemon, 2004 – « La fécondité des immigrées : nouvelles données, nouvelle approche », Popula on et Sociétés, n°400,4p.
[5] Luc Masson, 2013 – « Avez-vous eu des enfants ? Si oui, combien ? », dans France, Portrait social édi on 2013, Insee, pp 93-109.
[6] Na ons unies, 2019 – « World Popula on Prospects : The 2019 Revision », New York.


[**Résumé*]
Les immigrées contribuent aux naissances en France dans une proportion de 19 %. L’indicateur conjoncturel de fécondité des immigrées est plus élevé que celui des natives (2,6 enfants contre 1,8 en 2017), mais comme ce surcroît ne concerne qu’une minorité au sein de la population, il relève seulement de 0,1 enfant le taux de fécondité national, qui passe ainsi de 1,8 à 1,9 enfant par femme en 2017. Immigration ou pas, la fécondité de la France reste l’une des plus élevées d’Europe.


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Contact : redaction@wukali.com

WUKALI Article mis en ligne le 10/07/2019

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