French defeat in 1870 at war against German Empire and Kaiser Wilhelm I
– [**Première partie. Metz l’inviolée*]
Par Jean-Claude Couturier / Quand on évoque la [**Guerre de 1870*] et l’Annexion on parle toujours des « Alsaciens-Lorrains ». Il est plus juste d’un point de vue historique de parler des « Alsaciens-Mosellans ». En effet, la Moselle n’a jamais fait partie de la Lorraine ducale. L’expression [**Alsace-Lorraine*] est la traduction littérale du « Reichsland Elsass-Lothringen », nom donné au nouveau Land par le IIe Reich, celui de [**Guillaume Ier*] et de [**Guillaume II*], celui de [**Bismarck*]. Il est source de cette ambigüité. « Ainsi, nous dit [**Pierre Barral*], est forgé le concept géopolitique d’« Alsace-Lorraine », sans précédent historique 1 ». En outre, c’est d’exilés bien singuliers dont il sera ici question. Dans l’exil, en effet, il y a en principe un pays d’origine et un pays d’accueil. Ici, les deux se confondent.
L’histoire de l’annexion, donc celle des optants, se situent à la croisée de dimensions culturelles variées. La langue ici en est une fondamentale : le français pour les gens de Lorraine et les messins, le platt deutsch et le francique à la frontière nord de la Moselle, l’Alsacien, langue germanophone, et l’allemand outre Rhin. La culture française d’un côté, la culture germanique de l’autre sont autant de frontières immatérielles qui vont ici se heurter. Les enjeux géopolitiques sont naturellement majeurs. La religion elle-même en est l’une des composantes avec une zone d’influence protestante en Allemagne, catholique en Lorraine. En Moselle et en Alsace, les deux religions cohabitent.
[**Metz*], cité évêchoise, à l’inverse, est une ville totalement française. [**Henri II*] obtient la souveraineté sur les Trois Évêchés de Metz, Toul et Verdun en 1552. Metz est alors une place forte militaire française. A Metz, en 1870, on ne parlait que le français et sa culture était française. L’empire allemand ne pouvait donc pas justifier son annexion en se prévalant de l’argument de l’unité linguistique. C’est aussi pourquoi elle fut ressentie comme particulièrement brutale et contre nature par les populations locales. L’attachement de Metz à la France ne peut être un objet de controverse : « Allemands ? Jamais ! Messins, certes toujours ! Lorrains, qu’importe, pourvu que ce soit la France ! » s’écrie le maire de Metz [**Paul Vautrin*] (1876-1938).
En fait, son annexion est liée à son importance stratégique2 . Le jeune empire allemand ne pouvait pas accepter une place forte aussi solide à sa frontière. Mais si le nord de la Moselle était bien de langue germanophone, la richesse de son sous-sol et sa sidérurgie n’étaient pas étrangères à l’intérêt que leur portait l’Allemagne. Le bornage des pays annexés est encore plus complexe avec les enclaves vosgiennes de [**Schirmeck*] et de [**Saales*] et le rattachement de [**Sarrebourg*] et [**Château Salins*], localités françaises non germanophones de la Meurthe. Là encore, ce sont des considérations économiques et politiques qui emportèrent la décision.
L’Allemagne fait son unité tardivement par rapport à la France. Pour elle, ses frontières doivent désormais intégrer les peuples de langue germanique. Ils ont donc des prétentions sur l’Alsace dont la langue est germanophone et sur la frontière au nord de Metz et au nord de l’Alsace où l’on parle des patois alémaniques. Cette unité, elle la fera sur les décombres de la défaite française et avec pour butin l’Alsace-Moselle.
– [**L’annexion, une problématique complexe*]
La défaite de [**Sedan*] avec ses 100 000 prisonniers, fruit de la désinvolture de [**Napoléon III*] et des atermoiements de [**Bazaine*] entraîne la capitulation de [**Metz *] « la pucelle », l’inviolée. Le [**10 mai 1871*] avec le [**traité de Francfort*], l’Alsace et le nord de la Moselle deviennent le « [**Reichsland Elsass-Lothringen*] ». L’article 2 du traité définit le droit d’option qui deviendra plus tard obligation d’option avec la convention dite additionnelle. En outre, la France a dû verser à la Prusse un énorme tribut de l’ordre de [**5 milliards de francs or*] en trois ans, ce que les Français victorieux en 1918 exigeront à leur tour par le traité de Versailles.
La [**France*], sûre du résultat, souhaitait un plébiscite qui lui fut refusé. En 1918, réponse du berger à la bergère, elle déclina la même revendication formulée par les Allemands.
Ce traité propose aux Alsaciens et aux Mosellans de choisir leur nationalité avec toutefois l’obligation, pour ceux qui décident de rester français, d’émigrer avant le 30 septembre 1872. En Alsace, 12,5 % de la population choisit l’option de l’exil et environ 50 000 personnes auront émigré au 30 septembre 1882. Parmi ceux qui resteront, certains en feront une manifestation de résistance. Pour d’autres, quitter sa terre, sa ferme en l’abandonnant à l’occupant est tout simplement impensable. Pour d’autres enfin, ceux que l’histoire retiendra sous le nom d’optants, l’arrachement à la terre natale, à la petite patrie, est un acte douloureux mais pleinement assumé.
Metz, quant à elle, est saignée à blanc. L’annexion vide la ville de ses cadres, des fonctionnaires et des militaires non autochtones, et de bien des messins refusant l’agression allemande.
Dès avant la défaite, on savait que l’empire allemand en gestation regardait l’Alsace et la Moselle avec les yeux de Chimène, notamment en raison de leur richesse. Le sort de ces deux régions était donc scellé dès la défaite et le traité de Francfort ne fit que confirmer une volonté d’expansion qui trouvera à nouveau à s’exprimer en 1914 puis avec l’avènement du nazisme. On en connaît assez l’issue tragique avec les deux guerres mondiales. Par ailleurs, les Allemands n’avaient peut être pas totalement oublié l’annexion par la France révolutionnaire et par [**Napoléon*] de la rive gauche du Rhin.
Le traité donne donc aux Alsaciens-Mosellans jusqu’au 31 octobre 1872 pour se prononcer en faveur de leur citoyenneté française et, dans ce cas, ils sont invités à quitter le pays. Passé ce délai, ils deviendront sujets Allemands. Environ 159.000 Alsaciens-Mosellans ont opté pour la nationalité française. Ils seront plus de 50.000 à abandonner leur maison pour rejoindre la France de l’intérieur. Certains s’installent dans la région de [**Nancy*], d’autres, ironie de l’histoire, optent pour l’Algérie coloniale3 . Mais nombreux sont ceux qui sont restés et qui protesteront contre leur incorporation sans leur consentement à l’empire allemand.
L’élection du 1 février 1874 au Reichstag va refléter la détermination des députés Alsaciens-Mosellans. Dès le 18 février ils protestent au Reichstag contre le sort réservé à leur région. Mais désormais, leur sort est lié à celui du Deuxième Reich. En août 1914, comme tous sujets allemands, 220 000 Alsaciens et Mosellans sont enrôlés dans l’armée de Guillaume II. Entre 1914 et 1918, ils seront 250 000 à combattre pour le Reich.
Le Reichsland Elsass-Lothringen désormais province devenue allemande est divisée administrativement en trois régions : la Lorraine, Lothringen, la Haute-Alsace, Oberelsass et la Basse-Alsace Unterelsass, trois régions qui deviendront respectivement les départements de la Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin lors de leur retour dans le giron de la mère patrie en 1918.
– [**Une germanisation problématique*]
La germanisation rencontre des poches de résistance, notamment à l’occasion de vote de protestation. On assiste même à un regain de fronde en 1905. En outre, de nombreux jeunes fuient l’Allemagne pour échapper à la conscription. Entre 1900 et 1913, plus de vingt-deux mille Alsaciens-Mosellans « réfractaires » faisant partie de la génération élevée à l’école allemande acquirent volontairement la qualité de Français et le nombre d’engagés dans la légion étrangère fut en constante croissance.
Dans le même temps, des Allemands du Reich arrivent à Metz et s’y installent. Ils sont 30 000 en 1875, 115 000 à la fin du siècle pour une population globale de 525 000 en pays annexé.
Mais ces populations ne sont pas les seules à résister. Les Lorrains ne seront pas en reste. On mesure cela notamment par leurs positions politiques mais leur animosité, leur refus du statut quo, s’expriment dans tous les domaines. [**Gallé*], par exemple, inscrit sur le plateau d’une table la citation de Tacite « Le Rhin sépare des Gaules toute la Germanie », renforcé par le chardon de Nancy et son « qui s’y frotte, s’y pique » ; des alérions couronnés portant croix de Lorraine, ou les myosotis des ne nous oubliez pas, sont sculptés sur le piétement. On y trouve également, sorte de manifeste, « Je tiens au cœur de France » et « Plus me poignent, plus j’y tiens ».
La ville de Metz elle–même, opposa une farouche résistance à la germanisation même pendant la guerre en 1914-1918 quand le Reich entrepris une campagne de séduction.
Cette résistance populaire à la germanisation irrita fortement les autorités d’occupation. En décembre 1912, la police allemande défendit à ses agents de porter la pèlerine ; ce vêtement était de coupe française et considéré comme séditieux. On l’appelait le Revanchemantel, le manteau de la revanche. Certains durent payer une amende ou furent condamnés à la prison parce qu’ils avaient parlé français.
D’autres mesures maladroites4 ont contribué à entretenir le feu qui couvait. C’est ainsi que l’Allemagne va refuser jusqu’au bout à l’Alsace-Moselle le statut d’état confédéré. L’Elsass-Lothringen demeure un Reichsland, une « terre d’Empire » dépendant juridiquement et politiquement de la Prusse contrairement aux autres Länder bénéficiant du statut d’états confédérés. En 1818, peu avant la reddition de l’Allemagne, elle l’accorde mais il est bien tard.
[**Suite et fin de l’article*]: Nancy, la capitale des ducs de Lorraine, mise en ligne: [**Jeudi 8 août*]
[(Notes
1. Pierre Barral, L’esprit lorrain, cet accent singulier du patriotisme français, Presses Universitaires de Nancy, 1989, 190 pages
2. « Metz pour notre sureté » dit Bismarck.
3. Un comité d’émigration vers l’Algérie est constitué à Nancy pour favoriser la colonisation et « pour cultiver et mettre en valeur les terres dont la concession leur serait faite par l’Etat à titre gratuit ».
4. La France, par un comportement assez brutal, n’a cependant pas fait beaucoup mieux lors du retour des deux régions annexées à l’issue de la Première Guerre mondiale menant à marche forcée une entreprise de « dégermanisation » alors qu’elle était confrontée à une population de langue allemande. Les enfants nés après la guerre de 1870 et qui avaient donc 48 ans avaient été scolarisés en allemand et ne parlaient pas le français. En outre, ceux qui ne s’étaient pas exilés furent regardés avec une certaine suspicion. On connaît également la tragédie des « Malgré-nous » ces Alsaciens-Mosellans enrôlés de force par l’Allemagne nazie.
)]
Illustration de l’entête: carte postale allemande représentant la gare de Metz
[(
– Cet article vous a intéressé, vous souhaitez le partager ou en discuter avec vos amis, alors pour aider Wukali à se faire connaître, utilisez les icônes Facebook (J’aime) ,Tweeter, + Partager, positionnées soit sur le bord gauche de l’article soit en contrebas de la page. Grand merci…
– Peut-être souhaiteriez pouvoir publier des articles dans Wukali, nous proposer des sujets, participer à notre équipe rédactionnelle, n’hésitez pas à nous contacter ! (Even if you don’t write in French but only in English, we’ll translate)
– Retrouvez tous les articles parus dans toutes les rubriques de Wukali en consultant les archives selon les catégories et dans les menus déroulants situés en haut de page ou en utilisant la fenêtre «Recherche» en y indiquant un mot-clé.
Contact : redaction@wukali.com
WUKALI Mise en ligne le 05/08/2019. Publication initiale le 04/03/2019)]